Les séries trop courtes : American Gothic

Les séries trop courtes : American Gothic

 

Caleb Temple et Lucas Buck

La petite ville de Trinity en Caroline du Sud. Sa rue commerçante. Ses maisons cossues. Ses vieilles dames qui balaient devant leurs portes. Son cimetière… et son shérif, Lucas Buck, qui n’est autre que le Diable. Un Lucas Buck particulièrement excité qui veut obtenir la garde d’un petit garçon fraîchement orphelin, Caleb Temple. Pas parce qu’il est altruiste. Mais parce que c’est son héritier, et qu’il veut le modeler à son image.

American Gothic a été créée par l’ancienne star de la pop Shaun Cassidy, et produite par Sam Raimi du temps où il était omniprésent à la télévision avec des chef d’œuvres intemporels comme Celopatra 2525, Xena la guerrière, Hercule, Jack of all trades… Mais contrairement à ces titres oubliables, American Gothic est une série mémorable.

Diffusée sur CBS, la série raconte donc les aventures croisées du jeune Caleb Temple, 10 ans, un peu casse-cou mais foncièrement gentil, et de Lucas Buck, shérif de la ville perverti, corruptible, et dont le seul but est d’en appeler aux instincts les plus vils de ses administrés. Comme on le disait plus tôt, le second, en plus d’être l’incarnation du mal, est le père du premier, et veut en faire son successeur… à terme.

Là, il a l’air gentil, mais attendez qu’il fronce les sourcils… il est flippant ce gamin…

Caleb Temple est interprété par un enfant-acteur absolument fascinant: Lucas Black. Le gamin possède une présence assez incroyable, et surtout un regard glaçant. Parfait pour ce rôle de gamin qui risque de passer du côté obscur à n’importe quel moment. Lucas Buck, lui, est interprété par celui qui sert la performance de sa vie dans le rôle, le très sous-employé Gary Cole. Dans ce rôle, Cole écrase pas mal de prestations de collègues, qui se sentent obligés d’en faire des caisses dès qu’ils doivent interpréter le Prince des Ténèbres. Cole joue au charmeur, au confident, mais en un regard, fait basculer l’ambiance dans la terreur. Une interprétation subtile, et totalement dans le ton.

Autour de ce remarquable duo gravitent d’autres personnages. La cousine de Caleb, Gail (Paige Turco), qui revient à Trinity après y avoir passé son enfance pour obtenir la garde de Caleb, et pour connaître la raison de la mort de ses parents. Le docteur Matt Crower (Jake Weber de Medium), qui fuit son passé tout en essayant de venir en aide à Caleb. L’adjoint de Lucas Buck, Ben Healy (Nick Searcy, vu dans Justified), personnage au bon fond mais sans courage. Selena Coombs (Brenda Bakke), maîtresse d’école de Caleb, maîtresse tout court de Lucas, superbe femme/mante religieuse. Et enfin Merlyn Temple (Sarah Paulson), grande soeur décédée de Caleb, dont le fantôme se matérialise à besoin, et qui devient au fil de l’histoire le bras armé du Paradis.

Vous reprendrez bien un petit REDRUM ?

American Gothic, c’est 20 très bons épisodes coincés entre deux fabuleux (si on regarde la série dans l’ordre d’origine, et pas celui de diffusion, ce qui n’est pas une mince affaire, on y reviendra plus tard). Le pilote comme le final sont absolument remarquables de terreur, de vrais petits bijoux. Le pilote raconte la course poursuite entre Lucas et Caleb, qui n’a de cesse de lui glisser entre les doigts. L’épisode est rythmé par une phrase, prononcée par Merlyn Temple, « Someone’s at the door », qui reste dans les esprits longtemps après le visionnage de l’épisode. Ses derniers plans, montrant un Lucas hurlant le nom de Caleb sous la pluie, sont tout aussi mémorables.

La série deviendra, par la suite, un peu moins hystérique. Diffusée sur CBS, elle réussira assez souvent à satisfaire à cette mécanique compliquée qu’est celle de l’épisode clos, surtout dans un univers qui réclame une narration feuilletonnante. La série joue avec son casting, oubliant certains personnages le temps d’un épisode, les remettant sur le devant de la scène le suivant. Certains gimmicks sont vites abandonnés, comme celui de faire découvrir les horreurs de Trinity par les yeux de Caleb et de ses deux camarades du même âge que lui, Boone et Rose (Evan Rachel Wood dans l’un de ses premiers rôles).

Le docteur Matt Crower, un poil trop intense

Les deux co-stars de la série, Paige Turco et Jake Weber connaîtront des destins bien différents. Si la première va considérablement évoluer, et même faire un revirement à 180° après avoir découvert la vérité sur la mort de ses parents, le second va tout simplement disparaître du récit après le 15e épisode, remplacé par John Mese (dans le rôle du docteur Billy Peale). Jake Weber, dans une  interview datant de 2009 (un peu amer), dit regretter avoir été obligé de quitter la série pour être remplacé par quelqu’un de plus banal que lui (il n’a pas forcément tort sur ce coup là). Il avance aussi qu’après un pilote brillant, la série s’est un peu perdue et que les auteurs ne savaient pas trop comment avancer, qu’il fallait changer quelque chose (pas de bol, c’est tombé sur lui). Shaun Cassidy, lui, raconte qu’il était prévu de ramener le docteur Crower en saison 2. On ne saura jamais s’il s’agit de la vérité.

Il est vrai qu’on sent que la série tâtonne souvent, que certains personnages changent brusquement d’attitude le temps d’un épisode pour revenir à un état de statu quo le suivant. Certains d’entre eux disparaissent, certaines règles sont établies avant d’être transgressées (concernant le personnage de Merlyn, surtout)… mais ces soucis sont bien minces face à la réussite franche que représente cette saison complète et pourtant trop courte d’American Gothic. En avance sur son temps, très clairement, et aussi pas forcément sur la bonne chaîne.

C’est toujours dans les séries télé que les maîtresse d’école ressemblent à Selena Coombs…

La série s’est permis des libertés avec la censure comme peu avant elle. Toutes les conversations entre Lucas Buck et Selena Coombs sont à double-sens. Tout peut être prit au premier degré (souvent par Caleb quand il est dans la même pièce), mais au second degré on percute toutes les allusions sexuelles qu’elles renferment. Certaines scènes sont miraculeusement présentes dans les montages, alors que la censure auraient pu les trancher. D’abord une scène entre une jeune fille et un vieux pervers qui échangent une glace à l’eau. C’est long, c’est contemplatif… mais c’est passé (sur le tournage, tout le monde était persuadé qu’ils tournaient la scène pour rien, qu’elle serait coupée). Une autre montre Selena Coombs se réfugier dans les bras de Caleb, dans une scène qui, avec un autre partenaire qu’un enfant, serait prise pour une tentative de séduction. C’est choquant, mais là encore, c’est passé. Un petit miracle.

American Gothic parlait de fantastique dans un sud baigné par le soleil, bien avant True Blood. Elle parlait de la tradition horrifique de l’Amérique bien avant American Horror Story (et de façon bien plus subtile). Elle nous faisait prendre parti pour un flic ripou bien avant The Shield. Et elle partageait un certain sens du fantastique avec X-Files, une envie de plonger dans l’esprit d’une communauté comme dans Twin Peaks… American Gothic est disponible en DVD en import anglais ou américain, mais hélas, tous avec les épisodes dans l’ordre de diffusion, qui n’est pas celui de production (1).

AMERICAN GOTHIC

22 épisodes diffusés sur CBS entre 1995 et 1996

Créée et showrunnée par Shaun Cassidy

Avec : Gary Cole (Shérif Lucas Buck), Lucas Black (Caleb Temple), Paige Turco (Gail Emory), Jake Weber (Dr Matt Crower), Brenda Bakke (Selena Coombs), Billy Peale (John Mese), Nick Searcy (Ben Healy), Sarah Paulson (Merlyn Temple)

(1) : On vous conseille avant tout visionnage de vérifier à bien respecter l’ordre suivant : 01. Pilot, 02. A Tree Grows in Trinity, 03. Eye of the Beholder, 04. Damned if You Don’t, 05. Potato Boy, 06. Dead to the World, 07. Meet the Beetles, 08. Strong Arm of the Law, 09. To Hell and Back, 10. The Beast Within, 11. Rebirth, 12. Ring of Fire, 13. Resurrector, 14. Inhumanitas, 15. The Plague Sower, 16. Doctor Death Takes a Holiday, 17. Learning to Crawl, 18. Echo of Your Last Goodbye, 19. Strangler, 20. Triangle, 21. The Buck Stops Here, 22. Requiem.

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