
Music Mini Review : Anathema – A Sort of Homecoming (Kscope)
Comme une façon de boucler un tour, lancée par les sorties des derniers Paradise Lost et My Dying Bride, A Sort of Homecoming, concert acoustique enregistré le 7 mars 2015 dans la cathédrale de Liverpool, met en lumière la capacité d’Anathema à refuser le surplace.
Que reste-t-il du Peaceville Three ? A l’aube des 90’s, trois groupes anglais s’imposaient dans le paysage du doomdeath metal. Sous la bannière Peaceville Records, un courant de l’histoire du metal était en train de s’écrire. La légende voulait que l’on imprime une consanguinité entre les groupes ; qu’ils se nourrissaient mutuellement au point de créer une famille symbolique. En vérité, cette association n’existait que dans l’œil du label et celui de la presse, voyant dans la coïncidence de cette émergence, une tentation trop grande d’évoquer la naissance d’un mythe. Les années ont passé, et si les trois groupes occupent toujours l’actualité (hasard du calendrier), ils n’entretiennent plus beaucoup de rapports. Paradise Lost et My Dying Bride ont tous les deux livré deux magnifiques albums de doomdeath mais trop différents pour oser les rapprocher. Et Anathema a quitté les terres du metal depuis longtemps maintenant.
Quelque part, la discographie d’Anathema raconte l’histoire d’un dépouillement, qui trouve un point culminant dans A Sort of Homecoming. Un groupe qui s’est dénanti d’une violence explicite, sans renier les racines d’une musique qui exprime la profondeur d’émotions véhémentes. Seul le son s’est assagi, troquant voix gutturale (Darren White sur les deux premiers albums Serenades et The Silent Enigma) et pesanteur du doom pour les mélodies éthérées de Danny Cavanagh et la voix angélique de son frère Vincent. Parcourir les albums chronologiquement, c’est vivre un glissement progressif vers une intimité rageante où l’on se sent parfois seul face à une musique qui vous prend aux tripes avec plus de violence que n’importe quel album de death ou black metal pourrait le faire. C’est sombrer dans un abîme lumineux, où les rayons du soleil caressent la peau de l’auditeur pour venir poser sa morsure chaude. C’est une introspection où il faut accepter se mettre à nu.
Si l’on peut remarquer plusieurs périodes dans l’existence du groupe, il existe un album charnière. Celui qui a tout fait basculer. Celui qui a signé la fin de l’aventure metal au profit d’un rock progressif (mais jamais démonstratif). A Natural Disaster, septième album des Anglais, est sorti le 3 novembre 2003. Après l’intense tournée promotionnelle qui accompagne A Fine Day to Exit (et déjà un pas vers un rock sombre), Danny Cavanagh accuse un sérieux coup de déprime au point d’envisager son départ pour rejoindre son ex-collègue Duncan Patterson sur Antimatter. Il se ravisera et plongera, tête baissée, dans l’écriture d’un album dont il signera quasi toutes les chansons, seul (sauf une, Balance, coécrit avec son frère Vincent et le batteur John Douglas). Le résultat est un regard intérieur où Danny tente d’exorciser quelques démons avec l’impudeur de ceux qui veulent tout dévoiler. D’une richesse inouïe avec ses mélodies élémentaires et ses arrangements complexes, A Natural Disaster se vit plus qu’il ne s’écoute. Rarement un album n’aura autant reposé sur l’idée de progression sans avoir recours à quelques concepts. Rarement on n’a eu l’occasion d’écouter une musique aussi personnelle.
Album charnière mais également album scission. Anathema divorce avec une partie des fans, déçus par l’abandon du metal et se retrouve sans label après la disparition de Music for Nations (après le rachat par Sony BMG). Pour beaucoup, cette longue traversée du désert aurait conduit au split résigné mais le groupe surfe sur l’avènement d’Internet pour construire une économie parallèle et proposer aux auditeurs des chansons sur leur site, moyennant un don de ces derniers. Une façon de survivre, aidé par des tournées régulières.
La résurrection a lieu en 2010. We’re Here Because We’re Here sort et achève la mue des Anglais vers un rock progressif lumineux. Ce changement de style et de ton apporte une seconde jeunesse et semble témoigner d’un groupe apaisé. Les mélodies se sont détachées de la lourdeur du doom pour rejoindre l’atmosphère et ce n’est certainement pas un hasard si la pochette représente un soleil brûlant qui se reflète dans l’eau (le titre de travail de l’album était Horizon). Un artwork qui renvoie aux deux précédents, le suicide de A Fine Day to Exit au bord de la plage, la vision infernale du ciel de A Natural Disaster. Les Anglais sont là, bien présents, arborant un nouveau visage mais n’oubliant pas leur passé. Ils dressent des ponts, de façon thématique comme musicale (Angels Walk Among Us comme une variation de Angelica). Anathema vit une seconde naissance. Pour un groupe proche de la mort, la réplique est magnifique. Et l’emprunt des mots de Eckhart Tolle n’est pas innocent « Death is not the opposite of life. Life has no opposite. The opposite of death is birth. Life is eternal. » (dans l’interlude Presence).
Une nouvelle maison (Kscope), un nouveau visage, Anathema s’offre un rythme de travail confortable (un album tous les deux ans, des tournées…) et aligne des disques à la beauté immédiate et flamboyante. We’re Here Because We’re Here, Weather Systems, Distant Satellites constituent un triptyque touché par la grâce. Et, sans faire de jeu de mots facile, retrouver cette partie de la discographie des Anglais dans l’enceinte solennelle d’une cathédrale, est une évidence. Le son s’échappe ainsi pour s’installer dans l’édifice imposant aux murs épais et à la voûte céleste, donnant de l’ampleur à une ambiance pourtant intimiste et recueillie. Enfin, il y a également l’idée d’un retour à la maison, Liverpool étant la ville des frères Cavanagh, histoire de souligner davantage l’émotion des retrouvailles et célébrations.
Envisager une tournée dans les cathédrales et églises pose aussi bien des questions d’autorisations que techniques. Si les portes se sont ouvertes facilement (même Liverpool où Anathema est le premier groupe à y avoir joué), de Gloucester à Exeter en passant par Saint-Eustache à Paris, la pratique a dû répondre à quelques exigences particulières afin d’offrir un confort sonore satisfaisant. Il a fallu composer avec l’architecture particulière des bâtisses dont l’ouverture, aussi poétique soit-elle pour le son, peut également s’avérer un cauchemar pour les ingénieurs. Sans relever de la mission impossible, la captation est magnifique, les ondes musicales sont rondes et enveloppantes, jusqu’à réchauffer l’atmosphère souvent glaciale des édifices religieux.
Côté set-list, nous ne sommes guère étonnés de retrouver essentiellement des titres issus des trois derniers albums du groupe. Un peu frustrant, peut-être, mais les chansons antérieures avaient déjà fait l’objet d’un live acoustique (Hindsight). Dernier album en date, c’est Distant Satellites qui se trouvent le plus représenté avec cinq titres au compteur. Aux choix évidents (The Lost Song part 2, Ariel, Anathema), deux titres étonnaient déjà sur le disque pour leur orientation électro : Distant Satellites et Take Shelter. Le reste s’éparpille autour de We’re Here Because We’re Here (Dreaming Light, Thin Air), Weather Systems (Untouchable part 1 et 2, The Beginning and the End, Internal Landscapes), avec quelques touches de A Natural Disaster (la chanson éponyme et Electricity) et deux petites égarées (Temporary Peace sur A Fine Day to Exit et Fragile Dreams sur Alternative 4).
Derrière ces choix, pour certains évidents, d’autres surprenants, il y a l’idée de proposer des réarrangements intéressants aussi bien pour la dimension acoustique que le lieu du concert. Avec une formation réduite à sa plus simple expression, une scénographie épurée, Anathema choisit d’évoluer vers l’intimisme, de réduire la distance entre le public et la musique. Danny et les siens vont dépouiller les compositions, ne conserver que l’ossature et révéler ainsi des formes nouvelles. De cette simplicité vont naître des émotions différentes, une redécouverte aux accents élégiaques dans une architecture qui ne s’embarrasse plus d’éléments annexes. On assiste à plusieurs révélations : Anathema troque ainsi son final électrique rageur pour un violon déchirant et habité, Take Shelter remplace l’électronique pour une acoustique hypnotique en apesanteur, The Beginning and the End devient pure mélancolie, enfin Untouchable part 2 se conclut par des tremolos vertigineux qui posent la chanson sur les cimes (bien que l’on pourrait préférer la version piano voix de Danny en compagnie d’Anneke van Giersbergen). Pour ces versions acoustiques, Anathema ne cherche pas la simplicité mais la justesse, l’instrument pertinent. Dès lors, une guitare peut remplacer un piano et inversement dans l’optique de toujours profiter des lieux et des émotions recherchées.
A Sort of Homecoming crée une surprise attendue. L’idée semblait évidente et l’on ne doutait pas un instant que la réalisation s’élèverait à la hauteur de l’attente. Pour un groupe qui a frôlé la mort, de célébrer sa seconde jeunesse dans une cathédrale relève du twist à la fatalité. Point d’oraison funèbre, Anathema n’a jamais sonné aussi vivant. Life is eternal.
Anathema – A Sort of Homecoming (Kscope), sorti le 30 octobre 2015