
Indépendance précaire (Critique des episodes 2.01 et 2.02 de Marvel’s Agent Carter )
L’année dernière, Marvel’s Agent Carter a su marquer de manière très honorable son empreinte (ou son talon pourrait-on dire) au sein de l’univers cinématique Marvel. Une première saison enlevée, distrayante, amenuisée parfois par quelques maladresses narratives, mais finalement pleine de charme. Toutefois, si le film Captain America a su confortablement introniser le personnage de Peggy Carter (Hayley Atwell), quel avenir lui offrir désormais ? Maintenant libérée de son veuvage envers la légende vivante, ainsi que de toute accusation de trahison envers ses pairs, la série se doit de lui offrir une émancipation scénaristique convaincante. Un contrat à moitié rempli malheureusement.
Changement de cadre pour miss Carter. Adieu New York et ses dédales grisâtres. Le crime se combat désormais à Los Angeles, la ville chère au maître des romans policiers, Raymond Chandler. Une filiation qui n’a rien d’anodine. Comme le sous entend le titre de la première partie de cette reprise « The Lady in the lake », il réfère directement à l’œuvre éponyme du célèbre auteur qui se déroule dans la cité des anges*. Les scénaristes Tara Butters et Michele Fazekas cherchent avant tout à porter une partie des conflits de leur série dans des registres très différents. Le 7ème art, le luxe, le paraître procure alors une autre physionomie à la série, en opposition absolue avec les relents crasseux que véhicule la Grosse Pomme. Une volonté intéressante, qui cherche donc à relancer une dynamique nouvelle, où le contexte offre à Agent Carter la possibilité de jouer sur plusieurs thèmes, dans lesquels cohabitent romance, fortune et gloire. L’autre perspective alléchante de déplacer l’intrigue à Los Angeles consiste à introduire le spectre nucléaire en toile de fond, là où de nombreux conglomérats scientifiques de l’époque ont pris leur essor au sein même de la ville pour y favoriser des expériences dans le domaine.
Le souci dans ce désir de transition, plutôt bien pensé il faut l’admettre, c’est le manque de tenue générale de la trame globale. Cherchant à redéfinir le genre noir dans un cadre post Seconde Guerre mondiale, l’intrigue peine à garder un semblant d’homogénéité dans ce nouveau decorum. Sautant d’un pied vaillant dans une enquête sordide sous fond de serial killer, puis de deux dans un mystère complètement paranormal, Agent Carter produit ainsi une marelle des genres un peu branlante à l’arrivée (en talons, forcément…). Plus dommageable, la fibre romantique qui lie l’ensemble de l’histoire n’aide pas à l’appréciation de l’entreprise. Donner un nouvel élan à Peggy Carter et à Daniel Sousa (Enver Gjokaj) au sein d’un triangle amoureux est en soi louable et nécessaire. Mais en ne l’employant pas tout le temps à bon escient, la série peine encore un peu plus à faire fonctionner la multiplicité des différentes tonalités de manière convenable. Le trop est l’ennemi du bien dit-on. Un adage ici qui sied on ne peut mieux à Agent Carter.
Mais cette reprise sait aussi maintenir les qualités qu’elle nous a légué la saison précédente ; comme cette ambiance de bon aloi que l’on aime à retrouver, ses atours, encore plus soignés, et surtout, le soin prodigué à ces personnages que l’on a appris à apprécier, avec la même élégance qui les caractérise. Par la force des événements, c’est d’ailleurs presque la totalité du cast qui répondra présent.
Si le flegmatique et fringant Edwin Jarvis (James D’Arcy) brille une fois de plus par sa connivence intacte avec Peggy, la surprise vient surtout de sa femme, Ana (Lotte Verbeek), qui apparaît pour la première fois à l’écran. Volubile et pimpante, la demoiselle développe auprès de l’espionne du S.S.R.** une amitié nouvelle mais aussi de substitution (Angie étant à New York) et complète ainsi l’image que la saison dernière nous laissait imaginer à son encontre. Intelligente, son amour sans équivoque avec Jarvis, nous évite une jalousie malvenue envers Peggy Carter, qui aurait entériné la série dans des effluves soapesques parfaitement dispensables.
Plus étonnant, les retrouvailles tumultueuses avec Dottie Underwood (Bridget Regan) surprennent par la promptitude avec laquelle elles se voient terminées. Passé un goût de déception vite évacuée, l’espionne de Leviathan, maintenant récupérée par le F.B.I., semble surtout promise à un futur plus ambitieux qu’à une énième confrontation simpliste contre Carter. Une alliance obligatoire entre les deux femmes est-elle à venir ? Quant aux autres membres du S.S.R. justement, tels que Sousa et Jack Thomson (Chad Michael Murray), si leur progression dans la hiérarchie leur confère plus de pouvoir et d’autorité qu’auparavant, elle paraît déjà bien compromise par la présence d’un antagoniste majeur, Vernon Masters (Kurtwood Smith). Le S.S.R. lui-même, conçu pendant la guerre, est devenu obsolète et vieillissant à entendre ce dernier. Manipulateur, le personnage offre aussi une manière astucieuse de préparer le terrain pour accueillir le S.H.I.E.L.D. d’ici quelques saisons à venir… ou pour conclure définitivement la série en cas d’annulation.
Au-delà des appréciations globales, nous ne nierons pas non plus la paresse narrative que l’on voit naître dans son ensemble. Car pour peu que l’on suive de très près la série Agents of Shield, nous pouvons y constater au mieux des ramifications pertinentes, au pire, un sacré manque d’imagination. Agent Carter attelle son univers avec une nouvelle composante, la » Zero Matter». Il s’agit en fait de la réutilisation d’une même force négative, vraisemblablement cosmique, déjà rencontrée par les membres de Coulson et son équipe dans l’épisode 1.19 ( » The Only Light in the Darkness »).
Cette puissance, dont la dénomination exacte à notre époque se nomme, tout comme le comics, la Darkforce (sic) réfère aussi à un semblant de même intrigue. Dans A.O.S., l’équipe affronte Marcus Daniels, un individu capable de maîtriser cette dernière. À l’image du cliffhanger du second épisode d’Agent Carter, nous découvrons que Whitney Frost (Wynn Everett), nouvelle itération de Madame Masque, se parera de la même capacité. Un parallèle a priori pas bien méchant mais qui possède un air de redite un peu désobligeant. Autre exemple du même acabit : l’introduction d’un groupe conspirationniste, le Arena Club, dont les scénaristes elles-mêmes jurent d’ailleurs qu’il ne s’agit pas (encore ?) d’Hydra. Leurs intérêts devraient néanmoins converger, pas sur la même idéologie tout du moins, mais en visant les exacts et mêmes objectifs : renverser l’ordre établi. En somme, rien de bien neuf…
Cette obligation de liaison un brin maladroite entre les différents titres de l’univers partagé de Marvel questionne donc véritablement. En se servant d’un double pont scénaristique via Agents of Shield, il est bon de se questionner sur les fondamentaux de la série. Peut-elle finalement vivre par elle-même et non par procuration dans des oripeaux dramaturgiques à venir ? Et le 7ème art ne fait pas exception à la règle. Car si Agent Carter a su désormais se délivrer du pesant héritage de Steve Rogers, elle donne pourtant l’impression de retomber de plus belle dans les mêmes travers au regard de sa filiation directe avec le futur film Docteur Strange, qui mettra en exergue la fameuse darkforce.
De là à dire que Agent Carter servira de vitrine potentielle pour le maître des arts mystiques, nous n’y songeons pas encore, mais subsiste un doute tenace malgré tout. Seule l’exposition de cette saison dans son entier dévoilera si cette tonalité paranormale aboutira à quelque chose de plus ambitieux, ou si elle retombera comme un soufflet, telle une bourrasque promotionnelle mal dissimulée.
Il est certainement un peu prématuré pour conclure sur le devenir d’Agent Carter. Si la reprise d’une saison ne définit pas pour autant sa qualité globale, rappelons qu’avec encore huit épisodes à venir, la série a encore les coudées franches pour s’acquitter correctement de ces quelques casseroles maladroites. À l’instar de Peggy en fait, Agent Carter doit donc s’émanciper pour prouver qu’elle peut se forger une identité durable et unique, afin d’exister véritablement, sous peine d’être l’esclave permanent d’un univers partagé qui absorbe tout sur son passage.
* Cette seconde saison commence en 1947, année où « The Lady in the lake« est paru
** Abréviation de Strategic Scientific Reserve ou Section Scientifique de Réserve
(Agent Carter – ABC)
2.01 – The Lady in the lake / 2.02 – A View in the Dark
Série développée et showrunnée par Tara Butters, Michelle Fazekas et Chris Dingess
Scénario : Brant Englestein, Eric Pearson & Lindsey Allen
Réalisation : Lawrence Trilling
Distribution : Hayley Atwell, Dominic Cooper, Enver Gjokaj, Chad Michael Murray, James D’Arcy
même ressenti général sur ce season premiere , et la question qui se pose, quel direction prendra la série en terme d’arc scénaristique.
– un X file post seconde guerre mondiale allant vers la création du shield?
– un prequel de Hydra de la saison AOS en cours.
– l’apparition des premiers mutants (radioactivité?)
– leviathan ou Hydra ou autres menaces mondiales (Kree)
bref dans un monde sans super heros, il va falloir qu’Agent Carter développe sa propre histoire sans tout mélanger.
Reste Aley Atwell, fantastique de part sa présence à l’écran qui porte, avec James D’arcy, la série en attendant un développement scénaristique qu’on espère accrocheur.