
100 moments de télé, épisode 3 (Buffy, Homeland, Millennium, The Shield, Spooks)
Troisième partie de notre dossier consacré aux scènes et aux épisodes qui nous ont fait et nous font passionnément aimer la télévision. Au programme : un retour sur Buffy saison 6 (indice spoiler : 5), une des plus grandes scènes de Homeland saison 1 (indice spoiler : 6) ; l’apocalypse vue par Glen Morgan et James Wong dans MillenniuM (indice spoiler : 5) ; The Shield saison 6 et une histoire pas si petite que ça (indice spoiler : 3) et… une des scènes les plus glaçantes (ou brûlantes, à vous de voir) de Spooks (indice spoiler : 6). Bonne lecture !
11. L’épisode musical de Buffy
par Nicolas Robert
La série : Buffy the Vampire Slayer
L’année : 2001
L’épisode : 6×07 – Once More With Feelings
Comment ne pas en parler ? Sept saisons de Buffy, ce sont sept années pendant lesquelles Whedon n’a cessé de questionner son support pour mieux raconter une histoire.
On aurait pu parler de l’épisode où les héros sont plongés dans les rêves (Restless). On aurait pu évoquer celui où ils sont tous prisonniers d’un monde où l’on ne peut pas parler (Hush). On aurait pu insister sur l’épisode où Buffy est coincée dans le corps de son nemesis (Who are you ? Avec la scène où Faith -dans l’enveloppe charnelle de l’héroïne- défonce son propre visage en hurlant « Je te déteste ! »). On aurait surtout pu (dû) parler de la disparition de Joyce dans The Body… (mais bon: l’auteur de ces lignes a déjà donné dans la mort traumatisante il y a deux jours. Le compte est bon, selon son thérapeute).
Dans tous les cas, à chaque fois, Buffy et le Scooby Gang n’ont pas seulement été confrontés par les scénaristes de la série à des histoires différentes : c’était aussi et surtout l’occasion d’aller plus loin dans l’émotion, la complexité et la fragilité qui les caractérisent.
Cependant, c’est vrai : Once More With Feelings est à part. A la fin de l’épisode, en mettant des paroles et des notes sur le profond malaise du personnage principal depuis son retour de la mort, Whedon ne fait pas qu’inviter son personnage principal à pousser la chansonnette : par ce biais, ce dernier explore totalement les doutes et les questions qui l’habitent. Il se met surtout à nu: Buffy exprime enfin un mal-être qui n’a cessé de grandir depuis The Body. Authentique point d’orgue pour une longue et douloureuse histoire liée la Tueuse, cet épisode possède une dimension symbolique rare. Et increvable.
Pourquoi avoir aussi choisi cet épisode-là ? Parce que c’est la plus brillante exploration de l’univers de la comédie musicale à la télé, et de loin : seule Cop Rock, énorme série de Steven Bochco, a fait aussi bien. Si un jour, Glee ou Smash atteignent ce niveau, ces fictions changeront définitivement de dimension.
12. Carrie et Brody discutent dans une forêt
par Dominique Montay
La série : Homeland
L’année : 2012
L’épisode : 1×07 – The Weekend
Ce jour-là, Homeland est monté si haut. Un épisode remarquable, poignant, qui met en scène les deux antagonistes de la série : Carrie et Brody, et qui révèle leurs âmes. Une scène qui supplante tout le reste, pourtant d’une simplicité folle: mettre les deux personnages, les faire se parler, se dire la vérité en face.
Dans une fiction américaine qui valorise plus la dissimulation (plus facile à mettre en scène, car génératrice de surprises), on met rarement face à face les gens pour qu’ils se parlent et évacuent les problèmes, crèvent les abcès. Ici, Carrie et Brody se disent des vérités qui font mal. Brody, qui vient de passer un week-end torride avec Carrie, pour qui il ressent plus que de l’attirance sexuelle, se sent profondément trahi, et part en assenant un « fuck you Carrie » d’une froideur absolue.
13. Frank Black et sa fille attendent la fin du monde dans une cabane
par Sullivan le Postec
La série : MillenniuM
L’année : 1998
L’épisode : 2×23 – The Time is Now
Le dernier épisode de la deuxième saison de MillenniuM est la conclusion démente d’une incroyable saison télévisuelle, l’une des plus ambitieuses et imaginatives jamais diffusées dans les années 90, un peu passée inaperçu après que beaucoup se soient détournés de la série lors d’une première année trop uniformément sombre, mais aussi un peu inégale et répétitive. Les nouveaux showrunners Glen Morgan et James Wong avaient proposé une nouvelle version, dotée de nouveaux personnages, de quelques respirations comiques et d’un aspect fantastique plus prononcé. Mais le propos restait d’une grande noirceur : le prélude d’une apocalypse annoncée par le nouveau slogan affiché à la fin de chaque générique : The Time is Near, l’heure est proche.
A la fin de cette saison, Morgan et Wong savent qu’ils vont quitter la série, pour tenter à nouveau de mettre une de leur création à l’antenne (ils n’y arriveront pas, et je crois qu’ils n’ont jamais admis qu’ils étaient bien meilleurs pour exploiter un univers existant que pour créer le leur de toute pièce, comme les débuts extrêmement poussifs de leur seule série, Space : Above and Beyond, le suggéraient déjà). Ils savent aussi que leur travail n’avait pas suffit à redresser les audiences de MillenniuM, qui avait de très fortes chances d’être annulée. Ils décident donc ni plus ni moins que de mettre en scène l’apocalypse, avec la bénédiction de Carter, dans un final scotchant, risque-tout et désespéré.
La fin du monde est provoquée par un virus, une variante de la fièvre hémorragique Marburg associée à un prion, créé dans les laboratoires du groupe Millennium, et pour lequel seule une poignée de vaccins existent. Les victimes commencent à se multiplier. Lara Means, une des partenaires et amie du héros, sombre dans la folie dans une scène extraordinaire : un acte entier de neuf minutes, monté comme un vidéo-clip rythmé par le titre « Horses » de Patti Smith (mais les gros clips de 3 minutes avaient un budget égal au double ou au triple d’un épisode entier, d’où le défi extraordinaire relevé par les producteurs).
Frank Black décide de s’enfuir avec sa femme et sa fille dans une cabane dans les bois dont il vient d’hériter. Lui a été vacciné d’office par Millennium ; Lara lui a donné la dose que le groupe avait prévu pour elle. Avec Catherine, ils décident de l’administrer à la petite Jordan. Le lendemain matin, Frank découvre avec horreur que sa femme est partie pendant la nuit, s’éloignant pour mourir dans la forêt quand elle a découvert qu’elle souffrait des premiers symptômes. Sous le choc, les cheveux de Frank sont devenus blancs en quelques heures. Jordan s’en amuse pendant qu’en off, nous entendons des messages radio d’alerte, qui signalent la découverte de piles de nouveaux corps. La scène est entrecoupée de bruit blanc, qui figure le don de vision du héros saturé par la catastrophe globale. Frank et Jordan pourraient fort bien figurer parmi les derniers survivants.
Cette scène aurait constitué une fin de série extraordinaire… si MillenniuM n’avait pas été renouvelée à la dernière minute ! La troisième saison dû donc défaire ce qui avait été fortement suggéré, transformant Frank Black en parano halluciné qui avait confondu une grippette faisant 78 victimes avec la fin du monde. Dommage.
14. Wagenbach craque
par John Plissken
La série : The Shield
L’année : 2007
L’épisode : 6.10 – Spanish practices (VF : Enfer à Farmington)
C’est une intrigue secondaire dans ce season finale et pourtant l’une des plus fortes. Le détective Holland « Dutch » Wagenbach (Jay Karnes) et l’officier Danni Sofer (Catherine Dent) enquêtent sur la mort suspecte d’un SDF bien connu et apprécié de leurs services : Joe Barnes, surnommé “Miracle Joe” parce qu’en 20 ans de rue dans le quartier, il avait survécu à tout. Sa mort est un coup dur pour Dutch, qui l’aimait beaucoup. Un témoin a vu un automobiliste se débarasser du cadavre sur le trottoir, la piste du meurtre est privilégée, quelques suspects interrogés mais au final, il apparait que Miracle Joe est mort de cause naturelle. Son coeur a lâché.
Son neveu vient l’identifier et raconte alors l’histoire déchirante de Joe à Wagenbach et Danni. Joe avait un boulot, qu’il a plaqué pour s’occuper de son frère malade puis sa vie s’est effondrée. Pendant ce récit d’une infinie tristesse, confié d’une voix douce par le neveu, la caméra fixe le visage de Wagenbach le cynique, blindé face aux pires atrocités mais pas devant une mort aussi désarmante, cachant toute la bonté du monde. Sous nos yeux, Dutch vacille. Il s’isolera peu après aux vestiaires pour laisser couler ses larmes mais Danni le surprend, elle aussi bouleversée et le serre dans ses bras. Ils pleurent ensemble et nous avec eux. Une moment rarissime dans The Shield.
15. Helen Flynn se fait frire le visage
par Dominique Montay
La série : Spooks
L’année : 2002
L’épisode : 1×02 – Looking After Our Own
Quand ils s’y mettent, les britanniques sont capables de vous retourner les tripes, de vous bousculer comme personne. A l’époque où la série d’espionnage Spooks en était à ses débuts, elle a sorti une des scènes les plus violente de l’histoire de la télévision. Infiltrés dans l’équipe d’un néo-nazi, Tom Quinn et Helen Flynn se rapprochent. Enfin surtout Helen, qui en pince pour Tom. Pas de bol, ça n’est pas réciproque.
Tout est fait pour nous faire prendre cette mission comme un événement banal. Tout est fait pour humaniser la fragile Helen. Jusqu’à une scène d’une absolue cruauté. Repérés, Tom et Helen sont tenus en respect par les fachos dans une cuisine. Pour marquer sa supériorité, le boss met la main d’Helen dans une friteuse en fonctionnement. On se dit que c’est tout. Il enchaîne avec le visage. Et les auteurs de la série de graver dans la mémoire du téléspectateur une scène impossible à se retirer de l’esprit.
Tellement d’accord avec Nicolas Robert, cet épisode est incroyable.
Je n’imaginais pas un tel classement sans Once more with feelings. Cet épisode est un pur chef-d’œuvre, et je n’emploie pas ce terme à la légère. Non seulement les chansons sont extraordinaires, mais en plus chacune d’elle dit quelque chose des personnages et de leurs relations, et les fait évoluer. Ce n’est pas uniquement Buffy révélant ce qu’elle ressent depuis son retour de l’au-delà. C’est Tara découvrant que Willow l’a manipulée, c’est Xander et Anya exprimant leurs doutes sur leur avenir commun, c’est Giles qui comprend qu’il doit cesser de jouer les pères de substitution pour Buffy et Dawn, ou encore Spike chantant son amour à la Tueuse. Plus un ou deux moments de pur délire comme seul Whedon sait en créer (The mustard, The parking ticket).
Cet épisode ne sort pas seulement du lot par le fait que c’est une excellente comédie musicale, mais aussi parce qu’après Once more with feelings, plus rien ne sera tout à fait pareil dans la série.