
Everyone Deserves a Second, Second Chance (Mom)
Il faut toujours faire attention aux premières impressions. Particulièrement dans les séries. Et spécialement pour les sitcoms. Nous le savons, l’art sériel est un work in progress permanent et la comédie, une mécanique de précision qui demande souvent des réglages. Mais la valse des nouveautés nous oblige parfois à être insensibles et impatients. Le couperet tombe, nous passons à autre chose. Enfin, des voix s’élèvent, louant les mérites de cette sitcom que vous avez balayée d’un revers de la main, après le pilote, devant sa facture surannée, ses blagues un peu lourdes, un peu gauches, et le parfum peu enivrant de la naphtaline. Des voix de plus en plus nombreuses, de plus en plus précises qui vantent des qualités extraordinaires. La curiosité augmente au fur et à mesure des tweets ou critiques. Et il y a une mention dans la conférence sur le rire au féminin de Yaële Simkovitch et Renan Cros (extrait à l’appui) et un excellent article de Nicolas Robert dans Soap #4. Autant de raisons suffisantes pour donner une seconde chance. Ironique, pour une sitcom dont c’est le sujet.
Le Pardon et la Rechute

©CBS
Si la raison d’être d’une sitcom est de provoquer du rire, Mom ne réussit sa mission qu’à moitié. Nous rions beaucoup mais la série sait jouer avec nos sentiments et n’hésite pas à plonger dans le drame. Avec pour sujet l’alcoolisme et autres dépendances, la rédemption, la reconstruction d’une relation mère/fille, les perspectives se prêtent à ce mouvement de balancier. Seulement, la série n’use pas d’une construction binaire pour arriver à ses fins. Souvent, la douleur s’accompagne d’un rire, un peu nerveux, un peu fragile mais qui finit par soulager. Comédie du désespoir jamais désespérée, Mom aime les virages à 180° où un moment dramatique aboutit à un moment comique.
Amener de la légèreté à un sujet grave sans le prendre à la légère. Une mission noble et périlleuse qui ne semble pas faire peur aux auteurs. Dans son format classique (filmée à plusieurs caméras devant un public), la sitcom se détache par sa capacité à occuper son sujet sur tous les fronts. Nous ne rions jamais des personnages, nous les accompagnons dans leur(s) vie(s) cabossée(s) au rythme parfois chaotique mais jamais dénuée(s) d’autodérision. Cette forme salutaire d’humour ne désamorce pas le drame, il évacue toute trace de pessimisme. Mom entretient le paradoxe d’une série tournée vers l’espoir et d’une série déceptive. Une série où l’on pardonne et où plane l’éternelle crainte d’une rechute. Une série où l’on ne sait plus si nous avons chassé le naturel ou s’il est déjà revenu au galop.
Gagner des Batailles à défaut de la Guerre

© Darren Michaels/Warner Bros. Entertainment Inc.
Il règne une incertitude permanente, une constante fragilité, que les bons mots ou attitudes saugrenues ne masquent pas totalement. La survie par le rire, c’est un peu le plan de Christie ou Bonnie. Une façon d’alléger le combat face à un ennemi beaucoup trop grand et beaucoup trop fort. Si la série nous apprend que rien n’est acquis, elle célèbre une vie où l’on ne peut que gagner des batailles à défaut de la guerre.
Cette façon de jouer entre les lignes impose un caractère singulier et place le spectateur dans une position inhabituelle. Fauchés par les larmes quand nous sommes venus chercher du rire ; pris au dépourvu devant le changement de cadre (début de saison 02) quand nous cherchons une forme de stabilité ; Mom ne ressemble à aucune autre sitcom sur un network. Ce jeu à contre-pied révèle l’incroyable modernité de la série, capable de respecter certaines règles et d’en exploser d’autres. Jamais figé devant une forme très rigide, Mom mise sur son écriture pour repousser les lignes, s’amuser d’une norme qu’elle ne détourne pas par simple esprit de contradiction mais parce que c’est inscrit dans ses thèmes.
Célébrer l’Impermanence

© Monty Brinton/CBS
Souvenez-vous, dans sa conférence lors de la cinquième saison de Séries Mania, Renan Cros nous expliquait que la sitcom était une variation au sein du même que la situation comique va créer et « cette variation n’a qu’un seul but : ne jamais détruire le même. » Une définition qui s’applique à Mom mais de façon perverse. Dans la série, ce « même » est la bataille contre un état qui pousse à un même inversé. La sitcom inscrit dans ses gênes une redondance fragile, instable (la sobriété) et la menace permanente d’une répétition destructrice et imposante (l’alcoolisme). On retrouve un geste similaire à celui de House qui voyait dans l’addiction de son personnage principal l’expression de sa propre réitération. Si la série se répétait, c’est parce que le personnage existait dans une formule qu’il avait lui-même créée pour se rassurer et justifier sa dépendance. Mom cherche à échapper à ce danger en appliquant ces règles à un niveau combatif, pugnace mais inconstant. La sitcom entre dans une dimension précaire où le rire n’est plus garanti de façon persistante ; où menace le danger d’un basculement imminent du même.
Mom célèbre l’impermanence. Si au terme de chaque épisode, tout n’est pas remis en cause, elle nous rappelle régulièrement qu’à n’importe quel moment, un personnage peut chuter. Le combat contre toute forme de dépendance se mène un jour après l’autre. Un mantra que la série applique, qu’elle nous répète, trouvant dans ce motif redondant, le moyen de nous faire rire. Les auteurs ont trouvé dans une formule classique, voire passéiste, une niche pour y développer une narration audacieuse. Une révolution silencieuse, homéopathique, dont on ne définit pas tout de suite la forme et qui se révèle sur le tard.
Le salut ne vient pas nécessairement du câble, Mom est diffusée sur CBS.