
2015, l’odyssée de Netflix !
Aborder un bilan série selon le calendrier grégorien est toujours un exercice un peu bancal ou au moins morcelé, incomplet. C’est oublier qu’une moitié de saison a pu commencer l’année d’avant ou une autre, se terminera l’année prochaine. Entre les deux, bien sûr, certaines séries ont connu un début et une fin, bien à l’abri d’une forme courte ou d’une programmation clémente. C’est pourquoi à l’exercice du classement, nous avons décidé, du côté des séries, d’offrir des rétrospectives, selon la sensibilité de la rédactrice ou du rédacteur.
Pour la première fois, le public français aura eu la possibilité de profiter de Netflix durant la totalité d’une année civile (pour rappel, le service est actif en France depuis septembre 2014). Et cela tombe bien ! En 2015, la firme de Los Gatos (Californie) s’est considérablement développée sur le registre sériel. Si, individuellement, elle ne possède peut-être pas encore ce titre emblématique à même de mettre tout monde d’accord, la diversité de son offre et la liberté qu’elle offre à ses créateurs font déjà de Netflix un diffuseur hors normes.
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Une année d’expansion
Les dernières nominations aux Golden Globes (73ème édition) ont couronné Netflix. En valeur absolue, cette performance est à relativiser. Son score n’est jamais que de 8 nominations contre 7 l’an passé mais cela lui suffit – cette année – pour être le premier network, devant une certaine HBO notamment (7 nom.).(1)
Il faut dire qu’avec Netflix, l’association regroupant la presse étrangère basée à Hollywood (2) avait désormais un nouvel embarras pour son choix ! En 2015, c’est 13 nouveaux titres (3) que le service s’est chargé d’offrir à ses abonnés. À titre de comparaison, en 2014, Netflix n’avait lancé que deux nouveautés (Marco Polo et BoJack Horseman). En 2016, la production scriptée sera doublée (4) mais 2015 marque véritablement le passage d’un palier symbolique d’amplification significative au-delà des séries emblématiques de la marque qu’étaient House of Cards et Orange is the New Black.
Ce développement est-il pour autant synonyme de succès ? Comme vous le savez peut-être, Netflix ne se prononce pas sur ses audiences. Il est donc difficile d’établir des points de comparaison avec la production sur les supports traditionnels. Il y a tout de même quelques indices assez révélateurs. Tout d’abord, force est de constater que Netflix se déjuge rarement, les annulations étant très rares. Et puis certaines études transversales tendent à montrer que certaines nouveautés de la marque sont déjà très populaires. C’est notamment le cas de Narcos, pourtant lancée au cœur de l’été, qui reçoit un bel accueil. (5)
Le cas Narcos est d’ailleurs assez symptomatique d’un diffuseur désormais pleinement international. Récemment, Ted Sarandos (Directeur des contenus) la définissait ainsi : “85% des dialogues sont en espagnol, elle est produite par une société française, filmée en Colombie, avec des acteurs brésiliens et très largement populaire en Allemagne. C’est le premier aperçu de ce que peut être la télévision globale.” (6)
Alors que 2016 se profile, il apparaît désormais évident que Netflix se place sur une dynamique globale tous azimuts. Il lui faudra pourtant trouver le juste équilibre entre une programmation à même de répondre à la diversité de son public sans cesse élargi et des sujets qui se doivent d’éviter toute approche trop figée.
Une année d’expérimentations
Disposer d’une saison dans sa totalité dès le lancement de la diffusion de la série nous semble aujourd’hui banal. C’est pourtant encore relativement nouveau pour les téléspectateurs et a fortiori pour les créateurs. S’affranchir des contraintes de narration d’un récit par épisode n’est pas forcément facile et c’est pourtant une liberté offerte très naturellement par Netflix.
Kilgrave, l’ennemi de Jessica Jones – peut-être le vilain le plus réussi de l’année –, se dévoile très progressivement dans la série. On le devine à peine dans le premier épisode et ses apparitions suivantes sont très clairsemées. Cette suggestion lente du personnage antagoniste est presque inconcevable au sein d’une série diffusée sur une chaîne traditionnelle et pour laquelle les ressorts principaux se doivent d’être très rapidement exposés.
Au-delà du mode de diffusion, Netflix permet aussi à ses scénaristes de remettre en cause la temporalité de leur récit. C’est notamment le cas de Master of None qui propose un épisode que l’on pourrait rapprocher du film Un Jour sans fin (d’Harold Ramis). Dans cet épisode intitulé “Mornings” (1.09), on suit le couple principal durant une période qui s’étale sur près d’un an. Ce procédé a presque valeur d’hérésie dans le cadre d’un genre comme celui de la comédie où le statu quo domine. Master of None n’est pas à proprement parler une sitcom à l’ancienne mais elle n’opte pas non plus pour un récit pleinement sérialisé. C’est aussi ce mélange des narrations qui en font l’une des séries remarquables de l’année.
A certains égards, le mode de diffusion de Netflix peut également s’avérer annihilant. Lorsque Daredevil s’offre un cliffhanger spectaculaire avant d’embrayer sur les derniers épisodes (1.09), la portée de cette fin pleine de suspens perd une grande partie de sa valeur sachant que l’abonné peut enchaîner sur la suite immédiatement.
En embrassant tout à fait la diffusion comme un ensemble et non plus comme une succession d’épisodes, la série telle que nous la connaissons prend alors une forme nouvelle. Cette année, Netflix proposait justement une série aux contours variables, aux durées d’épisodes aléatoires. Très critiquée pour sa longue exposition introductive, elle aura notamment été incomprise parce que libérée des carcans habituels d’une structure régulière. Avec sa présence internationale, Netflix était le diffuseur idéal pour Sense8 et ses protagonistes dispersés à travers le globe. Au fond, c’est surtout la première œuvre a avoir été réellement conçue à l’échelle d’une saison protéiforme, comme un ensemble repoussant sans cesse ses propres limites. On entend régulièrement parler de récit structuré comme un “long film” mais cette appellation n’est pas à la hauteur d’un travail d’écriture spécifique, qui n’est en rien comparable à celui effectué pour un long métrage. J. Michael Straczynski (cocréateur et scénariste) explique ainsi que Sense8 est conçue sur la base de trois actes. L’interruption des génériques de fin et d’ouverture n’a jamais semblée aussi incongrue.
D’Amazon à Hulu en passant par Starz ou TBS prochainement (avec Angie Tribeca), ils sont nombreux à s’essayer à la diffusion de saison entière. Avec une force de frappe qui se propage exponentiellement, Netflix est aujourd’hui aux premières loges pour faire bouger les frontières de la série contemporaine.
Notes:
- Scores par diffuseurs à voir sur Quartz.
- Hollywood Foreign Press Association (HFPA / site officiel).
- Nouveautés 2015 : Unbreakable Kimmy Schmidt, Bloodline, Marvel’s Daredevil, Grace and Frankie, Sense8, Wet Hot American Summer: First Day of Camp, Club de Cuervos, Narcos, Master of None, W/ Bob and David, Marvel’s Jessica Jones, Real Rob, F Is for Family.
- 31 titres annoncés. Pour information, on parle de production scriptée pour faire la distinction avec tout ce qui relève du documentaire et de la « télé réalité ».
- Voir l’étude de Parrot Analytics.
- Source de la citation sur le THR.
Crédits Photo : © 2015 Netflix
Netflix est la première entité de production/diffusion de contenu qui a compris ce qu’est Internet : une ramification de l’esprit humain et non un lieu.
Internet est une dimension dans laquelle l’espace et le temps n’existent pas ou est lié à cel(le)ui qui y voyage. Les anciennes formes de narrations basée sur la temporalité télévisuelle avec ses exigences d’audimat pour maximiser l’impact publicitaire – puisque c’est d’abord la fonction de la télévision que de vendre de la publicité – n’ont plus aucun sens pour des individus qui consomment du multimedia à toute heure, sur de multiples supports, dans de multiples formats, n’importe où.
Pour quelqu’un comme moi qui n’a plus la télévision depuis prêt de 10 ans, la vie n’est plus régie par les rendez-vous des émissions et autres fictions décidées par les diffuseurs de contenus. Désormais je fais mon programme moi-même selon mes envies, humeurs, disponibilités. Netflix met la totalité d’une saison à disposition ce qui laisse une totale liberté pour le spectateur quant à la façon dont il va découvrir cette saison. Episode par épisode – classique. D’une traite pendant tout un week-end. Par grappes. Dans le sens que l’on veut – ça c’est mon cas. De la même manière que je lis souvent la fin d’un livre après avoir lu le premier chapitre, j’applique souvent le même procédé aux séries.
Ce qui est important c’est que désormais, on n’emploie plus le mot télévisé après le mot série pour parler la fiction sérielle. Et c’est tant mieux.
Personnellement, la première et principale qualité de Netflix est d’exister. D’offrir une alternative dans la construction et le rapport au temps.
Maintenant, je n’aimerai pas que la politique Netflix devienne la « nouvelle norme ». J’aime la série pour son aspect séquencée, l’attente forcée, entre deux épisodes et pas selon une discipline personnelle, j’aime l’idée d’un rendez-vous régulier, j’aime la discussion que l’on pourrait avoir entre deux épisodes, le fait d’être synchrone par la force des choses,…
Netflix (et autres services de SVOD) offre une alternative. Et peux sont les séries qui ont réellement profité de cette diffusion en bloc. La plupart des séries sur Netflix pourraient être diffusées sur une chaîne de télévision (sauf sense8 peut-être), les auteurs n’ont pas encore pris pleine possession du diffuseur et c’est excitant.
Je suis tout à fait d’accord avec Guillaume sur le fait que le rythme hebdomadaire (ou autre) est une richesse dans le sens où il permet cette interaction entre sériephile mais aussi une réflexion. Certaines séries peuvent s’avaler goulument et d’autres nécessitent un temps de digestion après chaque épisode. Je ne souhaite vraiment pas que l’une provoque la disparition de l’autre !
Cela dit, j’ai beaucoup de mal à me fixer sur un horaire précis chaque semaine. Le replay aide, mais là encore, Netflix est un diffuseur fantastique. En 2015, on a notamment pu voir Better Call Saul et Fargo s2 dans la continuité de la diffusion américaine grâce à Netflix et ce fût vraiment très pratique…