#Analyse Et si on rêvait d’un autre monde ?

#Analyse Et si on rêvait d’un autre monde ?

Une chanson peut-elle changer le monde ? Depuis la création des moyens de communication à longue distance et notamment l’invention de la radio, la musique a toujours joué un rôle décisif dans l’évolution des mentalités. Un slogan politique, ça se lit et ça s’oublie alors qu’on retient une chanson, qu’on l’apprend par cœur et que le message finit par rester. Et dans l’histoire de la musique populaire, ils ont été nombreux ceux qui ont contribué à faire bouger les choses. Petit florilège à l’heure où notre monde a plus besoin que jamais de nouveaux hérauts.

Car il ne faut pas se voiler la face, cela va très mal. Pour d’obscures raisons, peur, ignorance, égoïsme, les tentations dictatoriales se multiplient au sein de nos démocraties, la dernière en date et la plus évidente étant bien sûr l’arrivée au pouvoir de Donald Trump à la tête du plus grand pays libre du monde. Au-delà de l’absurdité totale de la situation, qui pourrait prêter à rire, c’est bien tout un système de valeurs qui est menacé par cet homme.

De l’égalité entre les êtres humains à la compassion envers les plus faibles en passant par l’acceptation du débat contradictoire, la nouvelle administration américaine démontre jour après jour un basculement vers un néofascisme assumé qui se traduit dans les faits par une manipulation de la vérité, la force (fascio en latin) comme seul argument et un mépris souverain pour la loi et les droits de l’homme.

Fort heureusement, l’Histoire nous enseigne que c’est dans ce genre de période que la contestation artistique a aidé les peuples à prendre conscience de la gravité de la situation afin de réagir en conséquence. Souvenons-nous de Charlie Chaplin et de son Dictateur en 1940. Alors que l’Amérique se fichait éperdument du sort des juifs en Europe, Chaplin tire la sonnette d’alarme de la plus belle manière qui soit. Son discours, ici doublé par un Roger Carel habité, résonne encore (surtout) aujourd’hui d’une vérité bouleversante.

Mais nous sommes ici rassemblés pour parler de musique, et nous ne sortirons que par la force des guitares électriques comme dirait l’autre ! Oui, des mots peuvent tout changer. Les mots de John Lennon par exemple et de son Imagine comme une profession de foi humaniste. Plus de pays donc plus de raisons de se tuer pour une question de frontière, plus de religion donc plus de raison de se massacrer pour une question de Dieu, cela fait sens immédiatement, c’est tellement simple que cela en devient limpide ! Toute une génération a grandi en entendant ce message et il faut reconnaître que jusqu’à récemment, il avait porté ses fruits.

Si Lennon prêchait le rêve comme source d’espoir, d’autres ont choisi des voies plus radicales pour transmettre leur vision du monde. Bob Dylan par exemple, prévenait d’une manière très directe que les temps étaient en train de changer en apostrophant les gouvernants. « Il y a une bataille dehors et elle fait rage, elle secouera bientôt vos fenêtres et ébranlera vos murs ». Droits civils, abolition de la ségrégation raciale, déclin de la société patriarcale et des discriminations en fonction du sexe, le Zim’ avait tout compris avant tout le monde.

L’arrivée du mouvement punk enfonça encore un peu le clou, et pas que dans d’improbables orifices. Les MC5 aux USA et The Clash en Angleterre avaient le même mot d’ordre ! Les premiers encourageaient le mouvement des White Panthers, estimant que le devoir des blancs était de se préoccuper du sort des minorités ethniques parce que seules, elles ne pourraient arriver à rien. Les seconds préconisaient carrément une White Riot, une émeute blanche contre les inégalités, remarquant que si les Noirs avaient le courage de balancer des pavés pour défendre leurs droits, les Blancs devraient arrêter d’avoir la trouille d’aller en prison et suivre le mouvement !

Et en France me direz-vous ? Pays de râleurs invétérés et vétérans, on ne devrait pas être en reste ! De fait, chez nous ce serait plutôt la résistance à l’autorité personnifiée par la police et les riches qui prédomine plutôt que les grandes envolées humanistes. De l’anarchisme poétique et truculent de Georges Brassens à celui à la fois radical et humoristique de Renaud en passant par le bolchévisme naïf de Jean Ferrat, nos chanteurs classiques avaient de la répartie et savaient jouer avec les mots pour exprimer leurs idées ! La meilleure manière de faire réfléchir, c’est de s’adresser à l’intelligence, pas idiot en fin de compte…

Maintenant, la technique du parpaing dans la tronche fonctionne aussi très bien et en réponse aux punks anglo-saxons, une poignée de groupes mettant un point (un poing ?) d’honneur à chanter leur révolte en français ont déferlé au début des années 80, fleur au fusil et mèche au vent afin de secouer un peu la jeunesse de l’hexagone. Que ce soit l’urgence des intonations de Bernie Bonvoisin avec Trust s’attaquant indifféremment aux hôpitaux psychiatriques (H & D), au système carcéral (Le Mitard, sur un texte de Jacques Mesrine), à la police (Police Milice) ou bien encore l’authentique gouaille des clowns clochards de Bérurier Noir pratiquant le dépouillement total quand il s’agit de faire passer un message (« La Jeunesse emmerde le Front National » dans le titre Porcherie, y’a pas plus simple), on sait aussi hausser le ton ! Sacré Béru.

Et puis il y a les autres, les inclassables, les prises de conscience collectives telles que l’initiative de USA for Africa avec We Are the World, les fulgurances connectées à l’air du temps (littéralement) lorsque Scorpions sort son Wind of Change, et l’un de mes préférés, monsieur Johnny Clegg et son groupe Savuka.

Les jeunes générations ne peuvent pas se représenter ce qu’était l’apartheid et c’est heureux. Imaginez une ségrégation raciale non pas honteuse et hypocrite comme dans le Sud des USA où les mecs avaient besoin d’un déguisement à capuche pour assumer leurs idées dégueulasses, mais une théorie raciste officielle, légale, promue par un gouvernement et une partie du peuple. Là dessus débarque un mec, un Blanc qui a grandi au milieu des Noirs et qui refuse cet état de fait. Et qui résume tout en une chanson, Asimbonanga, dédiée au futur président Nelson Mandela alors prisonnier politique dans son propre pays. Nul doute que le succès du titre et sa sincérité ont contribué à mettre à bas le régime dont il est question.

Ainsi donc, les mots ont un sens et peuvent changer le monde, surtout s’ils sont mis en musique. C’est un peu la mission qui nous attend dans les semaines, les mois, les années à venir, chercher dans la culture, et la musique en particulier, des raisons d’espérer… Parce qu’il en reste. De toutes façons, à la fin, les malfaisants finissent toujours par perdre. Reste à savoir qui écrira la partition de leur défaite. On sera là pour vous tenir au jus, hardi !

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