#Analyse Rock & Folk a 50 ans !

#Analyse Rock & Folk a 50 ans !

Dis Papa, cest quoi un rock critic ? À quoi ça sert ? Lorsque paraît le premier exemplaire de Rock & Folk en décembre 1966, la question ne se pose pas vraiment encore. À l’origine, un numéro hors série du magazine Jazz Hot, le journal imaginé par Philippe Koechlin n’a, au départ, qu’une modeste ambition: ouvrir ses lecteurs à d’autres musiques… Et un demi-siècle plus tard, il reste encore du pain sur la planche !

Si vous êtes, comme mézigue, un quarantenaire portant fièrement le poids des ans comme un vieux sac U.S. couvert de noms de groupes patiemment recopiés au marqueur (ou au Tipp-Ex), vous vous souvenez probablement de l’âge d’or des magazines rock… Chaque mois, votre libraire était envahi par une collection de photos de musiciens en couvertures des Best, Hard Rock Magazine, Guitares & Claviers, les moins recommandables Star Club, Salut ! et autres Ok mais surtout, Rock & Folk. À l’époque en effet, pas d’Internet, quasi rien à la télévision, la seule source d’information fiable sur notre obsession favorite se trouvait entre les pages de ces parutions.

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Numéro 0 et déjà le Zim’ en couverture

Rock & Folk avait cependant une aura un peu différente des autres. Moins technique, moins grand public, et puis c’est qui ce Dylan qui fait la première page tout le temps ? (exactement 59 fois en 592 numéros en comptant le dernier en date, une paille !) La raison en est simple à mon sens, la rédaction de Rock & Folk n’était pas composée de journalistes, mais de rock critics ! Et si on en parle encore cinquante ans plus tard, ce n’est pas pour rien…

Or donc, c’est quoi un rock critic ? Nicolas Ungemuth tente une approche masquée en se souvenant de sa première rencontre avec Philippe Manœuvre, « Ce n’était pas un homme comme les autres ! J’imaginais qu’il passait sa vie à prendre des bains de lait d’ânesse avec des mulâtres callipyges l’arrosant de Ruinart tandis que les maisons de disques le fournissaient directement et gratuitement en palettes de colombienne pure et de disques par milliers. Des créatures siliconées s’asseyaient sur son nez alors qu’il reprenait son souffle et, lorsqu’il était fatigué de ces ébats, il partait sûrement interviewer une star à l’autre bout du monde (« Mick ! » « Lou ! » « Keef ! ») puis remettait ça. C’était un Dieu. »

Ah. Manœuvre. Si l’on pouvait dénombrer tous ses enfants de plume illégitimes, il faudrait plus que les 195 pages que compte le numéro anniversaire qui vient de paraître sous sa direction ! Et l’auteur de cet article en ferait partie. Vous la voulez l’histoire de MA rencontre avec PhilMan ? Il était une fois un Hors Série paru pour les 25 ans du journal (la vache, on ne rajeunit pas) qu’un jeune fan de rock de quinze piges s’est offert pour découvrir les 250 meilleurs Disques, rien que ça ! La Bible à côté ? Fume !

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L’objet du délit

Il se trouve qu’en page 51 de cet opus magnus figure une chronique du sieur Manœuvre datant de 1976, où le plumitif débutant de l’époque descend en flammes le premier album des Ramones. Je cite : « … je veux bien être pendu si en fait les Ramones ne sont pas le groupe le plus propre et le moins dangereux du monde. » Si l’ami Philippe a évité la corde de justesse, il n’a pas empêché le jeune fan de rock devenu un peu plus âgé de venir le trouver à une séance de dédicace vingt ans plus tard pour lui faire signer l’article en question ! Ce qu’il a fait avec beaucoup d’humour après avoir ri un bon coup et rameuté ses collègues.

Voilà les enfants, un rock critic, c’est ça. C’est le vieux baroudeur en perfecto défraîchi qui relit ses œuvres de jeunesse en argumentant que, quand même, à côté des New York Dolls, ces Ramones n’étaient vraiment pas terribles (inoubliable exercice de mauvaise foi), et c’est le jeune apprenti qui vient mordre le mollet de son maître en lui rétorquant que, quand même, les bébés rockers type Naast et BB Brunes c’est bien pire ! Ce sont ces deux mecs qui pensent qu’au moment où ils ont cette discussion, rien d’autre n’est plus important sur terre et probablement dans les galaxies environnantes ! Parce qu’au final, y a-t-il quelque chose de plus important que de parler musique ?

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La rédac’ : Basile Farkas, Vincent Tannières, Philippe Manoeuvre, Hugo Paillard, Matthieu Vatin, Yasmine Aoudi et Vincent Palmer

Si votre réponse est non, alors vous êtes sur la dangereuse pente qui mène à faire partie de la famille… Car il n’y a pas d’école pour cela, pas de formation obligatoire, pas de qualités requises, il faut juste avoir cette passion chevillée au corps et ça, ça ne s’apprend pas. Mais ça s’entretient, notamment par la lecture d’une publication comme Creem ou Rolling Stone si vous habitiez de l’autre côté de l’Atlantique, ou de Rock & Folk si, comme votre serviteur, vous trainiez vos guêtres dans ce bon vieil hexagone.

Du coup, elle vaut quoi la définition du gars Ungemuth citée plus haut ? Mec, it’s only rock n’ roll, on s’en fout si c’est du vrai ou du fantasme, du moment que l’espace d’un instant, pendant la lecture, tu rêves un peu ! Comme le p’tit jeune fan de rock qui écrit ces lignes aujourd’hui rêvait en lisant les chroniques de ces tournées des Stones qu’il ne pourrait jamais vivre, ces moments passés avec Lemmy entre destruction de chambre d’hôtel et réflexions sur le nouvel album de Motörhead, ces artistes inconnus qui trouvèrent leur chemin entre ses oreilles grâce à quelques phrases imprimées sur du papier glacé (Living Things, Wraygunn, Jay Reatard, récemment les Slaves et tant d’autres…)

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Regarde Jimi, disque du mois !

Au final, quelques pistes nous sont offertes par une double page pleine d’humour signée Basile Farkas qui recense les questions les plus régulièrement posées à propos de cette profession pas comme les autres. On y apprend que non, on ne couche pas plus facilement, on ne mène pas non plus une vie de débauche, en tout cas plus depuis la fin des années 70, et on ne fraternise pas vraiment avec nos sujets d’articles (ce serait même plutôt l’inverse, votre humble narrateur ayant encore en mémoire le souvenir cuisant d’une interview avec Slash où le guitariste préférait jouer avec son chien plutôt que de répondre aux questions, ou alors par monosyllabes).

Alors pourquoi se faire suer ? Une fois encore, la passion camarade. Et le besoin de transmettre une partie de cette flamme qui nous anime tous, de propager l’incendie qui nous consume lorsque l’on est emporté dès les premières mesures par une galette enrobée d’une pochette aux couleurs chatoyantes ! Et cela vaut aussi pour les autres, tous autant que nous sommes au Daily Mars, accros aux jeux vidéos, cinéphiles intarissables sur l’œuvre de John Carpenter, amoureux de bandes dessinées, de séries télévisées, de littérature, même le Docteur No… On fait ça parce qu’on aime ça !

Et Rock & Folk, depuis cinquante ans, a montré la voie. Ils font partie de ceux qui, en France, ont encouragé l’existence d’un journalisme différent, partial, drôle et provocateur, parfois engagé sur des sujets essentiels (Pet Sounds ou Sgt.Pepper ?) et toujours focalisé sur l’idée qu’il faut transmettre, passer le flambeau, t’as pas écouté le nouvel album de The Kills ? Il est à décrocher le papier peint des murs ! Maître mot : faire entendre la musique à ses lecteurs.

Pour tout ça et le reste, merci les gars et joyeux anniversaire Rock & Folk !

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