#Analyse Mindhunter : l’amour des seconds couteaux

#Analyse Mindhunter : l’amour des seconds couteaux

Note de l'auteur

Consacrée aux débuts de l’analyse et de la compréhension des tueurs en série par le FBI, Mindhunter aligne une belle brochette d’agents spéciaux et de serial killers en mode face-à-face. À la vision de la série de (mais pas seulement) David Fincher, il faut avouer que ce sont ces derniers qui se taillent la part du lion. Ou comment le banal triomphe de l’exceptionnel.

Mindhunter, dont la saison 1 a été diffusée d’un bloc sur Netflix en octobre, raconte la façon dont un agent du FBI révolutionne l’approche des « tueurs en série » (une expression dont son collègue et lui seront à l’origine), à une époque où le Bureau se contentait d’essayer de leur mettre la main au collet et de les envoyer à la chaise électrique.

La série créée par le scénariste Joe Penhall mais initiée par Charlize Theron (Monster) et dessinée par David Fincher (Seven, Zodiac) fonctionne sur plusieurs temporalités. Au-delà des fils narratifs consacrés classiquement à la vie privée des héros – l’agent spécial Ford (Jonathan Groff) et sa petite amie sociologue (Hannah Gross) ; le béguin du même Holden Ford pour le Dr Wendy Carr (Anna Torv), pourtant lesbienne ; l’agent spécial Tench (Holt McCallany) et son fils adopté qui ne lui parle pas – les deux trames les plus importantes fonctionnent l’une sur le long terme, l’autre sur le court terme.

Sur le long terme : comment la Behavorial Science Unit est devenue une unité-clé du FBI dans la compréhension, la recherche et la capture des serial killers. Sur le court terme : ce moment multiplié où les deux agents entrent dans la cage au lion et font face, parfois sans vraie protection, à des tueurs en série qui, chacun à leur façon, ont tout de la bête dangereuse.

Sans oublier les séquences mystérieuses (car non encore expliquées à la fin de la saison 1) qui scandent chaque début d’épisode, avec des scènes très anodines d’un homme que, sujet de la série oblige, l’on devine serial killer (il s’agit effectivement de Dennis Rader, le « BTK Strangler »). Et qui servent, en complément aux scènes d’interviews en prison, à montrer le tueur dans son habitat naturel et, in fine, à prouver qu’il a tout à fait l’air « normal ».

 

Ed Kemper plus imposant que nature

Mais revenons au commencement et à la première rencontre avec un tueur en série. À défaut de Charles Manson, une vraie popstar dans son domaine, les agents spéciaux Ford et Tench se rabattent sur Ed Kemper (Cameron Britton, guère connu au bataillon, à part un rôle apparemment très secondaire dans la série Stitchers qui a connu trois saisons). Et lorsque l’acteur qui l’incarne apparaît pour la première fois, c’est le choc. Une présence gigantesque, un physique imposant, un aspect terne qui contraste avec une densité intérieure incroyable : le Kemper de Mindhunter en impose. Davantage sans doute que le vrai.

Le Kemper télévisuel fascine. Pourtant, on reste loin d’un Hannibal Lecter, debout dans sa cellule derrière une plaque de verre, droit comme un I et séduisant de culture et d’intelligence. Et, a fortiori, du Lecter de la magnifique série Hannibal de Bryan Fuller, avec son costume trois-pièces et son charme vénéneux.

L’Ed Kemper de la série Mindhunter et deux Lecter, celui de la série Hannibal (Mads Mikkelsen) et celui du film Le Silence des agneaux (Anthony Hopkins), à rebours de visions très « romantiques » des serial killers, sous la forme d’animaux ultra-cérébraux, basant leurs actions sur des structures préétablies et culturellement très chargées (voir le Seven du même réalisateur), David Fincher les montre tels qu’ils sont. Des monstres ordinaires, des assassins locaux, des « boys next door » aux névroses noires et aux mains rouges. Peut-être autant victimes que bourreaux, mais surtout victimes non pas de grands méfaits eux-mêmes, mais de petites tortures du quotidien. Une mère castratrice ou continuellement dénigrante, un physique désavantageux, un rapport brisé au sexe féminin…

L’intérêt ici n’est pas d’exposer leurs meurtres d’une façon flamboyante, sous la forme d’un thriller psychologique ultra-efficace, mais de les montrer, eux, les tueurs, dans tout l’ordinaire de leurs problèmes, dans toute la banalité des origines du mal (de leur mal), et dans tout le répétitif d’une morne vie en prison.

L’agent Ford avec Jerry Brudos (Happy Anderson).

Au début, la question qui se pose est en effet : accepteront-ils de se confier aux deux agents du FBI (qui, après tout, symbolisent pour eux l’ennemi, celui qui les a arrêtés) ? Question à laquelle une réponse s’impose rapidement : bien sûr, qu’ont-ils de mieux à faire derrière les barreaux ? Les « G-men » misent à raison sur le besoin (bien ordinaire) de l’être humain à vouloir briller, à faire l’intéressant, à chercher à voir dans l’œil d’autrui une forme d’admiration, fut-elle écœurée.

« La fiction les a trop souvent élevés au rang de figures mythologiques – j’ai moi-même participé à ce mouvement avec Seven, a d’ailleurs confié Fincher. Cessons de penser qu’ils sont toujours des cordons-bleus amateurs de bon vin, d’opéra, et dotés d’un QI hors du commun ! Avec Mindhunter, je veux montrer la réalité crue de leur existence. »

Référence à Hannibal Lecter, bien sûr, et à la série de Bryan Fuller, avec son Lecter en type absolu du serial killer lettré, suprêmement intelligent, ultra-référentiel et complètement analytique, ambigu et vénéneux, sans limite morale mais d’un raffinement absolu. Par certains côtés, le Kemper sériel est plus proche du Lecter cinématographique : une tenue simple, une présence toute de retenue, un regard fixe, une certaine distance, une immobilité inquiétante…

L’Ed Kemper de la série Mindhunter (Cameron Britton) et deux Lecter, celui de la série Hannibal (Mads Mikkelsen) et celui du film Le Silence des agneaux (Anthony Hopkins)

Il faut d’ailleurs avouer que ce Kemper sort un peu du lot du « vulgum pecus » serial-killeresque. Contrairement à ses acolytes, il a beaucoup lu sa propre psychologie, beaucoup réfléchi sur sa condition, ce qui pose d’ailleurs des problèmes pour son profilage par les deux agents du FBI. Lors de leurs dialogues, il est quasiment leur égal, voire affiche une longueur d’avance sur eux. Bien évidemment, tous ses propos sont entachés de la possibilité du mensonge. Mais il le rapproche un peu plus du Lecter du Silence des agneaux que les autres tueurs en série interrogés par Ford et Tench : le laconique Monte Ralph Rissell, Darrell Gene Devier (qui passe sans problème au détecteur de mensonges), l’écœurant Richard Speck, et l’inoubliable Jerry Brudos qui se paluche en présence des deux agents au-dessus d’une chaussure de femme.

 

Montrer l’extraordinaire dans l’ordinaire

Dans Mindhunter, le mouvement est double : d’une part, Fincher montre les tueurs en série tels qu’ils sont, dans toute leur banalité apparente (mis à part le plaisir qu’ils prennent à torturer et tuer autrui), mais ce sont bien les serial killers qui prennent toute la lumière ; d’autre part, Fincher montre l’agent Ford qui « crée » quasi seul (bien que secondé par l’agent Tench puis par une psychologue de pointe) l’étude des tueurs en série. Holden Ford incarne donc une forme de surhomme (presque déshumanisé d’ailleurs : il semble incapable de réaction humaine, à l’instar d’un high-functioning sociopath comme le Holmes de Sherlock), mais il ne parvient jamais à réellement occuper le devant de la scène, et encore moins le cœur du spectateur.

Holden Ford face à Ed Kemper.

Les personnages secondaires, dans la saison 1 de Mindhunter, sont nettement plus passionnants que le protagoniste. La petite amie de Ford, l’universitaire psychologue, l’agent Tench (et son fils autiste) s’avèrent nettement plus riches car plus humains. Et c’est peut-être la grande prouesse de cette série : montrer la banalité d’un tueur prolétarien et en faire un moteur narratif aussi puissant et passionnant. Clive Barker a un jour confié : « Ce qui m’effraie le plus, c’est la banalité. » Ici, la banalité est un abîme qui renvoie au spectateur son regard.

Mindhunter
Série créée par Joe Penhall
Produite par Joe Penhall, Charlize Theron et David Fincher notamment
Basée sur le livre Mindhunter: Inside the FBI’s Elite Serial Crime Unit, de John E. Douglas et Mark Olshaker
Une saison diffusée sur Netflix en octobre 2017, une deuxième saison est prévue
Avec Jonathan Groff, Holt McCallany, Anna Torv, Hannah Gross, Cameron Britton, etc.

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