
Analyse Wolfenstein II : entre maturité et décalage
Après une critique fort élogieuse de notre ami Clément, j’ai donc eu envie de me plonger dans les méandres de l’éradication du nazisme à sa source et voir de quoi il en retournait. Je suis sorti de l’aventure avec une impression mitigée, saluant l’effort des développeurs de proposer un univers aux échos modernes en appuyant là où ça fait mal, surtout dans cette ambiance de frilosité générale. Mais Wolfenstein 2: The New Colossus a la particularité de ne jamais savoir sur quel pied danser, quitte à perdre le joueur dans son message qui oscille entre de vraies passages touchants et de purs moments de série B qui auraient pu parfaitement trouver leur place dans un programme GrindHouse.
ATTENTION, PLEIN DE SPOILERS
Le colosse aux pieds d’argile
Le premier opus de ce reboot (The New Blood) offrait déjà à l’époque un savoureux mélange de gunfights à l’ancienne et de séquences cinématiques fignolées afin de plonger le joueur dans cette dystopie où l’Allemagne nazie aurait gagné la Seconde Guerre mondiale. On sentait que le titre dansait sur le fil du rasoir en osant mélanger une vraie ambiance de série B (les robots nazis, les combats sanguinolents, certains niveaux sur la Lune) avec une narration et des thèmes adultes, sans jamais venir compromettre les enjeux mis en place. Les personnages hauts en couleur et une histoire résolument fun venaient contrebalancer le sérieux de certains passages, mais Wolfenstein: The New Blood parvenait à garder une certaine fraîcheur et un équilibre fragile mais bien présent.
Le second opus, The New Colossus, qui nous intéresse aujourd’hui, va encore plus loin, mais franchit la limite en tapant dans toutes les directions. L’histoire reprend là où le premier s’est terminé : Frau Engel a réussi à localiser le sous-marin de Blazkowicz et sa petite bande grâce à leur arme secrète, et notre héros termine l’aventure blessé. Le second épisode ne perd pas de temps et reprend quelques minutes après, où notre héros, cloué dans un fauteuil roulant et armé d’un fusil d’assaut, doit se débrouiller comme il peut pour circuler dans le sous-marin en alignant les nazis qui oseraient s’en prendre à lui. Nerveux, original et jonglant régulièrement avec l’humour des rencontres (la cinématique des retrouvailles avec le savant et ses « pièges » électriques est savoureuse), Wolfenstein 2 commence sur les chapeaux de roues. Une heure plus tard, au travers d’une séquence diablement bien écrite, la chef de la résistance se fait assassiner sous les yeux de Blazkowicz, qui doit récupérer son armure pour espérer se déplacer sur ses deux jambes. Cette armure en question est la seule chose qui le maintienne en vie, tentant d’assurer son rôle de futur père avec la douce Anya, qui s’apprête à mettre au monde des jumeaux. Ambiance.
C’est cette ambivalence constante qui désarçonne le joueur que je suis. Le jeu donne l’opportunité d’affronter un robot nazi géant improbable à l’aide d’un fusil laser, au milieu des ruines de Manhattan, tandis que notre héros balance une petite phrase philosophique de comptoir, s’adressant à son ami tué quelques heures plus tôt comme une figure angélique. Et alors que je traverse des niveaux moyennement excitants, me contentant d’éradiquer des nazis en masse et reléguant la narration aux cinématiques, je ne saisis toujours pas dans quelle direction se dirige le titre. D’un côté, on profite de la rencontre avec des personnages tous aussi barjos les uns que les autres ; de l’autre, on respecte le message virulent adressé sur le danger de certaines idées et un brûlot politique envers l’extrême droite d’une vigueur assez rafraîchissante, sans oublier de vrais moments de narrations pures et de mises en scènes qui restent parmi ce qui se fait de mieux ces derniers années. J’en veut pour preuve l’une des dernières missions, qui vous met dans la peau d’un acteur venu auditionner devant un Hitler grabataire et complètement fou.
La liste des glorieux bâtards
C’est vers le milieu du jeu que l’histoire arrive à un tournant décisif, stoppant les errements scénaristiques (tout un régiment nazi planqué dans une cale secrète d’un sous-marin utilisé comme base de la résistance, c’est dur à avaler) et la redondance des niveaux (des bases, des tuyaux, des portes métalliques). Dans un chapitre entier, Blazkowicz retourne dans la maison familiale où le joueur devra se balader et se rappeler des souvenirs d’enfance, entre une mère juive immigrée aux États-Unis, un père américain violent à l’ouverture d’esprit très limitée et son amie afro-américaine avec qui il vit une idylle. Chaque coin déclenche une cinématique fort bien mise en scène, avant l’arrivée à l’étage de la maison et la confrontation directe et brutale avec son père devenu vieux, qui lui apprend comment il a dénoncé sa mère aux nazis. L’écriture y est forte, sans concession, respectant le ton cru et adulte du titre, laissant de côté l’aspect série B qui égrène le jeu en permanence.
C’est ce décalage de ton qui empêche Wolfenstein 2 d’embrasser soit totalement la série B, soit un titre fort sur les conséquences de l’extrémisme. On aurait pu plonger dans l’un ou dans l’autre, car chacun des deux aspects ne vient jamais parasiter l’autre, et fonctionnant même extrêmement bien séparément. C’est le mélange de ces deux approches qui ne marche pas, qui passe d’une cinématique bouleversante à un pur moment de bouffonnerie digne d’Evil Dead. Autre exemple : lors de la capture de Blazkowicz et de son procès, le bougre parvient à se libérer. Au prix d’un niveau éprouvant où le joueur doit combattre comme un acharné, il ouvre une porte et tombe sur sa mère, assise sur une chaise, l’attendant et venant le réconforter comme une mère le ferait avec son fils, avant de revenir dans la salle de tribunal, toujours attaché, pour constater que tout ça n’était qu’un rêve. Cinq minutes plus tard, l’acariâtre Frau Engel tranche littéralement la tête de ce pauvre Blazkowicz en place publique, avant que ses amis de la résistance récupèrent ladite tête en contrebas via un drone afin de la placer dans un bocal pour tenter de le sauver. Il suffira alors d’une cinématique pour que la tête soit greffée sur un corps de super-soldat flambant neuf et repartir aussitôt au combat. Comme si après une scène bouleversante de La Liste de Schindler, on basculait sur une séquence réalisée par le tandem Rodriguez/Tarantino. Un incompréhensible mélange, dont on saisit les qualités intrinsèques, mais sans voir l’intérêt de cette association.
Wolfenstein 2: The New Colossus, passé les niveaux défoulants mais à l’intérêt ludique très limité, trouve ses qualités dans le message qu’il envoie, et sa façon de le faire. Les nazis deviennent de véritables ennemis faisant parfaitement écho à notre monde actuel, et le héros est là non pas pour le représenter en tant que victime, mais bien comme un homme cherchant à combattre cette politique. C’est d’ailleurs étonnant de voir à quel point Blazkowicz se révèle être le personnage le plus censé et crédible comparé aux seconds couteaux flirtant avec la parodie. Une manière de montrer à quel point le sarcasme ambiant possède un certain cynisme car son protagoniste principal est celui qui a le plus souffert, ou du moins on le montre comme tel. Le nazisme et ses représentants deviennent des pantins du divertissement, des sacs à PV, au milieu d’une sauvagerie débridée libératrice et cherchant le second degré dans sa représentation.
La séquence avec Hitler est un bijou de mise en scène et montre à quel point Wolfenstein 2 aurait pu être grandiose s’il était resté sur ce ton-là tout du long, affirmant son second degré et jetant l’opprobre sur une Amérique représentée elle aussi comme des gens adhérant à cette mentalité. Mais Wolfenstein 2 aurait aussi pu être fantastique s’il s’était transformé en une histoire sombre d’un homme cherchant à se venger de la brutalité d’un père qui l’a privé de l’amour de sa mère. Une histoire où les délires SF et fantasques ne trouvent pas leur place. Wolfenstein 2: The New Colossus est une hydre à deux têtes, un colosse à deux visages, qui ne parvient jamais à s’accorder pour savoir lequel est plus fort que l’autre. Et c’est malheureusement au détriment du joueur qui ne sait plus comment réagir à cette histoire perdant toute sa saveur, noyé dans sa volonté de peut-être parler au plus grand nombre. C’est d’autant plus dommage que des FPS narratifs de cette qualité ne sont pas légions, et voir un titre comme celui-ci se perdant dans sa propre recherche d’identité, c’est un peu du gâchis.