
Bilan : 24, Live Another Day (saison 9)
« Sed fugit interea tempus fugit irreparabile, dum singula amore capti circumvectamur » (1)
Entre la télévision et Jack Bauer, c’est une longue histoire d’amour. Une histoire peut-être un peu longue qui s’est conclue dans l’indifférence et une pointe de désenchantement. Comme ces couples où l’on a cessé de s’aimer, rongé par la routine dans un quotidien gangrené par les mêmes gestes. Quand Jack entre à nouveau dans la petite lucarne, il le fait avec humilité (12 épisodes) et mélancolie. Les retrouvailles impliquent souvent la nostalgie. Quand on préfère mentionner le passé au lieu de penser au présent.
La question du temps est une donnée abstraite dans 24. Si chaque saison figure la folle journée de Jack Bauer et des Etats-Unis, leur position sur une ligne temporelle est diffuse. Plus facile de réveiller quelques personnages en stase dans une chronologie floue. Jack Bauer glisse sur ce temps, où chaque saison est une nouvelle ride sur son visage. Dans Live Another Day, ce visage est renfermé, marqué, usé par de trop nombreux sacrifices. Terne également, comme si sa situation d’apatride éteignait en lui les couleurs de son patriotisme. Jack devient une enveloppe. Une silhouette qui traverserait les épisodes, tout juste guidée par quelques réflexes pavloviens.
Live Another Day figure la promesse des retrouvailles, de l’épilogue comme du nouveau chapitre. Façon de conclure, d’ouvrir une porte, de regarder en arrière. Rétrospective, analyse et compilation semblent animer une saison au caractère singulier. Elle ramène une arrière-garde de la sixième journée (Heller, devenu président, Audrey, l’amour maudit) et avec elle se joue un autre enjeu que ce prétexte d’attentat contre le président des Etats-Unis. Pendant les trois quarts de la saison, nous assistons à un déroulement classique d’une narration menée tambour battant dans laquelle Jack s’escrime à courir après le temps. Un jeu du chat et de la souris qui rappelle l’éternelle poursuite de Bip Bip et le Coyote. Et vient une sorte de reboot à l’intérieur de la saison (principe récurrent depuis la troisième journée, avec plus ou moins de réussite). A partir de là, la série entre dans une spirale hyperbolique. Les évènements se déchaînent, défient toute logique et entraînent la série sur un terrain plus conceptuel que dramatique.
Les scénaristes ont décidé de jouer le jeu des retrouvailles jusqu’au bout. Ramener Heller, réveiller Audrey n’avait rien d’innocent. Avec eux, se rejoue une partition bien connue : la moribonde sixième saison et sa gestion du temps catastrophique. Live Another Day replie le temps sur lui-même et sa démarche jusqu’au-boutiste va conduire la saison à se saborder pour mieux révéler ses qualités. Il faut attendre les trois derniers épisodes pour comprendre. Comprendre la dimension mythologique de Jack Bauer, sa révélation prométhéenne. Les auteurs n’épargnent rien ni personne, ni même des retournements de situation aberrants mais nécessaires pour conduire Jack au banc sacrificiel. Le dernier épisode excuserait presque tous les errements et redondances précédents. D’une cruauté géniale à quelques fulgurances formelles (l’attaque du cargo, un sommet du genre), nous observons, résignés, une histoire étouffée par son besoin de tout relier mais sans quoi l’emphase démentielle n’aurait pas aussi bien fonctionné.
Live Another Day, dans un retournement miraculeux, a réussi à transformer des années d’écueils en une réflexion symbolique. En douze épisodes, c’est tout 24 qui s’est jouée. Comme Joss Whedon fut capable de mettre tout son univers dans les 45 minutes de Dr Horrible’s Sing Along Blog. Un geste radical, perfectible au point d’en devenir attachant par son acharnement à répéter les mêmes erreurs. Et dans ce tableau, le spectre Bauer traîne son fardeau, attaché à un monde auquel il n’appartient que sous la forme d’un symbole, d’un murmure, d’une vengeance. Entre le mythe et Job, quel autre personnage a atteint cette puissance évocatrice d’une chair sacrifiée ?
(1) : « Mais en attendant, il fuit : le temps fuit sans retour, tandis que nous errons, prisonniers de notre amour du détail » (Virgile, Géorgiques, livre III)24 : LIVE ANOTHER DAY, saison 9 Avec : Kiefer Sutherland (Jack Bauer), Yvonne Strahovski (Kate Morgan), Tate Donovan (Mark Boudreau), Mary Lynn Rajskub (Chloe O’Brian), William Devane (President James Heller)
cette putain de saison, qui commence franchement très mal, se termine en tragédie délirante (la tirade du président Heller est tétanisante) et dans un bain de sang invraisemblable.
La malédiction du personnage de Bauer (au même cœur de cette série), qui sauve 24 de la pure apologie de la torture et de la loi du talion, n’aura jamais été aussi présente que dans ce 9è jour crépusculaire…
Fantastique!
Ah oui quand même…
Je vais faire plus attention à ce que je fume, vu que personnellement j’ai trouvé cette saison naze et inutile.