
#Analyse Stranger Things 2, le double abîme et l’agent triple
Le phénomène Stranger Things nous a gratifiés d’une 2e saison assez somptueuse, où même les éléments les plus détonnants – trop punks, les punks ? – participent du vertige général. Convoquons au passage saint Irénée, Stephen King et Carson McCullers, histoire d’éviter le sempiternel débat autour de la « nostalgeek »… (Attention, quelques spoilers malgré tout, bien que peu nombreux et pas fondamentaux.)
Disons-le tout de suite : il ne s’agit pas ici de traiter de la dimension « nostalgeek » de Stranger Things 2. OK, il y en a à nouveau pour tous les goûts, de Ghostbusters (à plusieurs reprises, mention spéciale pour « It’s judgment day » – ce qui résonne avec la notion catholique de double abîme, lire ci-après) aux Goonies (mention très spéciale à Sean « Bob Newbie/Mickey Walsh » Astin qui, dans le tunnel de l’Upside Down, répète : « On est dans la carte de Will »… Willy le Borgne ? la carte du trésor ? et les explosions font-elles référence aux explosifs de Chester Copperpot ?), en passant par… à peu près tout. En définitive, cependant, l’aspect « Eighties forever » n’est pas, et de loin, le plus intéressant de cette série. Il est malheureux que les débats autour de Stranger Things s’y attardent encore autant, voire s’y limitent.
Certes, les motifs sont 80’s mais la manière de filmer et de construire le récit est résolument contemporaine. C’est aussi tout le talent des Duffer Brothers, les créateurs, que de « faire passer » ces motifs par un style complètement cohérent avec ce qui se fait aujourd’hui. S’ils avaient filmé « comme en 1984 », cela se serait vu et, probablement, n’aurait pas été accepté par le public d’aujourd’hui. Or, ils filment « comme en 2017 », ce qui rend le tout à la fois cohérent, efficace et parfaitement lisible.
Une chose sépare définitivement Stranger Things de l’âge d’or d’Amblin et compagnie, et c’est le temps : trois décennies sont passées, qui sont impossibles à remonter pour réellement « filmer comme à l’époque ». Le talent, c’est aussi de le savoir et de retrouver pour la transmettre une certaine vérité des films 80’s en l’enrobant dans un « mensonge 2010’s ». Selon Stephen King, la fiction, c’est la vérité dans le mensonge. Atteindre la vérité d’une réalité en la racontant sous la forme d’une histoire inventée. Stranger Things est parfaitement cela : une fiction qui exprime une vérité.
La nostalgie n’est plus ce qu’elle était, disait Simone, qui avait bien raison. Ce à quoi Carson McCullers aurait pu répondre : « Nous sommes tiraillés entre la nostalgie du familier et le désir ardent de l’inconnu. Et le plus souvent, nous avons le mal du pays pour des endroits que nous n’avons jamais connus. » Upside Down, anyone ?
Will Byers, l’agent double, triple, quadruple…
Stranger Things brasse nettement plus que des colifichets rappelant leur enfance aux membres de la génération Y. Son moteur métaphorique carbure à plus d’un pétrole. Prenez le chiffre « 2 », fièrement affiché par le titre de cette saison. À la manière d’une suite cinématographique, et non d’une simple « deuxième saison ». La série et son double…
Le double, justement. Un peu comme les jumeaux imparfaits dans Twin Peaks (le géant et le vieil employé du Grand Nord, sans parler de Cooper et du Jumping Man), une bonne partie de ST2 fonctionne sur la dualité. Monde « réel » et Upside Down (moins univers inversé que double apocalyptique) bien sûr. Double rouquin (mais tout aussi rebelle) d’Eleven en la personne de Max (aucune des deux ne porte son nom de baptême : l’une un chiffre, l’autre un prénom de garçon, cristallisé dans son surnom de « gameuse », Mad Max), l’une mage, l’autre « zoomer ». Il y a les duels amoureux (Lucas vs Dustin pour la conquête de Max, Jonathan vs Steve pour le cœur de Nancy, Hopper vs Bob autour de Joyce). Il y a l’agent double, Will Byers, qui espionne le gang des garçons pour le compte du Mind Flayer (la créature apparemment toute-puissante de l’Upside Down) et espionne celui-ci pour eux. Agent double, voire triple, quadruple, au fil de sa propre évolution et de l’avancement de l’emprise de la créature des ténèbres sur lui.
On parlait de Stephen King un peu plus tôt. Dans un précédent papier, il s’agissait justement de partir de la genèse avouée de son roman Salem’s Lot, pour lequel le Maître de l’horreur avait joué une sorte de « partie de squash littéraire », où son propre livre était la balle, et le Dracula séminal de Bram Stoker le mur sur lequel elle rebondissait. On a la même impression face à Stranger Things, encore plus dans sa saison 2. L’accumulation de références aux Eighties provoque une sorte de vertige dans le chef du spectateur, au même titre que les mouvements de caméra et les passages ahurissants de noirceur dans l’Upside Down vu par les yeux écarquillés de Will Byers.
Un jeu de miroirs aux alouettes qui se font face (et projettent donc un reflet jusqu’à l’infini de ses propres reflets). Un vertige référentiel qui, loin de l’étouffer, souligne et amplifie le flux permanent de la narration. Et même les éléments les plus apparemment décalés (le journaliste qui suit la « piste russe » avant de trouver le moyen de révéler au monde les secrets du laboratoire où tout a commencé, le groupe de punks du 7e épisode) parviennent à fonctionner dans ce tourbillon d’éléments importés et de créations pures.
Prenez le gang d’anarchopunks emmené par Kali, camarade d’infortune d’Eleven lorsqu’elles étaient toutes deux les sujets d’expériences. Voici, à première vue, un ramassis de clichés du genre et d’erreurs absolues. Qui a jamais vu des punks aussi « punks » que ceux-ci ? Or, comme le souligne Stephen R. Bissette (connu notamment pour son travail sur Swamp Thing, avec Alan Moore), « quasiment toutes les représentations de ‘punks’ à l’écran dans les années 80 étaient aussi ridicules que celle-ci. » Il y a bien cette fidélité, cette sincérité jusqu’au-boutiste des frères Duffer envers leur désir de raconter à la fois l’histoire qui leur tient à cœur et leur vie fantasmée dans des années 80 de carton-pâte. Ils sont passés de l’autre côté du miroir aux alouettes, telle une double Alice dont le pays des merveilles aurait la semblance apocalyptique de l’Upside Down.
Et l’on revient au vertige du temps. Le mouvement de va-et-vient (ou de spirale, peut-être) opéré par Stranger Things avec cette divine décennie ne comble pas l’abîme qui nous en sépare. Certes, il existe des passeurs, comme Will Byers qui, bien malgré lui, passe du monde réel à l’Upside Down d’un clignement d’œil. En sens inverse, l’Upside Down pousse ses tentacules, creuse ses tunnels jusque sous l’épiderme de Hawkins, empoisonnant la terre, pourrissant tout. Belle métaphore de la série elle-même, créée par deux frères embarqués dans une exploration. Watchmen posait frontalement la question : « Qui garde les gardiens ? » Aux commandes de Stranger Things, on trouve deux frères (jumeaux !) qui ne paraissent jamais fatigués, pourrait-on dire, d’« explorer Explorers », ce classique de Joe Dante, avec Ethan Hawke et River Phoenix, sorti en 1985.
Double abîme : saint Irénée, le sexe et l’Upside Down
« Celui qui combat des monstres doit prendre garde à ne pas devenir monstre lui-même. Et si tu regardes longtemps un abîme, l’abîme regarde aussi en toi. » Cette citation célèbre de Friedrich Nietzsche (tirée de Par-delà le Bien et le Mal) est tellement rabâchée qu’elle est devenue un trope. Elle résonne pourtant terriblement bien avec cette saison 2. Avec Will, évidemment : un garçon qui, en affrontant sa peur (le Mind Flayer), est victime d’une possession/pénétration particulièrement violente. Sans parler de cet effet miroir de l’abîme. Car, si l’Upside Down est l’objet de nombreuses visitations par les soldats du labo, le Mind Flayer, en retour, creuse son abîme sous la terre (à la fois les tunnels vers Hawkins et cette porte vers l’Upside Down, qui ressemble de plus en plus à un gouffre) et porte ses regards vers le monde « réel ».
Stranger Things fonctionne donc, ici aussi, sur le mode du double. Or, selon la doctrine de saint Irénée de Lyon, un double abîme nous sépare de Dieu. Celui de la chair, tout d’abord. Car nous, pauvres humains, sommes limités, temporels, mortels, finis, alors que Dieu est partout, éternel, immortel et infini. Le Mind Flayer ne ressemble-t-il pas à un dieu cthulhuesque (les proportions, en tout cas, y sont) ou à un démon, une entité surnaturelle qui se joue des limites humaines et qui a le pouvoir de posséder un jeune garçon comme Will ? En son royaume, en tout cas, puisque les frontières avec le nôtre semblent se refermer sur lui à la fin de la 2e saison (au moins provisoirement, faux twist final oblige). Elle n’en demeure pas moins une figure divine – même s’il s’agirait plutôt d’une divinité maléfique. Tentaculaire, elle-même réseau de tunnels et d’histoires, de passages et d’obscurité. Le Mind Flayer, c’est le tout Autre, l’incompréhensible, la Créature sans nom. On lui suppose une intention des plus basiques – prendre possession de notre monde pour en faire une extension du sien, de son propre Enfer – mais en réalité, on n’en sait rien.
Abîme du péché, ensuite. Car Dieu est parfait et saint (trois fois saint, même : le Trisagion a été inventé pour lui), quand nous sommes imparfaits et entachés par le péché. Nos propres péchés et celui, plus fondamental, commis par Adam et Ève. Nancy culpabilise car, au lieu de sauver la vie de sa meilleure amie Barbara, elle a couché avec Steve, dans un passage quasi obligé pour ce type d’œuvre visuelle. Un péché qui lui coûte sa relative tranquillité d’esprit et son couple, mais qui lui offre la connaissance (la révélation de la vérité concernant le laboratoire et, en définitive, de toute l’histoire et de l’existence d’un monde parallèle) et la possibilité d’un nouveau couple lié à cette nouvelle connaissance.
Une Nancy est morte, elle aussi, avant de renaître via la matrice (au moins métaphorique) de l’Upside Down. Et que dire de ces armées d’hommes en combinaisons intégrales qui ne cessent d’entrer et de sortir de l’Upside Down, par cette cavité creusée dans une paroi au sous-sol du laboratoire ? La métaphore sexuelle (qui peut aller jusqu’au motif du viol, d’ailleurs) est plutôt évidente. Par ses conséquences désastreuses, elle tend un miroir à la « première fois » de Nancy. Et, comme cette dernière, elle change tout. On attend avec impatience la saison 3… et on croise les doigts pour des saisons 4 et 5, puisque les frères Duffer ont de quoi nourrir leurs fantasmes – et les nôtres – pour quelques années encore.
Stranger Things 2
Diffusée sur Netflix (toute la saison en bloc le 27 octobre)
Série créée par les frères Matt et Ross Duffer
Avec Winona Ryder, Millie Bobby Brown, Natalia Dyer, Sadie Sink, David Harbour, Finn Wolfhard, Gaten Matarazzo, Caleb McLaughlin, Sean Astin, etc.
Strangers thing, c’est les années 80 reconstituées à travers les clips de MTV.
Autrement dit c’est du travail de décalcomanie sans aucun travail de recherche documentaire, autrement dit (bis repetita), c’est du boulot de feignasse et ça se voit. Et peu importe la façon dont Stephen R. Bissette justifie cela.
Si on veut voit un vrai travail réaliste de reconstruction de cette décennie, il vaut mieux regarder The Deuce.
Après, je ne suis pas du tout d’accord avec la vision de Vincent Degrez par rapport à cette série qui n’est rien d’autre qu’un produit calibré pour les geeks et rien d’autre. C’est mon point de vue personnel. Si l’on veut voir une vraie série pleine de références à destination des Geeks, Futurman est autrement mieux foutu et se prend beaucoup moins au sérieux. Et au moins on rigole. Alors que dans Strangers thing on attend que tous ces crétins de gosses et leurs parents meurent les uns après les autres. Et on est déçu parce qu’à la fin personne ne meurt.
Strangers thing, c’est un récit pauvre, un suspens absent, des acteurs tous horripilants, laids et/ou hystériques, des effets spéciaux de la décénnie précédente. Tout ce qu’on voit à l’écran fait référence à des films comme Aliens avec un S. D’ailleurs le monstre tellement dangereux dans la première saison devient dans la seconde de la simple chair à canon, comme ce qu’est devenu le Xénomorphe de Scott une fois passé dans le moulinette militaro-bourrine de Cameron. Ils ont même poussé le bouchon jusqu’à faire ressembler au Boss de l’Upside Down à la reine mère des Aliens. Sans compter les sons, les scènes quasiment copiées plan par plan sur le film de Cameron.
Quant à la partie de la critique vue à travers le prisme de la religion catholique… Comment dire ? Ah oui, je sais. C’est quoi ce délire ?
Je vais le dire avec humour même si je n’en pense pas moins.
Toujours éviter de regarder une série aussi banale qu’affligeante comme Strangers thing – un produit destiné à une cible et rien d’autre – sous une substance quelconque, illicite ou non pour éviter de dire des grausse baitizes en citant notamment des références religieuses pour donner une apparence d’intelligence à quelque chose qui en manque cruellement <–Cette phrase est beaucoup trop longue 🙂
Ah baurdail de mairde, Doc où es-tu ?
‘fectivement, et ce n’est pas une surprise donc, on n’a pas la même vision de Stranger Things…
Ceci dit, je ne pense pas qu’il s’agisse de recréer réalistiquement les années 80 elles-mêmes, mais de retrouver une certaine image, un son, une vibration qu’elles ont transmises à travers le cinéma. Plus encore, « un certain » cinéma. Les frères Duffer ne s’en cachent pas, d’ailleurs. C’est là où je trouve qu’on ne peut pas parler de plagiat proprement dit, car il ne s’agit pas d’un mensonge. Les Duffer ne masquent pas un repompage sous la forme d’une œuvre originale. Ils tentent de retrouver une certaine vérité cinématographique des années 80, tout en l’utilisant pour raconter une histoire neuve. On peut la trouver peu originale – reste qu’à mes yeux, elle recèle beaucoup plus qu’on ne veut bien le dire. Bref, je n’y vois précisément pas un produit formaté et rien d’autre. Se limiter à l’emballage Eighties, c’est pour moi rater l’essentiel.
Quant à mon « délire » catholico-stupéfié, je me sers surtout de ces références volontairement décalées pour éclairer des points particuliers de cette série qui me paraissent remarquables. L’idée n’est pas de me faire « mousser » ni de faire croire que les Duffer sont des exégètes de saint Irénée. J’aime simplement insérer des éléments bizarros pour varier un peu les angles d’attaque.
PS : « The Deuce » n’est-elle pas plutôt située dans les années 70 ?