1983 : au cinéma, un printemps beau comme Bowie

1983 : au cinéma, un printemps beau comme Bowie

BtwcC5aIIAASpDuLa disparition de David Bowie, emporté par un cancer à 69 ans, a cueilli ce matin les médias du monde entier. Dans plusieurs des domaines qui intéressent le Daily Mars, il a bien évidemment marqué au fer rouge les mémoires par son éclectisme et le naturel sidérant de son génie. C’est le cas en cinéma et la team de notre petite planète rouge entend bien rendre hommage toute la semaine à l’héritage, certes inégal mais fascinant, que laisse au 7e art le génial caméléon. L’année 1983 sera particulièrement marqueuse de son parcours à l’écran. Porté par le succès planétaire de Let’s Dance dans les bacs, l’icône de L’Homme qui venait d’ailleurs poursuit son aventure cinématographique et marque des points décisifs avec deux films emblématiques de l’aube des eighties : Les Prédateurs et Furyo. Flash-back.

 

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LES PREDATEURS, de Tony Scott

1983, l’année Bowie au centuple. Au printemps, entre le triomphe planétaire de son album Let’s Dance (sorti le 14 avril) et sa double présence à Cannes avec Furyo et Les Prédateurs (projetés respectivement “en” et “hors” compétition), l’artiste est partout. Et même en couverture de Starfix n°5, dites donc ! Ré-inventé, régénéré, méga-popularisé par la fougue pop rock de Let’s dance et de ses clips foudroyants mitraillés en rafales sur la toute jeune MTV (Let’s Dance, China Girl, Modern Love), Bowie s’est paré de glamour clinquant comme pour mieux épouser la décennie bling bling à venir. Comme un symbole : le réalisateur Tony Scott, celui par qui s’accomplira la transfiguration hypertrophiée du blockbuster eighties, le dirige dans son premier rôle officiel des années 80 au cinéma : Les Prédateurs (The Hunger en V.O.).

Susan Sarandon & David Bowie (crédit : The Life Picture collection/Getty)

Susan Sarandon & David Bowie (crédit : The Life Picture collection/Getty)

Produit pour la MGM par Richard Shepherd (Diamants sur canapé) à partir d’un roman de Whitley Strieber, le second long métrage du frère cadet de Ridley Scott est un “film de vampire” où le mot vampire n’est jamais prononcé… Une bande horrifico-érotique au cachet arty et budget serré, mais qui pourtant porte en elle tous les stigmates visuels du cinéma commercial hollywoodien des années suivantes. Les Prédateurs s’ouvre sur la vie de sang et de luxure menée à New York par le couple formé par la vampire alpha Miriam Blaylock (Catherine Deneuve) et son amant depuis 200 ans, John (David Bowie). Le magnétisme animal du chanteur colle sans tâche à son personnage d’enseignant de musique classique, voué corps et âme à la quête de chair et de plaisir charnel en compagnie de son égérie-mante religieuse. Laquelle va le laisser pourrir sans la moindre pitié lorsque, conformément à une malédiction qu’il ignorait, John subit un décrépissement accéléré d’une épouvantable cruauté. Pas de chance pour Bowie : écrasé par les expérimentations visuelles de Scott, les mêmes qui nourrissent 30 ans plus tard notre fascination pour ce trip gothico-chic, Les Prédateurs est globalement assassiné par la critique et mordra la poussière plutôt que le grand public. La bande-annonce s’était pourtant donné du mal en promesses alléchantes (“haunting !” “mysterious!” “strange !”, “perverse !”, “riveting !”…), mais rien n’y fera.

Les-Prédateurs11À Cannes, The Hunger est snobé, pas davantage considéré qu’un curieux petit machin atmosphérique, racoleur et poseur – sauf par le visionnaire Starfix, hé oui encore lui, qui saura apprécier l’avant-gardisme de l’œuvre. Pas grave pour Tony Scott, dont la virtuosité tape à l’œil et les pirouettes stroboscopiques n’auront pas échappé aux producteurs Bruckheimer/Simpson, qui lui confieront peu après les commandes de Top Gun. Pour Bowie en revanche, malgré l’excellence d’une interprétation dans la lignée de celle de L’Homme qui venait d’ailleurs, l’échec des Prédateurs sera une nouvelle tentative ratée de s’imposer à l’écran auprès d’une audience plus large que le cercle de ses admirateurs.

Il n’empêche que le film résonne plus que jamais aujourd’hui comme un choix artistique cohérent, œuvre hybride et transgenre parfaitement en phase avec le caméléon de Brixton. Au summum de sa séduction, l’artiste protéiforme a conquis au passage sa partenaire à l’écran Susan Sarandon le temps d’une brève aventure, comme cette dernière l’a révélé en 2014 au site The Daily Beast : “Il mérite d’être idolâtré, il est extraordinaire. C’était vraiment une période intéressante” se souvenait alors l’actrice. De son côté, votre serviteur n’est pas prêt d’oublier l’immortelle et envoûtante séquence d’ouverture des Prédateurs : une chasse à la chair fraîche par le couple Deneuve/Bowie dans une boîte branchée de New York, sur fond de Bela Lugosi’s dead du groupe Bauhaus. So chic and so sensual

furyo-1983-07-gFURYO, de Nagisa Oshima : “Plus fort, s’il vous plait, le micro pour Monsieur Bowie !”

Projeté en compétition au 36e Festival de Cannes, avant sa sortie française le 1er juin, Furyo fera bien plus pour la notoriété de Bowie au cinéma que le confidentiel Les Prédateurs. La présence de l’acteur sur la Croisette déchaîne les passions et c’est incontestablement lui la vedette de la conférence de presse qui suivra la projection du film. Dans une interview à la BBC, Bowie reconnaît lui-même qu’il est entré dans une période où il a besoin de communiquer, parler aux médias, accepter de s’exposer davantage. Adapté du roman The Seed and the Sower de Laurens van der Post, titré en V.O. Merry Christmas Mr. Lawrence, Furyo est le premier film occidental du Japonais Nagisa Oshima, réalisateur dont la France s’est à peine remise du brûlot érotico-X L’Empire des sens, sorti sept ans plus tôt.

furyo_5495558Écrit originellement pour Robert Redford (dixit le producteur Jeremy Thomas), Furyo épouse malgré tout harmonieusement, comme Les Prédateurs, l’univers mental de Bowie. Située en pleine Seconde Guerre mondiale, l’intrigue suit la confrontation psychologique de quatre personnages : le major Jack Celliers (David Bowie), le colonel John Lawrence (Tom Conti), tous deux officiers de l’armée britannique prisonniers dans un camp japonais, aux prises avec leurs geôliers le capitaine Yonoi (Ryuichi Sakamoto) et le sergent Hara (Takeshi Kitano). Hormis son thème principal tubesque, il reste principalement aujourd’hui de ce drame tantôt très beau, tantôt très chiant, le face à face électrique entre Bowie et Sakamoto. Tous deux stars de la musique (Sakamoto a, par ailleurs, composé l’inoubliable B.O.), les deux acteurs composent respectivement deux soldats aux psychologies tortueuses et ostensiblement attirés l’un par l’autre, malgré le gouffre séparant leurs civilisations respectives.

Encore plus que dans Les Prédateurs, un metteur en scène se repaît ici jusqu’à la lie de la beauté plastique et du magnétisme surréel de Bowie, dont la blondeur incandescente paraît définitivement associée à l’élément sable ce printemps-là (il y est enterré jusqu’au cou dans Furyo, il y fait l’amour avec sa belle China Girl dans le clip du même nom…). L’artiste, qui a confessé sa bisexualité à la revue britannique Melody Maker en 1972 (avant de regretter publiquement cet aveu dans Rolling Stone en 1983), irradie dans toutes ses scènes avec Sakamoto. Regard de braise provocateur et déterminé, hanté par le trauma d’une culpabilité passée, son iconoclaste Jack Cellier dévaste jusqu’au vertige le capitaine Yonoi lors d’une fascinante scène de baiser sur la plage. Choisi par Oshima après que ce dernier l’ait repéré sur scène à Broadway, dans Elephant Man, Bowie gagne définitivement avec Furyo ses galons de comédien “sérieux”. Hollywood va continuer à se l’arracher au fil de la décennie 80, hélas pas pour le meilleur comme on le verra cette semaine… Furyo, une fois encore, va s’échouer sur les rives du box-office mais peu importe : en une saison, David Bowie s’est incrusté à jamais dans les mémoires de cinéphiles avec deux œuvres singulières reposant largement sur son talent inné pour la comédie.

LES PREDATEURS, de Tony Scott (1983) : bande-annonce

FURYO, de Nagisa Oshima (1983) : bande-annonce

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