
Alexandre Astier à La Rochelle : « Je veux fabriquer moi-même, produire moi-même »
Les propos d’Alexandre Astier ont été recueillis par Julia Lagrée lors d’une table-ronde qui réunissait une dizaine de médias, dont Allociné, le blog série de La Libre Belgique et Le Parisien (1). La retranscription a été réalisée par notre Fil-Info-Man : In The Blix.
Alexandre, comment avez-vous réagi quand Quentin Raspail (créateur du Festival de TV de La Rochelle, ndlr) vous a proposé cette mission ?
ALEXANDRE ASTIER : Bien… Pas mal en tout cas, c’est une responsabilité car je sais que les prix ont une certaine importance dans notre métier. Enfin, il y a des gens pour qui ça compte et des gens dont les œuvres sont mises au grand jour. Donc, il ne faut pas se planter et j’ai pris ça assez au sérieux.
Dans quel état est la fiction française selon vous ?
Ça dépend de ce que je vois. (Rires.) Tout n’est pas au même niveau. Il y a des choses qui sont très encourageantes ou très modernes, il y a des choses qui tentent des saillies. Il y a tout de même un petit vernis qui reste sur certaines autres, une espèce de goudron dans lequel on aurait les pieds qui fait qu’il y a quelques bricoles un peu ringardes. Notamment quelques concepts, quelques erreurs qui sont faites sur ce qu’est un héros, ce qu’est une série, sur ce qu’est une structure. Il y a des choses qui sont simplement de l’ordre de la méconnaissance… Parfois.
Grâce à Kaamelott, les gens vous reconnaissent beaucoup. C’est un marqueur qui restera ancré dans votre vie ?
Oui mais ce n’est pas un problème… Il y en a pour qui c’est plus un souci. On leur tape dans le dos en leur donnant le prénom qu’ils avaient dans une série vieille de 15 ans et qu’ils n’avaient pas écrite eux-mêmes… Là pour le coup, je revendiquerai toujours Kaamelott. Et j’y’ai tellement fait ce que j’ai voulu qu’on peut m’appeler le roi Arthur jusqu’à mes 75 ans – si tant est que j’y arrive – sans problème.
Que vous disent les fans dans la rue pendant le festival ?
Ils m’appellent Bruno Solo (Rires.). C’est très flatteur, il n’y a pas de problème.
Vos projets ?
Alors, Kaamelott est un petit peu dans une impasse juridique sans trop d’intérêt maintenant. Je suis en train de remettre la situation de la série comme je l’aimerais pour pouvoir continuer. Il y a encore beaucoup de travail. Je développe une série qui s’appelle Vinzia pour Canal Plus. Elle est toujours en écriture. Je développe aussi une série de science-fiction à laquelle je tiens beaucoup mais je ne vais pas vous dire pour qui…
J’ai travaillé beaucoup, cette année, sur un projet de long métrage sur la bête du Gévaudan, notamment dans les archives départementales. J’ai beaucoup bossé sur le terrain, avec les historiens, des éthologues animaux… Et je reprends ma tournée avec mon spectacle, « Que ma joie demeure » sur Bach, lundi prochain, et les toutes dernières seront à Lyon à la salle 3000.
Pouvez-vous revenir sur la notion de ringard dans la fiction ?
Ah, ça vous a plu ! C’est juste que l’on a des vieux réflexes en France, et que l’on continue à faire de vieilles erreurs. Les Américains nous ont permis de comprendre que raconter une histoire pouvait aller bien plus loin que ce que l’on faisait nous. Nous, on avait encore une télé, à une époque, qui était très basée sur la tradition… Nos acteurs fétiches, il suffisait de les mettre à l’écran avec des arches plutôt simples, plutôt lisses et ça allait, quoi. En plus, il y avait de l’audience…
Là il y a une exigence qui demande énormément de technique, une modernité dans l’écriture. Quand je dis moderne, elles étaient modernes du temps d’Aristote mais on les a perdues et il faut les regagner. Ça demande une exigence vis-à-vis de la richesse de ce que l’on raconte, de la perspicacité psychologique des personnages, qui est le cran au-dessus de ce que l’on faisait jusqu’à maintenant. Donc il faut travailler et il y en a qui le font, grâce à Dieu. Mais il y a encore quelques trucs qui nous restent de notre vieille télé et sans vouloir attaquer personne, qui ne sont pas très exigeants.
Parmi ces séries exigeantes, pouvez-vous nous en citer ?
Non car il y en a qui sont là… Il y a des diffuseurs qui recherchent cela, Canal par exemple. Il ne suffit pas de le chercher, d’ailleurs. Ce n’est pas parce que vous allez faire moderne dans le vernis que vous allez l’être. Ce n’est pas parce que vous faites des trucs sombres ou qui utilisent un langage pseudo-brutal… Il ne s’agit pas de vernis, il ne s’agit pas de forme, il s’agit de fond, il s’agit de fabriquer un héros.
On est surveillés par le diffuseur, un peu trop à mon goût. On veut tout de suite mettre des équipes d’auteurs mais la conviction est quelque chose qui se nourrit seul, d’abord. Après on peut organiser des équipes autour de quelqu’un. Les Américains font ça. On dit qu’ils écrivent à 8-10-12 mais il y a ce que l’on appelle un showrunner. Le showrunner, généralement c’est celui qui a inventé le concept, c’est celui qui a eu, un jour, le petit déclic qui fait qu’il a envie. L’envie se transmet après, mais il faut qu’il y en ait un qui l’ait, d’abord. En France, l’envie, c’est la chaîne qui l’a d’abord, qui commande des trucs, presque. Ils font presque leur marché sur des sujets. À mon sens, les sujets, on s’en fout complètement. Ce ne sont pas les sujets qui comptent.
« Les Sopranos, ce n’est pas une chaîne qui a dit : « Tiens, fais-moi un truc sur les ritals ». Je ne peux pas y croire. »
Vous trouvez qu’il y a moins de bons scénaristes, aujourd’hui ?
Non, je pense que l’on ne leur donne pas le moyen de s’exprimer. Si on veut parler philosophie, je crois qu’un scénariste, on ne lui commande rien. Un scénariste n’est pas quelqu’un qui travaille POUR quelqu’un d’autre… À moins de se faire refiler le virus de la conception de l’œuvre dans laquelle il va travailler. Ça peut arriver, bien entendu. Il y a des scénaristes qui peuvent avoir des affinités avec certaines choses.
Quand je regarde Les Sopranos, j’y vois l’histoire qu’on raconte, bien sûr, mais j’y vois aussi des choses, pour être Italien moi même, que je voyais dans ma famille, qui sont de l’ordre des gestes même. La façon dont ils se disent bonjour est juste, la façon dont Tony ouvre le réfrigérateur est juste, ce qu’il trouve dedans est juste. La façon dont il parle à sa femme, la façon dont il se lève le matin, la façon dont il attrape une tasse, il y a de l’italianité dans tout ce que je vois. Ce n’est pas quelque chose que l’on écrit à 15, je n’y croirai jamais. Je pense qu’il y a quelqu’un, là-dedans qui maîtrise le détail. Un auteur, un artiste, c’est quelqu’un qui manipule le détail avant. Il y a quelqu’un qui dirige tout ça. Il y a quelqu’un qui a l’idée pour que ça finisse au bout du compte pour être aussi précis et juste.
Ce n’est pas une chaîne qui a dit : « Tiens, fais-moi un truc sur les ritals ». Je ne peux pas y croire. Il faut qu’en France, on se souvienne de ça. La vérité d’une œuvre, que ce soit comédie ou non, elle naît comme quelque chose d’extrêmement fragile dans la tête d’une personne. Ça s’appelle un auteur. C’est très fragile, c’est inexplicable, souvent. C’est dur de le formuler, c’est dur de l’expliquer et c’est à cela qu’il faut faire confiance. Mais parfois, ce n’est pas dans cet ordre là que ça se fait.
Est-ce à cause de la crise que la fiction manque d’audace ou ça n’a rien à voir ?
Je ne crois pas, non. Elle manque d’audace. C’est une peur qui se transmet. Ça part d’en haut. Les producteurs ont peur de ne pas pouvoir vendre aux diffuseurs. Les auteurs ont peur de ne pas pouvoir vendre leur texte aux producteurs. Jusqu’aux acteurs qui ont peur de ne pas être assez formatés pour rentrer dans les textes que les producteurs n’ont pas voulu. Ça devient n’importe quoi. Alors que tous les Français, ou presque, qui aiment les séries, qui sont amoureux de séries où tout est déraisonnable à l’intérieur.
Il y a des saillies de partout où les héros, ceux à qui on s’identifie, sont des gens que l’on ne sera jamais. En plus de ça, le marketing est venu mettre son grain de sel dans les techniques de scénario : un héros est mal interprété, un antagoniste est mal interprété, une arche est mal interprétée, un incident déclencheur est mal interprété. Il y a des erreurs à tous les étages… Mais c’est très difficile d’inviter une industrie à dire : ce mec-là, je ne sais pas ce qu’il dit, je ne vois pas bien où il veut aller, j’ai pas bien compris ce qu’il voulait faire… sauf que mon métier, c’est de dire « allons y, on verra ». C’est impossible à dire. C’est une grosse industrie, un échec est très grave… Donc ce n’est pas possible de dire : « faites confiance aveuglément ». Sauf que surveiller tout, ça ne marche pas non plus… Je n’ai pas de solution.
« Kamelott Resistance c’est une série mais pas en format ultra court, ça c’est sûr. »
Et c’est pour ça que vous attendez pour reprendre Kaamelott ou il y a une autre raison ?
Oh si, ça ressemble un peu. Je partageais un peu la production à l’époque mais je ne vais plus la partager. C’est-à-dire que si j’ai encore dix ans à attendre pour une trilogie au cinéma, je veux les rennes. Je les avais déjà beaucoup, je les veux encore plus, je veux tout. Je veux toute la décision. Je ne veux pas avoir à référer de quoi que ce soit à personne, je veux fabriquer moi-même, produire moi-même. Je veux ce qu’on appelle la pro exécutive, c’est compliqué. Schématiquement, je me préserve d’avoir à répondre de quoi que ce soit pour les nombreuses années où j’ai à faire les choses qu’il me reste à faire.
Si vous êtes le chef, imaginons dans un futur proche j’espère, c’est Kaamelott au cinéma …
C‘est Kaamelott Résistance sur M6 si tant est qu’ils l’achètent ; ils sont très demandeurs. Elle raconte l’histoire du royaume en l’absence d’Arthur qui a foutu le camp en fin de saison 6 ; là il faut avoir suivi, c’est un peu dur. Lancelot est au pouvoir, donc, s’organise une résistance ou une collaboration de la part de certains. C’est l’histoire du monde sans Arthur. Et puis après, il y a une trilogie cinéma, qui est censée boucler l’histoire et les bandes dessinées qui racontent toujours des histoires à l’écart de la série, -enfin, pendant la saison 1- dans n’importe quel ordre. Donc le projet, c’est une série mais pas en format ultra court, ça c’est sûr. A moins que ce soit un format long qui sera découpé plus tard, c’est autre chose. Mais en tout cas, pas écrit pour de l’ultra court. Au moins du 20 minutes et trilogie cinéma.
Est-ce que parmi les fans qui vous arrêtent dans la rue et vous demandent un autographe ; il y en a qui vous donnent des CV, à faire partie de votre équipe, de vos futurs projets, qui vous demandent des conseils pour devenir des futurs VOUS ?
Oui, ça arrive. Mais comme je perds tous mes papiers, je renvoie tout ça à mon camarade Jean-Christophe Hembert qui est mon associé. On reçoit des CV à REGULAR, on aime beaucoup ça avec Jean-Christophe et Agathe Sofer, mon autre associée. On aime beaucoup mélanger les équipes fidèles, historiques, et faire venir des gens sur un coup de confiance. Souvent nos équipes sont composée des deux genres : des gens jeunes -ce n’est pas trop grave s’ils se plantent, on gère – et des gens qui ont l’habitude, avec qui on travaille et avec qui on a pas besoin de rediscuter de tout.
Ça vous arrive de repérer des gens dans la rue ?
Dans la rue, non. Parce que j’aime les gens qui travaillent, je parle des acteurs pas des figurants. Figurant, il peut y avoir plusieurs « stades ». Ils peuvent être très loin, ils peuvent être très près. Ils peuvent avoir une petite phrase, auquel cas ils deviennent « silhouette ». Je regarde un peu tout ça. Par exemple, Guillaume Briat, qui tient le rôle du roi Burgonde, est devenu de plus en plus présent et le sera encore plus par la suite. Il était venu le jour de l’épisode de Laurent Deutsch, comme figurant. Ça m’a plu, on a vécu des trucs après … Il fait une voix dans Astérix animation. Ça arrive assez souvent, et ça arrive à des postes techniques.
Par exemple, un jour sur YouTube, j’ai vu quelqu’un qui avait fait une fausse bande annonce de Kaamelott. C’était vraiment super bien, je ne savais pas qui c’était. J’ai réussi à retrouver cette personne, c’était une jeune fille de 16 ans, qui faisait ça chez elle. Je lui ai envoyé un ordinateur, une table de montage… Je lui ai fait monter une scène de mon film au cinéma, David et Mme Hansen, un truc pas trop dur… Je suis hyper sensible à ça. La plupart du temps, quand on me dit : « tu devrais bosser avec machin, il est super », en fait, c’est jamais vrai. Les gens rentrent dans des trucs en disant : « machin est super ». Et si on regarde bien en détail, dans le milieu, on dit qu’il est super. Et il y a le phénomène du « Roi nu », c’est-à-dire que personne n’ose dire que non, ce n’est pas génial. Les mecs font tous les projets, ils sont partout. En fait, ils ne sont pas bons, mais ils sont là. En fait, j’essaie de mélanger les « frais » et les « moins frais.
Votre frère, Simon Astier, vous demande des conseils pour Hero Corp ?
Jamais. Et il fait bien… Mon frère n’a absolument pas besoin de conseils. Je pense que s’il avait besoin de conseils, ce ne serait pas des miens.
Quand vous regardez Hero Corp, vous vous dites, il a bien bossé ? Vous regardez ça avec l’œil du grand frère qui regarde son petit frère ? Vous arrivez à vous détacher de ça, et à regarder la série comme un vrai téléspectateur ?
Il y a de la pudeur entre nous, en famille – même dans Kaamelott avec mon père -, qu’il n’y en aurait avec d’autres acteurs. En fait, on est très distants sur le travail car on est très exigeants. Je n’ai pas à avoir un regard bienveillant ou malveillant, je ne me considère pas comme quelqu’un qui puisse porter un regard. Je vois ce qu’il fait, j’y trouve un cousinage parce qu’on a été élevé à un certain type d’humour. Il y a plein de choses différentes. Mais il y a un amour des trucs, c’est-à-dire, Simon met les acteurs devant, il écrit pour ses acteurs. Je vois qu’il sait qui va jouer avant d’écrire. Ça se sent, je le sens d’ailleurs chez d’autres, mais chez lui, c’est très clair. Je trouve ça vraiment super. En plus de ça, il a dix ans de moins, ça m’impressionne souvent. Il sait faire des trucs que je ne savais pas faire à son âge, mais c’est tout ce que je me permets.
« Pour « Que ma joie demeure », j’ai travaillé avec Universal, je ne peux pas balancer le truc sur Internet, ils ne seraient pas contents. »
L’aventure Hero Corp est en train de se développer sur des supports web et multimédia. Ils ne font partie des supports que vous explorez. Est-ce que c’est quelque chose que vous pouvez envisager par la suite ?
Oui, mais j’avoue que ça fait partie des trucs que je n’ai pas réglé dans ma tête. Internet pour moi, jusqu’à il n’y a pas longtemps, était un lieu de liberté pure. On n’avait pas besoin de moyens et plus on avance dans le temps, et plus les techniques de tournage low cost deviennent bonnes. On peut mettre en ligne ses trucs et tout le monde peut les voir.
Le problème, c’est qu’il règne quand même sur Internet l’apologie du système D tout le temps, ce qui ne me plaît pas. J’aime beaucoup les mecs qui le font, mais je n’aime pas que les gens s’y habituent parce que moi, je suis sensible aux sons plus qu’à l’image. Et sept personnes sur dix qui regardent des videos sur Internet ont un ordinateur pourri avec un son « zéro ». Du coup, les musiques ne passent pas, les dialogues sont moches, on n’entend pas les ambiances. Je trouve que les internautes loupent beaucoup de choses, même si les vidéos sont en haute définition. Au moins, il faudrait mettre un casque.
Vous allez me dire, il y a des télés pourries ! Pour moi, on doit mettre sur Internet des choses qui ne sont pas moins chères qu’ailleurs. Parce que c’est ça qui fait en ce moment cette espèce de hiérarchie. C‘est très trompeur, parce que la télévision a récupéré Internet. Maintenant, les diffuseurs sont les principaux producteurs des gens un peu connus. Tous ceux qui faisaient des vues sur YouTube travaillent maintenant de près ou de loin, ou par producteurs interposés, pour une chaîne. Il y en a même que j’ai produits moi-même. Les labels sont différents, ce sont des labels secondaires. Il y a une récupération. Je crois qu’Internet, celui qui l’utilise le mieux, c’est Louis CK. Il fait son spectacle, il le vend 5$ sur Amazon en téléchargement libre ou en streaming. Lui est passé à côté des distributeurs, carrément. »
Pourquoi vous n’avez pas fait ça pour « Que ma joie demeure » ?
Parce que je n’en ai pas eu l’idée. Pour « Que ma joie demeure », j’ai travaillé avec Universal, je ne peux pas balancer le truc sur Internet, ils ne seraient pas contents. J’ai en tête de faire un jour un truc sur Internet. Peut-être avec un système de vente comme ça. Un épisode à 2€, un truc qui retire le prix du distributeur. Mais pour moi, c’est un truc prestige. Ce doit être super bon. Un truc avec de l’image, du son, autant qu’au cinéma. Et là, d’un coup, on vend un truc qui a l’air précieux. Ce qui me manque de temps en temps sur Internet, c’est que les choses ne prennent pas le temps d’avoir l’air précieuses. Parce que c’est l’école du « vite ». Il y a des génies sur Internet, ce n’est pas le problème. Il faudrait que ça fasse une vraie concurrence au reste. Pour ce faire, il faut travailler autant qu’ailleurs.
Vous parlez d’exigence et de ce vernis sur quelques productions françaises. Avez-vous l’impression qu’au sein du jury, cette impression est partagée, que c’est encore une grande bataille ?
C ‘est complexe. Je ne venais pas avec cette exigence mais ils m’ont demandé quelle couleur j’aimerais donner à ce palmarès. Je n’avais pas pensé à ça. Je leur ai dit, on va prendre les meilleurs et on ne va pas prendre les moins bons. Mais quelle couleur ? Parce qu’il y a des choses bien partout. Ce que je voulais en arrivant, c’était privilégier les œuvres dans lesquelles les acteurs sont à leur avantage, où on sent le plaisir chez l’acteur de jouer, où les scenarii sont orientés directement vers les acteurs… Des choses qui me font voir les acteurs dans l’état de grâce de donner et probablement mettre un peu sur le côté des œuvres qui ont eu un circuit plus classique de développement-développement, redéveloppement-redéveloppement, etc…
Je pense que les acteurs choisis pour coller à une bible, on en a tous ras-le-bol. Le spectateur sent le « formulé ». Quand il dit que les fictions françaises le gonflent, c’est souvent à cause de ça. Ils ont des acteurs en face des yeux qui ne sont pas bien, ils sont bons mais ils n’ont pas eu les moyens d’être là. Et dans le jury, il y a quand même Xavier Deluc, Julie Gayet ; il y a quand même des gens qui parlent ma langue, et pour ceux qui ne sont pas acteur, je pense que ça leur plaît cette idée-là. Donc il n’est pas impossible, à moins que le jour de la délibération, on se foute sur la gueule pendant trois heures, que le palmarès ressemble à ça.
« Un type qui écrit, il n’explique pas, il écrit »
Tout à l’heure, vous parliez de votre frère en disant que vous étiez impressionné parce qu’il avait 10 ans de moins que vous. Mais vous, il y a 10 ans vous produisiez votre court métrage qui a inspiré Kaamelot. Quand vous repensez à cette période de votre vie, avant que tout commence, qu’est-ce qui vous vient à l’esprit ?
« Qu’il n’y a rien de plus profitable -dans ce milieu et à mon avis, comme dans plein d’autres- quand on passe la barrière d’inconnu à la notoriété, que de le faire par une chose où vous n’avez pas triché. C’est-à-dire, j’ai juste fait un court métrage dont il n’était pas question qu’il ait une suite. Il était fini pour moi, ce truc-là. C’est ça ce qui a donné l’idée au reste. Et le reste a été aussi libre que le court métrage. Donc je pense à la liberté que j’ai eue. Et je crois que je n’arriverais plus à l’avoir moi-même, maintenant, pour un autre projet. C’est-à-dire que j’ai à faire à des gens qui disent : « Dis donc Astier, vas y, alors qu’est-ce que t’as ? Bah, j’ai ça. » Et ils rentrent dedans.
Comme si vous étiez devenu une marque ?
« Non, ils ont lu ce que je fais, ils me font confiance et on rentre dans un truc, pas de surveillance, mais… J’ai fait Kaamelott sans avoir à dire pourquoi je voulais le faire. Ce n’est pas mon métier de formuler pourquoi j’ai écrit ça. J’ai écrit ça parce que je dois faire ça, peu importe le résultat. J’ai écrit David et Mme Hansen, je voulais faire ça, j’ai fait ça. Ça n’a pas marché, il n’y a pas eu beaucoup de gens qui l’ont vu, le distributeur n’y a pas trop cru…
Ce n’est pas grave. Si je peux vivre comme ça, je fais ce métier, il n’y a pas de problème. Mais à partir du moment où je dois expliquer pourquoi je fais les choses et si on me dit : « tel personnage, tu ne penses pas que… Explique-nous pourquoi ça… », ce n’est plus mon métier. Un type qui écrit, il n’explique pas, il écrit. Sinon je ferais d’autre choses, j’expliquerais des trucs, par exemple. Alors je le fais un peu car il y a des choses que je sais. Mais sur ce que j’écris, il y a des tas de choses que je ne sais pas, il y a des choses que je saurai plus tard… C’est plus magique que ça. Les diffuseurs sont toujours en train de croire qu’on a tout prévu… Ça ne sert à rien.
Vous savez, dans Kaamelott saison 5, Arthur se suicide. Enfin il fait une tentative de suicide dans sa baignoire, il se coupe une main. Il se coupe les veines ici, la main pend ici ensanglantée. Pendant tout le tournage, j’étais crevé parce que je dormais deux heures par nuit. J’ai dit : « On va faire une scène où je me balade dans un champ, avec la main tendue », parce que je savais que je devais le faire avec un enfant. Normalement Arthur se baladait avec un enfant, c’est au moment où il était à la recherche de sa descendance. Mais j’ai fait le plan SANS enfant. La main seule pour dire symboliquement qu’il n’en avait pas. Et je me souviens dire au cadreur : « on va faire cette main-là ». Alors qu’il me dit : « Non, mais là c’est mieux parce que le terrain est comme ça. » Et moi : « Non je veux cette main-là ». J’ai fait cette main-là, j’ai avancé dans les champs et au montage, je passe d’un plan à l’autre où il y a la main en gros plan, je fais le fondu et je tombe sur la main qu’il s’est coupée. Je ne veux pas avoir prévu ça. Je n’ai pas prévu ça. C’est vrai que quand ça vous arrive – et ça m’est arrivé deux/trois fois dans ma vie – vous êtes sur l’ordi, vous faites : « Oh, qu’est-ce qui s’est passé là ? ». Vous ne savez plus qui écrit… Il y a l’épuisement qui joue aussi.
Vous êtes conscient de choses mais vous ne sauriez pas les formuler. Vous êtes dans un bain de trucs… Ça, je ne veux pas l’expliquer à un diffuseur, je ne peux pas non plus lui dire : « Donne-moi du pognon, tu verras, il m’arrivera des trucs bizarres plus tard, qui seront bien. » N’empêche que c’est comme ça, je ne peux pas tout maîtriser, je ne peux pas toit savoir. Il faut que je raconte, il faut que je fasse parler les gens et au bout d’un moment, ils vont parler tout seul. Je ne peux pas tout prouver avant d’avoir une caméra. Pour répondre à votre question, lorsque j’ai fait le court métrage, j’étais en train de m’offrir, sans le savoir, la liberté de ne pas expliquer. Maintenant il faudrait que je fasse un court métrage à chaque fois, en fait (Rires.)
Peut on parler du projet Astérix ? Vous avez déjà écrit et réalisé ?
C’est l’adaptation de l’album Le Domaine des Dieux, complètement. J’ai insisté pour faire celui là parce que je l’aimais beaucoup. Je n’ai pas beaucoup rajouté de choses, il y a quelques intrigues périphériques mais le cœur de l’album est vraiment là du début à la fin. Je l’ai co-réalisé et ça ne se passe pas mal du tout. C’est compliqué car les ordres sont différents. On a enregistré toutes les voix, maintenant on rentre dans l’animation de plein pied. Donc on fait des séquences de lancement d’animation avec des animateurs qui vont être en charge de tel ou tel truc et ils vont s’inspirer autant de ce qu’on dit que du jeu des acteurs. Là, on est dans la confection d’animation pure sur un son qui existe déjà.
Quelle est la technique d’animation que vous utilisez ?
La 3D comme Pixar Dreamworks…Vraiment la 3D pure, le relief.
Pourrait-on avoir le casting des voix ?
Roger Carel a fait Astérix. Il ne devait pas, il avait pris sa retraite. Quand il a appris que ça se faisait, il a eu la classe de revenir. Il y en a que je ne peux pas trop vous dire parce que l’on est en attente de confirmation…J’en fais une petite, mon père en fait une aussi. Nous avons eu Florence Foresti, Laurent Deutsch, Elie Seimoun, Géraldine Nakach, Alain Chabat (qui est venu faire un sénateur), Philippe Morier–Genoud qui fait César et Arthus de Penguern (qui est décédé très peu de temps après avoir fini).
Vous avez une date de sortie ?
« Ce n’est plus trop moi qui m’en occupe, j‘ai fait ma partie de coréalisation. Maintenant, c’est mon coréalisateur, en charge de l’animation pure, qui est sur le film. Moi je fais des visites. C’est prévu pour début 2015, normalement. »
L’an dernier, la série Tiger Lilly a eu un prix au Festival de La Rochelle mais elle n’a pas marché en audience. Les scénaristes ont expliqué qu’ils avaient eu beaucoup de difficultés à tenir leur vision auprès de la chaîne. Comment on fait pour créer une série à son image quand on ne s’appelle pas Astier à la TV française ? On a l’impression que vous et votre demi-frère, vous incarnez ceux qui réussissent à imposer leur vision mais que les autres scénaristes ont beaucoup de mal à affirmer leur propre vue sans être influencés d’une manière ou d’une autre. Comment on fait pour que les scénaristes soient reconnus pour leur propre rôle ?
Déjà il faut rentrer dans le bureau d’un diffuseur en étant prêt à ce que ça ne le fasse pas. Il faut être prêt à dire non, tu me fais chier, on ne le fait pas. Faut pouvoir, déjà, faire ça et il faut avoir une paternité orgueilleuse vis-à-vis de son œuvre, à tel point qu’on refuse qu’elle soit touchée. Moi la mienne est maladive, si on tripote ce que je fais, ça me rend malade. Donc on ne le fait pas. On peut vraiment discuter avec des diffuseurs, on peut vraiment dire non. Et parfois même, ça rassure un diffuseur. Il se dit qu’il n’est pas en face d’un type qui dit toujours : « bon ok, je vais faire ça ». Non c’est non. Pas méchamment, enfin pas tout de suite. À un moment, comme je vous disais, il y a des choses qui ne sont pas formulables et il faut que les diffuseurs – certains le comprennent très bien -, acceptent qu’il y ait des choses qui n’ont pas de raison d’être à l’énoncé. S’ils sont là, c’est qu’ils ne sont pas là pour rien… Dans cette série dont vous parlez, il n’y a pas qu’un type ? Il n’ y a pas UN auteur ?
Elles sont deux, elles avaient travaillé ensemble…
Ce sont deux sœurs, c’est ça ?
Non, deux amies : Negar Djavadi, Charlotte Paillieux…
Et elles trouvent que leur série a été dénaturée ?
« J’ai envie d’un long trajet car c’est aussi ce que j’aime voir. Donc, souvent, je pense à la télé. »
Elles ont donné une interview dans laquelle elles expliquaient que dans toutes les étapes du scénario, les diffuseurs sont intervenus jusqu’à 15 jours avant le tournage…
Quand le diffuseur n’a pas confiance dans le truc ou qui la perd, c’est foutu. Et il va y avoir des tentatives de changer des choses. Ils n’y arriveront pas parce que c’est plus dur de corriger un truc que de l’écrire. Mais à partir du moment où il y a un déficit de confiance, c’est la merde, ça part en sucette. La solution, c’est d’écrire, de réaliser, de produire, de dialoguer et de jouer dedans. Là, au moins, vous n’êtes en colère contre personne. Vous allez voir le diffuseur, la discussion est calme, il veut, il ne veut pas…
Ça veut dire qu’il faut le diffuser aussi ?
(Rires.) « C’est chiant, hein, j’ai l’impression que c’est un métier chiant. Je ne sais pas, je ne suis pas sûr mais vous devez bien avoir une chaîne… Berri, il a fait tout ce qu’il a fait parce qu’il en avait plein le cul de référer. Du coup, il est devenu producteur pour s’engager lui-même, il est devenu réalisateur pour se faire tourner… Besson aussi. Les mecs, ils en ont ras la casquette et ils font des empires parallèles. Je ne sais pas si c’est bien ou pas, je ne suis pas là pour juger. Mais en tout cas, voilà d’où ça vient. »
Faites-vous une différence entre cinéma et télévision depuis le prisme de votre métier ?
« Non. Je la fais uniquement artistiquement. Il n’y a pas de hiérarchie de prestige en tout cas. La plupart des choses que j’imagine sont pour la télé parce que je veux que les gens restent longtemps avec les personnages. Je veux pouvoir développer en plusieurs dizaines d’heures. J’ai envie d’un long trajet car c’est aussi ce que j’aime voir. J’ai envie qu’on me raconte quelqu’un à ses débuts, j’ai envie de voir ses nombreuses erreurs, ses nombreuses fausses pistes, ses nombreuses fausses routes, les moments où il est très solide, très fragile, les moments où il fait de grosses conneries que je ne voudrais pas qu’il fasse alors qu’il me représente. Donc, souvent, je pense à la télé.
J’adore les bonnes séries, ce sont elles qui m’ont le plus marqué dans ma vie. Les séries américaines (Sopranos, The Wire, West Wing) m’ont marqué et c’est de la télé. Le cinéma, pour moi, c’est parce que j’ai une histoire à raconter sur laquelle je ne veux pas m’attarder, c’est un one shot. En revanche, il y a du prestige, il y a un niveau de détail. Ça ne veut pas dire qu’il n’existe pas à la télé mais, au cinéma, on a le temps. Savoir où on met la caméra, où on ne la met pas… on essaie des choses. Par exemple, un film parfait pour moi c’est Garde à vue. C’est deux mecs face-à-face sur une table, du pur jeu d’acteurs. Tout le temps dont bénéficie le cinéma est utilisé pour que ces jeux d’acteurs soient parfaits. Et on arrive à cette perle dont on n’a pas envie qu’elle dure 40 heures. Elle a un beau début, un beau milieu et une belle fin. Ça, pour moi, c’est le cinéma. Et puis il y a le théâtre aussi, le plaisir d’aller voir les gens parce qu’on en a marre de ne voir personne. Mais il n’y a pas de hiérarchie. Quand j’ai une idée, je sais où elle va et je la fais en fonction. Mais le cinéma n’est pas plus prestigieux que la télé.
(1) : Et le Daily Mars, hein. Julia ne s’est pas juste contentée de se planquer derrière un ficus pour enregistrer, qu’on soit bien d’accord.
Et beh, beau boulot le Daily Mars (et les autres mais le Daily Mars c’est les meilleurs de la bande, très objectivement).
Interview passionnante comme souvent avec Alexandre Astier mais encore plus dans celle-ci. Joli boulot, car très bonnes questions !
Est-il utile d’écrire que je serai toujours fan de ce homme même lorsqu’il pense que son mode de fonctionnement doit être le mode de fonctionnement de tout le monde ? 😉
Et un grand bravo à toute l’équipe (mention spéciale pour le retranscripteur :D)
Jean christophe hembert
C’est corrigé désormais, merci de l’avoir signalé !
Et encore, dit-il vraiment que son système devrait être le même pour toute personnes cherchant à conduire à la réalisation d’une fiction ?
Je pense au contraire, ce qu’il suggère, si vous êtes à plusieurs postes de manœuvres, il y a moins de conséquences sur le développement de la fiction et on conserve une ligne directrice.
Est-ce la meilleure solution ? Loin de là, non. On sent qu’il y a une gourmandise créatrice derrière son point de vue, mais la création est très demandeuse en énergie, temps, équilibre personnel.
Alexandre Astier veille et cherche sa barque, car c’est un aspect égoïste (ce qui n’est pas en sois une critique). On reste droit dans ses bottes, on écrit une fiction qui à ses bons côtés, ses imperfections, mais on écrit quelque chose qui contente. Et si celle-ci à de l’écho auprès des spectateurs, alors tant mieux.
Vivement l’Ultime de « Que ma joie demeure » !
j’ai lu cette interview avec bonheur 🙂
Beau boulot !
Ce type est passionnant, et son attachement à son œuvre pourrait parfois le faire passer pour un mec arrogant, mais je comprend très bien ce besoin d’indépendance et de liberté totale. Un privilège dur à obtenir, rare et qui demande surement un boulot de dingue et d’être un couteau suisse de compet’ 🙂
Alors oui, il donne l’impression de se la raconter un peu parfois (pas dans cette ITW en tout cas), mais franchement il l’a bien mérité 🙂
Eh bien voilà une interview passionnante, de bout en bout et des questions très pertinentes, excellent travail, bravo Daily Mars !
Beaucoup devrait prendre exemple sur vous, parce que, non, Alexandre Astier ce n’est pas que Kaamelott et ce n’est pas que le type qui fait tout en famille et tout seul.
Encore heureux !
Bravo et merci pour cette retranscription! C’est passionnant…
Super interview, beau boulot le Daily Mars crew !
Perso je suis un peu inquiet sur l’animé Asterix, ca risque de tourner au film bavard, brillant mais bavard, alors qu’on est en droit d’attendre de l’aventure comique, ce qu’est la bd pour moi.
La partie « aventure » étant souvent laissée pour compte.
Déjà que les films ont échoués à l’être, a part le 2 (et encore, l’action était loin d’être transcendante.).
Si on ne peux pas profiter de l’animation pour bouger un max et offrir un vrai spectacle visuel, je ne vois pas quand on pourrait le faire.
J’espère que le co-réalisateur, qui fait le plus gros du boulot (et dont le nom sera forcement éclipsé) sera à la hauteur.
Merci pour cette longue ITV, au fait.