On A Lu…. Les Aventures d’Hergé de Jean-Luc Fromental, Bocquet & Stanislas

Note de l'auteur

L’histoire : C’est l’aventure de l’homme qui a inventé les aventures du petit reporter. De sa jeunesse chez les scouts jusqu’au dernier jour de sa vie, nous suivons en bande dessinée la vie du papa de Tintin et à travers lui celle d’un siècle rempli de bouleversements. Loin de la figure du bon génie créatif, nous découvrons l’image d’un homme faillible et rongé par le doute et dont les rencontres nourriront constamment son œuvre principale.

Mon avis : En proposant une édition augmentée de la biographie écrite par José-Louis Bocquet, Fromental et dessinée par Stanislas, Dargaud nous donne l’occasion de (re)découvrir la vie d’un des artistes les plus important du XX^ème siècle. Biographie non-autorisée, Les Aventures d’Hergé ont, de fait, la possibilité de proposer une vision probablement plus nuancée et plus intéressante que la version officielle.

Synthèse remarquable et pertinente d’une vie riche en rencontres et événements, la bande dessinée se divise en plusieurs chapitres correspondant à une année particulière de la vie de l’auteur autour de laquelle Bocquet, Fromental et Stanislas vont broder un récit mettant en valeur l’ambiguïté d’un homme pétri de doute. Évitant le didactisme ennuyant propre au genre biographique, les auteurs assument leur travail de fiction et jouent sur la forme de leur œuvre pour mieux en faire ressortir l’histoire de l’auteur. Les Aventures d’Hergé, c’est un peu le biopic qui explique à la majorité des films de ce genre ce qu’il faut faire pour créer une histoire intéressante. Ainsi, Bocquet et Fromental tiennent leur sujet et n’en dévient jamais tandis que Stanislas construit un dessin en adéquation avec le propos. Et bien que l’on aurait apprécié une évolution graphique plus appuyée accompagnant à la fois la vie de l’auteur et l’évolution de son travail, force est de reconnaître que le tout tend vers une rigueur formelle impeccable.

En mettant en lumière, dès le départ, le mystère entourant la paternité du père d’Hergé, Bocquet et Fromental posent les bases d’un récit jouant alternativement sur le travail marquant d’un homme et sur un certain désespoir qu’il le transperce. L’homme qui, par le biais de ses personnages, a donné du bonheur à des millions de gens est un homme portant une immense tristesse en lui. Une tristesse qui rend le personnage à la fois tragique mais également antipathique voire pitoyable. Biographie non autorisée, la BD peut se permettre de mettre en évidence les liens conflictuels avec des collaborateurs célèbres (Edgar P. Jacobs, Jacques Martin) qui furent déterminant dans le succès de Tintin sans qu’Hergé ne les en remercie convenablement. De la même façon, on peut se rendre compte à quel point les deux femmes d’Hergé eurent un rôle créatif essentiel chez celui-ci et à quel point l’incertitude vis-à-vis de son premier mariage et ses aventures extraconjugales mettent en valeur un caractère non dénué de lâcheté.

Une ambivalence de l’auteur/personnage à la réputation si importante et au travail si unanimement reconnu qu’il sera déterminant lors d’un moment clé de sa vie et qui offre au récit l’un de ses moments les plus poignants au sortir de la guerre. Le dessin de Stanislas est à ce titre d’une remarquable efficacité. Jouant avec la ligne claire, il s’amuse également à faire du récit tout autant une biographie qu’une œuvre romancée. Les deux aspects se nourrissent l’un de l’autre (comme on peut le voir lors de la promenade d’Hergé et Tchang) et permettent de faire passer de manière ingénieuse l’idée que l’entourage d’Hergé fut une source importante d’inspiration pour créer l’univers de Tintin. Nombre de passages sont ainsi tout autant la description de faits réels qu’un décalque de scènes connues de l’œuvre.

Forme artistique dont on n’a pas encore exploré tout le potentiel, la bande dessinée est sûrement le meilleur écrin pour raconter la vie d’un de ses plus brillants auteurs. Récit passionnant, Les Aventures d’Hergé nous permet de découvrir toutes les facettes d’un homme dont le talent n’occulte pas forcément les mauvais aspects.

Si vous aimez : les bandes dessinés, Tintin, Milou, le capitaine Haddock et les Dupondt.

En accompagnement : la formidable bande originale du film Les Aventures de Tintin : Le Secret de la licorne composée par John Williams.

Autour de la bd : Édition augmentée, Les Aventures d’Hergé propose une couverture inédite mais surtout une tonne de bonus beaucoup plus intéressants.

Extrait : « Bon vas-tu enfin me dire ce que tu penses de ce scénario ? »
« Oui et je n’irais pas par quatre chemins. Je ne compte pas m’en servir, Jacques. »
« Très bien comme toujours je propose et tu disposes. Je ne suis pas ton zélé gagman. Dis-moi ce que tu veux et tu l’auras. »
« Je crains que ce ne soit plus grave que ça. Ça concerne ton esprit. Ta noirceur. Ton cynisme. Tu as une pensée négative, Jacques. Néfaste ! Néfaste à Tintin à tout le moins. »
« Ah oui ? Sans moi, à quoi crois-tu que ressembleraient La licorne, le Trésor et la suite ? »
« Tu n’as jamais eu le moindre respect pour mon travail, mes « petits Tintins ». »
« Mais toi non plus ! Peintre raté, artiste frustré. Je comprends qu’Edgar ait rompu les ponts ! »
« Edgar voulait son nom sur les albums. Tintin, c’est Hergé. »

Sortie : le 22 mai 2015, Dargaud, 96 pages, 17,95 €