
Music Mini Review : Abbath (Season of Mist)
L’album s’ouvre avec le bruit de bottes martelant le sol et un titre qui annonce la couleur : To War ! L’ambiance est lourde, martiale et brutale. Un peu death metal sur les bords. Un coup d’œil jeté sur le nom du producteur, Daniel Bergstrand, nous confirmera l’impression. L’homme est connu pour ses travaux avec In Flames, Soilwork mais surtout Behemoth (Demigod, Evangelion). Et c’est tout le titre qui se teinte de cet aspect blackened death massif des célèbres polonais. Olve Eikemo (le nom civil d’Abbath) a chaussé les bottes et semble partir à la guerre. De là à voir un message caché adressé à ses anciens collègues d’Immortal…
Abbath Doom Occulta et Demonaz Doom Occulta (aucun lien de parenté, si ce n’est que le premier a épousé la sœur du second) ont cofondé Immortal après une précédente collaboration dans le groupe de death metal Old Funeral. L’histoire raconte que c’est Euronymous (Mayhem) qui a initié Abbath au black metal, qui s’est ensuite appliqué à passer le relais à Varg Vikernes (Burzum), membre également de Old Funeral. Dès les premiers EP, Immortal s’est tenu à l’écart du célèbre Inner Circle (association menée par Euronymous qui regroupa des membres de Darkthrone, Mayhem, Emperor, Gorgoroth, Burzum, dont les faits de gloire seront l’incendie de plusieurs églises norvégiennes). Peu adepte des orientations satanistes, Demonaz, qui signe les textes, préfère s’orienter vers les légendes nordiques, l’hiver et la nature inhospitalière de la Norvège.
C’est le début d’une longue histoire semée d’embûches dans laquelle Abbath dut parfois occuper les postes de bassiste, guitariste, batteur, claviériste et chanteur. Une géométrie variable poussée par la recherche d’un batteur après la mise à la porte du premier (Armagedda) et une tendinite sévère qui obligea Demonaz à raccrocher la six cordes. Immortal est néanmoins entré dans la légende du black metal comme l’un de ses plus talentueux représentants et pour son style inimitable.
Seulement les plus belles histoires ont une fin et dans le cas du groupe de Bergen, elle s’est déroulée en deux temps. Un premier coup d’arrêt en 2003 après la sortie de Sons of Northern Darkness, résultat d’un divorce entre le batteur Horgh (Reidar Horghagen) et Abbath, puis un second, définitif (?), après un All Shall Fall (2009) qui avait, semble-t-il, rallumé l’étincelle. Entre les deux, Abbath a sorti un album solo (I – Between Two Worlds, 2006) en compagnie de King Ov Hell (Gorgoroth) à la basse, Ice Dale (Enslaved) à la guitare et Armagedda à la batterie ; Demonaz en 2011 sortit également un disque (March of the Norse) sur lequel on retrouve Armagedda et Ice Dale (le monde est petit). Immortal, I et Demonaz créaient ainsi une galaxie intéressante dans laquelle s’exprimait, dans des sensibilités légèrement différentes tout le spectre de l’imagerie nordique faite de guerres épiques et d’ambiance glacée. Le black thrashisant de Immortal, le black’n heavy de I et le vicking metal de Demonaz (sous influence Bathory) montraient des talents complémentaires, sans redondances mais avec une identité forte.
Après une longue absence, Immortal a fait parler de lui l’année dernière dans des circonstances guères joyeuses. Abbath s’est épanché sur son départ volontaire. D’après lui, les conditions n’étaient pas optimales pour l’avenir du groupe et les emplois du temps respectifs ont conduit l’écriture d’un nouvel album dans une impasse. C’est rempli d’émotion, de frustration qu’on lit l’homme sur les circonstances malheureuses du split ; l’indisponibilité des membres, le manque de conviction et de dialogue de Horgh et Demonaz en ligne de mire, quand le frontman ne cherchait qu’à produire davantage de musique et réaliser des tournées. On imagine déjà le tableau, de ces groupes qui meurent progressivement parce que la magie n’y est plus et Immortal nous aura épargné les albums tièdes des fins de règne qui fleurent bon le désœuvrement. Si All Shall Fall n’inventait pas la roue, s’y trouvaient des titres explosifs.
L’histoire ne s’arrête pas là, et il faudra l’intervention, via communiqué de presse, de Demonaz et Horgh pour entendre une autre version. Forcés de garder le silence, les deux hommes parlent au nom de Immortal. Le groupe n’est pas mort et entend bien sortir un album cette année. Abbath a peut-être omis de mentionner sa tentative de récupérer la propriété du nom Immortal ainsi que du logo. Sa demande a été déboutée par le Norwegian Industrial Property Office (Patentstyret en vo) au titre qu’il n’était que cocompositeur de la musique et n’a jamais contribué à l’écriture des paroles et titres des albums. Le communiqué ajoute : « The fact is that the music has always been a result from the band as a unit » et Immortal restera aux mains de Demonaz. Les deux hommes ajoutent que si conflit il y a eu, Abbath demeure le seul fautif, répétant que ses « problèmes personnels » ont conduit à une confrontation directe suite à ses désaffections successives. Une première solution semblait avoir été trouvée, conduisant le frontman dans un centre de réhabilitation, mais, toujours selon le groupe, il aurait changé d’avis au dernier moment.
Face à des annonces de plus en plus confuses sur les réelles circonstances de son départ / éviction, Abbath entend replacer la musique au centre de l’attention et repartir sur des bases plus saines. Son nouveau projet s’appellera sobrement Abbath et prendra des allures de groupe à part entière quand King Ov Hell procède à l’embarquement. Les deux hommes apparaîtront comme la figure de proue (l’un à la composition, l’autre à la gestion), laissant le batteur derrière un masque et un étrange pseudonyme : Creature. Commencera un petit jeu pour trouver l’identité du frappeur de fûts. Baard Kolstad fut d’abord annoncé dans la presse. Choix plausible puisqu’il officiait déjà au poste sur le précédent groupe de King, God Seed (avec Gaahl ex-Gorgoroth au chant). Finalement, si l’idée était de conserver le mystère jusqu’à la sortie de l’album, l’information est révélée, c’est Kevin Foley (Benighted, groupe de brutal death metal) derrière le masque conçu sur mesure.
Cette idée d’un membre mystère n’était peut-être pas une façon de surfer sur la vague Ghost mais de garder l’idée d’un batteur-concept, où l’identité importe moins que l’avatar. Chose que semble confirmer l’annonce récente de Kevin Foley concernant son départ du groupe après six mois d’activité (des concerts et l’enregistrement de l’album). Ajouté au retrait de Per Valla (guitariste live), on se pose des questions quant à la stabilité de l’entreprise et si, finalement, Demonaz et Horgh n’avaient pas torts sur les « problèmes personnels » d’Olve Eikemo.
Auréolé d’une gestation compliquée, d’un léger parfum de souffre, c’est fébrile que nous lançons la première écoute de l’album éponyme. Comme annoncé en début d’article, l’introduction belligérante montre le caractère implacable de son auteur, aidé par une production soignée aux accents trapus. Si l’on reconnaît l’écriture si distinctive d’Abbath, le passage entre les mains de Daniel Bergstrand nous convie dans une autre ambiance, plus vindicative. Il faut avouer que, s’il n’y a pas grand-chose à reprocher à la collaboration entre Immortal et Peter Tägtgren (producteur sur les quatre derniers albums, également tête pensante du groupe de death mélodique Hypocrisy), une monotonie s’était installée jusqu’à ressentir une légère fatigue à l’écoute du bruyant All Shall Fall. On remarque également que l’approche de Kevin Foley diverge de Horgh avec un jeu plus massif et brut quand le Norvégien semble parfois tentaculaire. Des différences bienvenues qui, si elles ne peuvent évacuer le fantôme Immortal et la comparaison obligatoire, permettent d’échapper au piège du mimétisme.
Les réminiscences death, on les retrouve sur des titres comme Fenrir Hunts ou encore Eternal. Riff répétitif et batterie pilon convergent vers des formes implacables, façon rouleau compresseur tout juste aéré par quelques motifs propres aux compositeurs qui rappellent que nous sommes en présences d’Abbath. À côté, des titres plus groovy (Winter Bane, qui aurait pu figurer sur un album d’Immortal, Count the Dead), plus mi-tempo / lourd (Ocean of Wounds, Root of the Mountain) constituent un album agréable, familier sans trop l’être mais qui n’offre aucun uppercut et ne déstabilisera pas les connaisseurs (sauf le clairon bontempi sur Ashes of the Damned).
Abbath évite les principaux pièges dressés devant lui. Il contourne avec intelligence l’obstacle mais ne sort pas tout à fait victorieux de l’exercice. L’expérience I dressait une évolution dans la continuité quand Abbath tente une émancipation forcée et à moitié réussi. On ressent l’urgence de sortir au plus vite un matériel trop longtemps macéré jusqu’à devenir presque quelconque ; de manquer de recul dans le dernier geste pour ajuster, régler, travailler davantage la forme afin de s’extraire d’un héritage imposant. Si Abbath exprime la réalité de groupe, avec ces discussions, ces dialogues, son écriture reste encore trop sage et classique pour espérer couper les ponts.
Pour un premier coup d’essai dans des circonstances nébuleuses, Abbath délivre des compositions solides, bien aidées par une production qui privilégie la masse à la subtilité. Un choix pertinent pour exprimer différemment des intentions familières et qui entend salir le jeu de guitares d’Abbath. Olve Eikemo a donné le coup d’envoi, on verra comment Demonaz et Horgh vont répondre.
Abbath (Season of Mist), sorti le 22 janvier 2016.
©Crédit Photo : Abbath, Season of Mist