
Adam & Eve : l’amour à trois temps
Adam et Eve sont jeunes. Et ils s’aiment. Infiniment. Comme tous les couples jeunes qui commencent à s’aimer. Et ils ont pleins d’illusions. Il sera un grand metteur en scène de cinéma à Hollywood. Elle sera médecin. Ils sont tous deux persuadés de s’aimer aussi intensément jusqu’au bout… Malheureusement le temps qui passe n’est guère indulgent avec les idéaux. Le téléspectateur va en avoir la preuve en étant témoin de trois âges de la vie de ce couple : jeune, mûr et vieux. Adam et Eve s’aimeront-ils vraiment toujours « au temps » ?
Avec un tel concept (en un épisode d’un peu plus de 20 minutes, on voit en effet Adam & Eve à ces 3 périodes distantes de leur vie commune !), je m’attendais à une plongée façon Boyhood dans l’amour à deux, avec tous les questionnements vertigineux liés à l’érosion du temps, cherchant avec anxiété des réponses à mes angoisses bien normales de « jeune vieux ». Mais justement un concept aussi ambitieux sur le papier se devait d’être incarné par une narration solidement charpentée pour ne se permettre que la suggestion. Et être raisonnablement fin pour faire jaillir l’émotion de saynètes par nature déconnectées. Hélas, trois fois hélas, c’est avec une frustration à la hauteur des attentes que je suis obligé de dire que ni Adam, ni Eve n’ont réellement réussi à refléter cet amour du temps perdu…
En entrechoquant directement les périodes (jeune, mûr, vieux) d’une scène à l’autre, la série perd paradoxalement toute dimension du temps qui passe, une dimension narrative pourtant au cœur de son projet. Et en assignant de manière grossière à chaque période une teinte spécifique (l’insouciance pour les jeunes – l’exaspération pour les mûrs – l’apaisement pour les vieux), le scénariste Claude Meunier force tant l’évolution de ce couple et l’enferme dans des cases étanches, qu’il en annihile presque le délicat mécanisme de progression.

Pierre-François Legendre et Sophie Cadieux jouent trois versions différentes d’Adam et Eve – © radio Canada
Trop systématique donc globalement, ce procédé se retourne en outre contre chaque épisode. Chaque chapitre est en effet l’occasion d’aborder une thématique (la passion, la jalousie, les fantasmes…), à charge pour le couple de montrer comment ces problèmes sont abordés à trois périodes de la vie. Malheureusement au bout de quelques épisodes, on comprend vite et trop bien la mécanique. Ainsi une aspiration idéale formulée dans la jeunesse trouve son écho dans une scène du futur puis sa conclusion en quelque sorte chez les vieux. Et comme chaque période de la vie a sa teinte spécifique, on devine même comment cette aspiration sera abordée. Automatiquement la série perd tout effet de surprise, d’autant qu’elle ne se permet que trop tardivement de jouer avec ce schéma bien, trop bien huilé.
Sans perception du temps, engoncée dans son mécanisme narratif et parfois plombée par des scènes vraiment trop caricaturales (mention spéciale à l’épisode où les personnages imaginent les périodes auxquelles ils auraient bien aimé vivre, et plus particulièrement à la scène avec les Hippies !), la série se vide naturellement assez vite de ses émotions potentielles. Un comble lorsque se joue devant nos yeux la vie d’un couple ! Une vraie frustration face au gisement de larmes (de joie et de tristesse) ruisselant probablement sous toute cette vie.
Heureusement de ce marasme surgit parfois tout de même un miracle et Adam & Eve réussit à nous cueillir fugacement. Et à créer de l’émotion… quand elle s’éloigne justement de son concept et laisse opportunément du temps à ses personnages. C’est le cas dans l’épisode 9, intitulé « L’Aventure », dans lequel on assiste aux tentations charnelles d’elle et lui. On voit alors la « vieille » Eve séduite par un homme lui contant joliment fleurette devant un Adam souffrant en silence caché dans un buisson à proximité. Une aventure sans lendemain et tragique révélant, dans un dernier acte tout en finesse, en retenue et en non dit, tout l’amour qui unit solidement le couple. Ayant pris une sacrée épaisseur à partir de cet épisode, le couple de « vieux » ramène dès lors avec lui chaque fois qu’il revient à l’écran cette charge émotionnelle créée précédemment, mêlant la tristesse de la vie qui s’achève et des occasions regrettées. Ils deviennent dès lors des personnages indépendants d’une série au concept désormais hors sujet, le vrai centre de gravité émotionnel d’Adam et Eve. La fabuleuse dernière scène de la série, la seule de toute l’œuvre de Claude Meunier à oser vraiment jouer avec son rigide concept des 3 périodes de la vie, est d’ailleurs une preuve puissante de ce beau déséquilibre.
J’ai tellement désiré aimer Adam & Eve. Je suis triste de ne pas être tombé amoureux…
Adam & Eve (2012)
Série de Claude Meunier
Avec Pierre-François Legendre, Sophie Cadieux, Patrice Bélanger, Marilyn Castonguay…
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