
30 degrees in february : les secrets de fabrication
Si vous dévorez les pages du Daily Mars (c’est une expression mademoiselle, lâchez mon Mac voulez-vous ?) ou la prose d’autres spécialistes qu’on aime bien (ici et là, notamment), vous savez déjà que 30 degrees in february est une nouvelle jolie réussite de la télévision suédoise. Sombre et mélancolique mais profondément humaniste et irrémédiablement addictive, cette série chorale sur quatre ressortissants suédois décidés à refaire leur vie en Thaïlande a dévoilé certains de ses secrets au dernier festival Série Séries de Fontainebleau. Le 6 juillet, ses principaux instigateurs étaient cuisinés sur scène par Nicole Jamet (scénariste et membre du comité éditorial de Série Séries), livrant quelques confidences assez édifiantes. Liliane, fais les valises, on part en Thaïlande !
Je ne reviendrai pas en détail sur l’intrigue, brillamment résumée ici-même par notre camarade Julia Lagrée juste après la présentation de 30 degrees… lors du festival Séries Mania. Pour les feignasses qui n’ont pas cliqué sur le lien, sachez que 30 degrees in february (30 grader i februari en V.O) n’est pas une série sur la dérive climatique mais plutôt sur celle d’une poignée de suédois expatriés en Thaïlande suite à divers accidents de la vie. Quatre destins parallèles qui, du moins au début des 10 épisodes de cette première saison, ne se croiseront pas durant leur parcours initiatique entre lumière et ténèbres, dans les environs paradisiaques de Phuket où la série a été tournée.
Dans son fun et palpitant roman La Plage, adapté avec plus ou moins d’inspiration par Danny Boyle, Alex Garland avait déjà exploré la fascination occidentale pour les vertus régénératrices de l’ “expérience” thailandaise. Mais l’écriture de 30 degrees… évolue plutot du côté d’Altman ou Sautet, avec un traitement choral à base de tranches de vie douces amères, certe éprouvé mais incontestablement addictif (et parfois très cru). La mélancolie planante et le travail sur les sons, les ambiances (bravo à Mikael Brodin, l’ingénieur du son) font aussi de cette étonnante série un envoûtant trip impressionniste tirant vers le cinéma de Sofia Coppola et plus particulièrement son Lost in translation (proximité du thème oblige). On n’est par ailleurs pas surpris du tout de savoir que notre parrain réalisateur/scénariste (et membre du comité éditorial de Série Séries) Hervé Hadmar est fan absolu de 30 degrees in february, tant la narration et le traitement des personnages nous évoque aussi les errances nocturnes de Pigalle la nuit. Saluons enfin l’excellente direction d’acteurs, tous confondants de naturel et de justesse, suédois comme thaïlandais.
Bref, il est toujours délicat de délivrer un avis général sur la base d’un seul épisode mais après la vision du troisième à Fontainebleau, pas de doute : j’avais très envie de connaître la suite des péripéties tragi-comiques de ces âmes cassées en quête de rédemption ou de renaissance, irrémédiablement attachantes. Précision : le choix de ce troisième épisode comme “vitrine” n’était pas un choix des sélectionneurs de Série séries mais de la production, qui souhaitait montrer aux festivaliers un segment présentant directement les quatre personnages principaux in situ, plutôt que passer par les scènes d’exposition en Suède.
Au cours de la très intéressante (et pas évidente) interview de sept représentants clé de la série* par Nicole Jamet sur la scène du théâtre municipal de Fontainebleau, voici quelques moments retenus par votre poisson rouge from Mars :
– Agé de 42 ans, Anders Weidemann, le créateur/showrunner de la série, est un scénariste maison de la chaîne SVT. Spécialiste de l’Asie du Sud-Est (diplôme de l’université de Lund à l’appui), script doctor depuis 1999, il aurait eu l’idée de 30 degrees in february…. dans une pizzeria, au cours d’une discussion avec le producteur Hakan Hammaren (Fundament Films), qui l’accompagnait ce jour là lors du tournage d’un autre programme pour SVT. Weidemann, qui a vécu pendant deux ans en Indonésie, a bati son embryon de script sur l’importante fréquentation annuelle de la Thaïlande par les Suédois, dont certains décident de refaire leur vie sur place. Contactée par nos soins, l’ambassade de Suède nous a communiqué la statistique de 400 000 visiteurs suédois annuels en Thailande et de 10 000 résidents sur place (chiffres confiés lors d’une interview par l’ambassadeur de Suède en Thailande).
– Le tournage, d’une durée de 150 jours (cinq mois, donc) pour l’ensemble des 10 épisodes, a donné lieu à une véritable migration à Phukett pour les équipes et leurs familles. Environ soixante cinq personnes ont fait le déplacement, dont 22 enfants. La production devait aussi gérer leur scolarisation sur place. L’aventure initiatique n’était pas seulement devant la caméra, mais aussi derrière… Le tournage en Thailande a évidemment permis de substantielles économies de main d’oeuvre – le budget par épisode ne s’élève pas au delà de 500 000 euros.
– Les scripts, tous visés au préalable par la censure thailandaise, pouvaient à peu près tout se permettre sauf deux choses : être injurieux vis à vis du roi et des moines. Un émissaire du gouvernement était présent chaque jour sur le plateau pour vérifier le respect par la production de ces conditions. Selon les producteurs, une toute petite poignée de modifications mineures ont été apportées aux scripts.
– Les excellentes audiences de 30 degrees in february en Suède (34% de part de marché en moyenne sur SVT) ont surpassé les espoirs de la chaîne et convaincu les auteurs et la production de plancher sur une seconde saison, en cours d’écriture. “Oui, c’est une série assez sombre mais en même temps, le public s’attache à ces personnages qui se battent” résume le producteur Larss Petersson, de Fundament Films. On confirme : au risque de nous répéter, en un seul épisode, l’addiction suscitée par les héros de 30 degrees… est assez foudroyante. La trame de la saison 2 reprendrait la continuité de celle de la première – mais le producteur Martin Persson (Anagram), très bavard, a confié en fin d’interview que deux personnages clé allaient passer l’arme à gauche. Stefan Baron, patron de la fiction sur SVT, lui a coupé la chique assez rapidement… La décision définitive d’entrer en production n’avait pas encore été prise au moment de cette conférence.
– Il ressort une idée constante dans les témoignages des intervenants : la fluidité du processus de gestation. Le diffuseur SVT aurait rapidement donné son feu vert à partir d’un simple synopsis et d’une “mood tape” (document vidéo à base d’images résumant l’identité visuelle de la série). Selon Larss Pettersson, “les relations des producteurs avec les médias sont faciles chez nous, il n’y a pas de structure pyramidale et à SVT, il n’y a que trois décisionnaires pour la fiction”. Sur place, le showrunner et les différents réalisateurs qui se sont succédé sur 30 degrees… (dont Peter Schildt, le principal d’entre eux) vivaient dans des bungalows voisins et se consultaient au quotidien. Contrairement à la France, où la tentation de comportement du “petit chef” et une prégnance du paternalisme autoritaire continuent de parasiter la créativité, il semble que la mentalité suédoise favorise davantage l’esprit d’équipe et de proposition. A en croire les intervenants de la conférence, même le second assistant réalisateur voyait certaines de ses suggestions écoutées.
– 30 degrees in february est aussi un immense succès critique en Suède, où elle a remporté l’an passé le “Kristallen” (l’Emmy suédois) de la meilleure série dramatique, devant The Bridge et Wallander. Hé ouais, quand même !
– Amusant : après avoir visionné lors du dernier Mipcom à Cannes une bande démo de 30 minutes de la série, le représentant d’une société américaine s’est montré plus qu’enthousiaste pour l’achat du format en vue d’un possible remake pour les Etats-Unis. Durant la discussion avec les producteurs, il aurait précisé adorer ce concept mais se demandait s’il ne serait pas possible d’intégrer dans l’intrigue… une invasion de zombies. Bizarrement, les négociations ont tourné court. A ce jour, 30 degrees… a été vendue et/ou diffusée au Danemark, en Finlande et en Grande Bretagne.
– Bon, Arte, tu te réveilles et tu nous diffuses ça presto bien comme il faut avec la campagne de comm’ qui va bien, Real Humans style ?
*Peter Schildt (réalisateur) ; Mikael Brodin (ingé son) ; Hakan Hammaren, Larss Petersson et Agneta Jansson Bergenstrahle (producteurs, Fundament Films) ; Stefan Baron (directeur des programmes fiction et sports, SVT), Martin Persson (producteur, Anagram)