#Analyse The Affair et la liberté de se réinventer

#Analyse The Affair et la liberté de se réinventer

Note de l'auteur
Attention : il est ici question du début de saison 3. Il est préférable d’être à jour pour éviter d’éventuelles révélations.

Au départ, The Affair faisait le pari d’une narration bicéphale. Puis vint la saison 2 et cette double approche s’est étendue à quatre points de vue. Cette année, la série s’étend à nouveau, mais ne s’en contente pas, exhibant ainsi une liberté salvatrice pour sublimer des personnages par ailleurs peu engageants.

Lors de la rentrée 2014, The Affair se distinguait brillamment. Son audace formelle façon Rashomon* — avec une succession de points de vue confrontant les mêmes événements —, mais aussi cette relation et ce coup de foudre magnétique incarné par un duo d’acteurs littéralement transportés (Ruth Wilson et Dominic West), dénotaient singulièrement.
Ce départ nous laissait sous le charme, et même si la saison s’avérait finalement irrégulière, la construction et l’existence de ce récit composite alimentaient naturellement notre curiosité.

Mais que faire de cette double narration ? Doit-elle évoluer pour éviter qu’elle ne constitue un gimmick répétitif ou bien faut-il la laisser intacte pour ne pas dénaturer la signature de la série ? Au fond, est-ce qu’un/une showrunner — en l’occurrence, il s’agit d’une : Sarah Treem — est-elle (ou il) totalement libre de faire évoluer sa création ?
La question est sensible, voire contradictoire au sein du genre sériel. D’un côté, la nature allongée du format sous-tend un principe d’évolution. De l’autre, le caractère redondant qui le caractérise constitue également l’une de ses fondations. D’ailleurs, ce dernier est aujourd’hui accompagné d’un dédain pour le moins injuste ; il n’est pas inutile de rappeler qu’il y a du courage à décliner l’ordinaire, à trouver des variations sur un gabarit contraint.

Du reste, l’établissement d’un procédé formel peut participer de l’ADN central d’une série. Ainsi, la nouvelle déclinaison de 24Legacy prévu le 5 février prochain — prend bien soin de reprendre le split-screen caractéristique de la franchise (voir bande-annonce).
L’artifice peut également constituer l’apanage d’un auteur. C’est notamment le cas pour le trio Todd A. Kessler, Glenn Kessler et Daniel Zelman (Damages, Bloodline) qui ne semble pas pouvoir se défaire du combo voix off/flashforward (au passage, The Affair a justement eu recours à ce dernier).

Mais revenons à The Affair. En saison 1, la scission entre deux points de vue d’un même récit fait mouche. Mais la contrainte est telle que le geste finit par tourner en rond. L’année suivante — qui passe de dix à douze épisodes — la série continue de morceler ses épisodes en deux parties, mais les points de vue sont doublés (Helen et Cole s’additionnant à Alison et Noah). Cette ouverture permet d’aérer le récit, mais la dilution ne bénéficie pas à la forme. Les deux nouvelles perspectives offrant finalement le même jeu de comparaison de l’événement commun.

04affair-master768Arrive alors cette saison 3. Là encore, un nouveau point de vue fait son entrée, mais à la différence que cette fois-ci, le personnage dont il est question est une inconnue. Il s’agit de Juliette Le Gall (Irène Jacob), professeur en histoire médiévale qui devient proche de Noah.
Néanmoins, cette nouvelle expansion cacherait presque une double révolution plus fondamentale. Tout d’abord, on retrouve The Affair alors qu’elle a fait un bond de trois ans (nous permettant de retrouver le romancier volage après son séjour en prison). Et si, le récit louvoie ponctuellement vers ce passé sous la forme de flashback, il devient avantageusement plus linéaire.
D’autre part, et c’est surtout là le principal renversement, cette saison s’ouvre par un épisode doté d’un unique point de vue (celui de Noah). Les deux épisodes suivants (diffusés depuis, lors de l’écriture de ces lignes) reprennent ensuite le découpage habituel de la série, mais le décalage provoqué par cette ouverture dynamise adroitement la reprise des hostilités.

La résolution du mystère entourant la mort de Scott Lockhart — intervenue en fin de saison dernière — libérait déjà amplement le champ des possibles. On devine désormais que le volet thriller de la série (pas forcément le plus réussi jusqu’ici) va renaître et planer autour de Noah. Mais le premier épisode ne fonctionne pas comme une simple introduction. Il instaure un changement de vitesse qui a pour effet de lui éviter une confrontation directe entre Noah et Juliette. Le ressort n’est plus seulement de jouer sur les vérités de chacun, mais bien d’élargir les perspectives d’un récit au-delà d’un unique fil narratif commun.

Il est bien sûr trop tôt pour juger de la réussite de ces soubresauts à l’échelle de la saison. Mais quelle qu’en soit l’issue, The Affair y gagne en vitalité. Qu’importe finalement si les protagonistes de la série ne sont pas les plus admirables (Noah le premier, dont le costume d’antihéros manque de subtilité). Cette réinvention transversale, aussi bien sur le contenu que sur la forme, permet de se projeter au-delà, vers l’imprévisible, cette denrée si rare !

THE AFFAIR Saison 3 (Showtime)
Diffusée « à l’heure US » sur Canal+ Séries depuis le 21 novembre.
Série créée par : Sarah Treem et Hagai Levi.
Scénaristes : Sarah Treem, Anya Epstein et David Henry Hwang.
Réalisateurs : Jeffrey Reiner et John Dahl.
Avec : Ruth Wilson, Dominic West, Maura Tierney, Joshua Jackson, Catalina Sandino Moreno, Omar Metwally, Irène Jacob, Jennifer Esposito et Brendan Fraser.
Musique originale de : Marcelo Zarvos.

* : Rashōmon est un film d’Akira Kurosawa qui date de 1950. Il y était déjà question d’un incident raconté par de multiples points de vue contradictoires.

Visuel : The Affair © Showtime

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