Révolte par le détournement musical

Révolte par le détournement musical

Précédemment dans Daily Mashup Mars : “Le mashup est UNE DES PLUS IMPORTANTES REVOLUTIONS DU LANGAGE CINEMATOGRAPHIQUE qu’ait connu notre petite planète Terre depuis la nouvelle vague à la fin des années 50.” … “Narcisse moderne, je me mets à chercher mon visage dans les images des autres.” … “S’il n’était pas parti vers l’infini et au-delà, Warhol aurait été un sacré bon mashupeur !” … “Je serai très heureux de recueillir vos 06 ou vos tomates.”

 

GENERIQUE (retentit un mélange de rock Eagles of Death Metal et de musique classique, d’une beauté impure, aux sonorités à la fois anciennes et modernes)

Qu’on se le dise dans les chaumières, il y a les bons et les mauvais révolutionnaires. Le bon révolutionnaire est un amoureux de la vie, le mauvais est un “amoureux de la mort” – comme le dessine Joann Sfar. Sous couvert de combat pour la pureté, le mauvais révolutionnaire se met à tuer la liberté. Le bon révolutionnaire met à bas l’oppression, le fanatisme et ne s’érige jamais comme modèle de vertu. Quant au bon révolutionnaire mashupeur, une fois qu’il a détruit, il reconstruit. Il s’attaque à une œuvre dans le seul but de lui rendre critique et hommage. Le cinéaste révolutionnaire de la Nouvelle Vague à la fin des années 50 conchiait le “cinéma de papa” qui l’avait précédé. Le cinéaste révolutionnaire du Mashup hurle à la lune son amour pour les films qu’il emprunte. Il les aime tant qu’il s’empresse de leur porter le coup de grâce et de se repaître des entrailles de leurs cadavres fumants. Puis, il les régurgite et les expulse hors de son cœur et de son cerveau impurs avec une nouvelle chair imprégnée d’un métissage de bouts de lui et de toutes ces images qu’il a dévorées. Pour illustrer cette pulsion de vie, une autre métaphore est possible. Je vous la laisse découvrir en images avec ce court mashup réalisé par Lucas Feltain pour l’Encyclopédie du Mashup Cinéma.

J’aime cette mixité dans le mashup. Et comme tout bon révolutionnaire mashupeur qui se respecte, j’aime faire tomber les icônes de leur piédestal. Je dis souvent à mes petits-enfants – que je n’ai pas encore – que le mashup cinéma est une des formes contemporaines du Pop Art. Il est la mise à nu du populaire. Le mouvement Found Footage du cinéma expérimental – je parle là d’Isidore Isou, Ken Jacobs etc., et non du Projet Blair Witch et de REC – avait tendance à prendre le rebut médiatique et l’élever dans la lumière. Le mashup, lui, prend souvent les images hyper médiatisées pour les faire descendre à hauteur d’homme. Il procède donc de cette même entreprise de désacralisation de l’icône que le Pop Art.

 

Les adorateurs des Inconnus le savent bien, la vie sans musique, c’est comme le Père Noël sans ses boules. Or les boules, on les as. Alors, rendons à César ce qui appartient à César et commençons notre passage en revue des désacralisateurs par un Musicless MusicVideo de Mario Wienerroither.

Qu’il soit commercial ou créatif, le clip vidéo est une parure mettant en majesté le chanteur afin qu’il soit adulé. Au-delà de l’humour potache, Les Musicless Musicvideo de Mario Wienerroither rendent les stars moins brillantes mais plus humaines… et donc plus touchantes. Le mashupeur cherche à humaniser ceux que l’on a parfois tendance à diviniser.

Est-ce une insurrection contre le star system qui est également à l’œuvre dans un autre sous genre du mashup, les shreds ? Le sens littéral du mot anglais shred est “déchiqueter”. Comme le dit si bien Jean-Baptiste Gauthier, “préparez-vous à voir vos oreilles saigner de bonheur.”

Diantre ! Si la fin des années 90 a vu éclore dans le monde du vidéoclip d’émotives pépites visuelles – signées notamment par Michel Gondry -, nombreux sont les clips très pauvres cinématographiquement. Substituer à la musique originale tant aimée cette version amateur et mettre ainsi en lumière ce damné de la Terre qui tape dans ses mains ne montrerait-il pas, par l’absurde, que cette illustration visuelle clipesque n’est pas à la hauteur de la musique des Beach Boys ? Attention, ces shredeurs ne dénoncent pas le “mal fait”, bien au contraire. Ils ont passé de nombreuses heures à rivaliser d’ingéniosité pour orchestrer la dissonance et ils font l’apologie de l’imperfection technique comme source valable de rire et d’émotions. Ils militent ainsi contre un lissage cosmétique des images et des sons qui nous entourent. Naturellement, nous pourrions être amenés à penser qu’un film “bien fait” est un bon film. Mais mille sabords, est-ce uniquement cela le cinéma ? Une machine bien huilée capable de nous cacher les sutures pour que l’on y croit ? Combien de films ai-je vu sélectionnés en festivals alors que leurs réalisateurs y récitaient leur petit guide du savoir cinématographique illustré à coups de belle photographie et de travellings maîtrisés. Combien de fois cette maîtrise m’a fait bâiller ? Cela alors que restait sur la touche un autre film plus bancal et tellement plus grandiose et émouvant dans son imperfection. La maîtrise ne peut pas capturer la poésie mais cette dernière se laisse toucher du doigt quand cette première s’accompagne de la liberté. Ainsi, l’âme d’un film m’importe infiniment plus que sa bonne facture.

 

Si le mashup nous rappelle que les puissants du monde médiatique ne sont que des hommes avec leurs imperfections, il aime aussi nous faire entendre que nous, les petites mains et les petites voix, nous avons beaucoup de talent et nous avons le droit à notre heure de gloire. C’est là tout le sens de l’entreprise d’exploration-mixage de Youtube proposé par Kutiman.

Kutiman sillonne l’autoroute des images qu’est Youtube à la recherche de matières premières musicales amateurs qu’il fait briller par un assemblage et une réappropriation.

Cette réappropriation ne se fait pas sans les gens et certaines de ces chanteuses débutantes ont vu leur compte visité par des milliers d’autres inconnus. Mais, au-delà de cette gloire éphémère, Kutiman donne toute sa signification à ce site de partage vidéo.

Alors que certains l’utilisent pour diviser, diffuser la haine et le quant-à-soi, ce mashupeur met toute la musique qu’il a en lui pour marier des univers visuels et musicaux très divers, pour faire résonner ensemble la guitare électrique et le clavecin, le ukulélé et la cithare, le gong et les maracas. Rapprocher les gens, n’était-ce pas le rêve des concepteurs d’Internet ?

 

Il nous faut continuer à rêver, tout en regardant les choses en face. En hommage à toutes les personnes disparues lors de ce vendredi 13 novembre 2015, je vous propose de regarder Who by Water de Bill Morrison.  

La force de ce film est de ne pas nous dire ce que l’on doit y voir. Bien sûr, certains éléments de réalisation nous aiguillent, notamment la puissance dramatique de la musique de Michael Gordon. Mais Bill Morrison nous laisse nous construire notre propre histoire en fonction de notre vécu et de notre imaginaire. Pour ma part, j’y vois des gens qui regardent leur destin funeste droit dans les yeux. Ou les fantômes de gens morts lors d’une traversée. Aujourd’hui, je n’y devine plus le Titanic comme la première fois que j’ai vu ce film. Je vois le Bataclan, le Stade de France et aussi tous ces migrants fuyant le terrorisme qui fait rage dans leur pays mais qui mourront en mer. Le terrorisme a attaqué Paris et ses habitants vendredi. Il a aussi attaqué Beyrouth. Nous devons mener une guerre contre le terrorisme islamiste mais nous devons la faire avec toutes les composantes de la société française et les pays amis du monde libre. Le mashupeur ne peut pas grand-chose dans ce combat. Il peut cependant transformer un film d’horreur en … 

The Shining Recut nous montre que le montage d’images peut nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Ne serait-il pas utile de montrer de tels mashup à tous les jeunes lycéens ? Ne seraient-ils pas alors moins naïfs quand arriveront devant les yeux de certains les montages de Daesh les poussant à faire le djihad ?

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