Apostasie : merveilleux conte de fée gothique

Apostasie : merveilleux conte de fée gothique

Note de l'auteur

Gothique, certes, mais il est impossible de résumer ce roman à cette seule épithète. Car Vincent Tassy, dans Apostasie, explore beaucoup plus que cela. Avec art et subtilité.

Le livre : Anthelme, étudiant mélancolique, part vivre en ermite. La forêt qu’il découvre, aux arbres rouges, lui offre la magie et le silence qu’il recherche. Jusqu’à ce que, dans la bibliothèque d’un village proche, il tombe sur un livre consacré à la Sylve rouge – qu’il reconnaît comme « sa » forêt. Mais outre une révélation, le livre est un appât qui le mène à Aphelion. Ici commence une quête, celle de la jeune Apostasie.

Mon avis : D’une écriture précieuse, très XIXe, Vincent Tassy déploie tout l’éventail d’un style gothique (mais pas seulement), luxuriant (et plus encore), précis, riche et langoureux. Son Apostasie a beaucoup du conte de fée, princesse endormie, roi et reine qui s’éloignent l’un de l’autre, château aux portes dérobées abritant amours secrètes et trahisons mortelles, vengeances, attentes sans fin et terribles magies.

Il serait intéressant de relire cette Apostasie à l’aune de la Morphologie du conte de Vladimir Propp, un classique de l’analyse du conte de fée, pendant structuraliste du psychanalytique Bruno Bettelheim. La mort des parents, l’impossibilité du plaisir sexuel, l’enfant empoisonné à la semblance de la mort… Le roman de Vincent Tassy opère comme un livre dans le livre dans le livre, multipliant les rapports entre les strates narratives, tout en adoptant une belle limpidité du récit. Les ponts se jettent entre l’histoire d’Anthelme, celle du roi Irvine et de la reine Lavinia, du frère banni Ambrosius, de la jeune Apostasie condamnée au sommeil éternel (Belle au bois dormant, Cendrillon, êtes-vous là ?), de Sarah l’écrivaine, d’Aphelion le vampire (ou la « sylphide aux cheveux de ténèbres », ainsi qu’en parle Sarah à la fin du livre ?)…

Les ponts se lancent à l’assaut de ce roman-fleuve de moins de 350 pages, comme une Venise de mots et de larmes écarlates. Pourrait-on parler de conte de fée gothique ? Celui-ci contient, en tout cas, des éléments de mélodrame et de tragédie certains. Voyez cette future reine tiraillée entre deux frères, l’un promis au trône, l’autre au rejet car trop sensible, trop faible, trop peu « roi » en somme.

Les ponts, oui, mais aussi les correspondances. Une intuition vient, à la page 260, lorsque le narrateur (Anthelme) parle du « dévoreur qui affleurait sa lisière » en parlant d’Ambrosius. Or, cette lisière n’est-elle pas aussi celle de la Sylve ? À ce moment du livre, Anthelme paraît sorti à la fois du fil narratif « Aphelion » que de l’histoire que celui-ci vient de lui narrer, celle d’Irvine, de Lavinia et d’Ambrosius ; tout cela pour retomber, mais dans la « vraie vie » cette fois, dans ce conte soi-disant inventé par le vampire. Un conte peuplé de vampires et centré sur le personnage d’Ambrosius, dont le passage de l’état d’humain à celui de suceur de sang nocturne et éternel demeure un mystère… si ce n’est une forme différenciée de caïnisme, Ambrosius ayant tué ses parents le jour du mariage de son frère Irvine avec la belle Lavinia dont il est si proche.

La couverture de la première édition d’ « Apostasie » aux éditions du Chat noir (2016)

Or, ce « dévoreur » et cette « lisière » ne seraient-ils pas respectivement Anthelme et la Sylve rouge, forêt métaphore de son rêve littéraire ? Anthelme, parvenu à la limite de sa rêverie, recherche-t-il ainsi une porte de sortie ? Toute l’histoire, et même celle d’Aphelion qui menace sa propre âme éternelle, n’est-elle en définitive qu’un rêve d’Anthelme ? Un rêve dont il cherche à s’éveiller, fût-ce secrètement pour son esprit même ?

Il y a quelque chose du loup-garou dans ces vampires, tant ils exposent des personnalités complexes, différentes. On est loin, ici, du vampire à cape des films de l’Universal (le Dracula en habit de soirée mais sans crocs de Bela Lugosi) et de la Hammer (Christopher Lee). Vampires ? Oui, mais pas seulement. Et peut-être secondairement. La communauté des Vermines, rassemblée par Ambrosius, vit au château d’Ormoy, une demeure en quasi-ruine, rappelant furieusement les demeures gothiques et le Château d’Otrante d’Horace Walpole. Ormoy, « hors moi » ou « autre moi » ? Les lieux fonctionnent ici comme des personnages à part entière du roman.

Un roman dans le roman, loup caché dans un corps d’homme (Anthelme écrit ainsi, en page 336 : « Je voulais écrire une belle histoire, celle d’un chemin qui mène à toi, Apostasie. »). Une intuition confirmée par Sarah, l’une des Vermines du groupe d’Ambrosius, mais dont la situation est un peu particulière puisqu’elle semble protégée de la folie inhérente à ce statut, et se tenir plus près de la vie que de la mort. En guise de postface (épitaphe ?) au récit d’Anthelme (page 339), elle évoque celui-ci à la fois comme personnage du récit, comme auteur du texte et comme poupée russe résumant seul tout le moteur narratif : « Dans son cœur il y avait toujours une princesse disparue. Quelque chose de très beau, qui n’est pas vraiment au monde. »

Un conte dans le conte, une réflexion profonde et stylée sur l’acte de lire et d’écrire (« Retrouver la magie qu’il y a dans le cœur », voir l’extrait ci-dessous), sur ce qui fait l’essence de la poésie dans le fil d’une vie d’éternité. Et l’on pourrait en dire beaucoup de la musique personnelle de Vincent Tassy, une « petite musique de nuit » qu’il faut saisir mais qui ne vous lâche pas, même une fois le livre refermé sur les remerciements.

Vincent Tassy

L’auteur : selon l’éditeur, Vincent Tassy est né en 1989. Outre son métier de professeur de lettres, il est musicien dans le groupe Angellore (atmospheric doom metal). En 2013, il a obtenu le Prix Merlin 2012 de la nouvelle pour « Mademoiselle Edwarda ».

L’extrait : « Il ricana.
– C’est drôle. Il a suffi d’une fois, d’une seule fois, il a suffi qu’on déroge une seule fois à ce qu’on avait toujours fait, et voilà où on en est. On croise la route d’une hédoniste. Elle étudie, belle ange, innocente, pure comme un rêve, elle apprend tous les jours ; mais nous, nous, qu’est-ce qu’on peut bien apprendre ? J’ai lu des livres qui m’ont émerveillé ; des splendeurs absolues. Chaque fois que j’ai essayé de percevoir dans le réel ce que mon esprit avait conçu lorsque je lisais, c’était tellement décevant. Tellement terne. Tellement limité. Jamais de magie. Ce que je vivais, toujours en-dessous de ce que j’imaginais. Condamné à ça, pour toujours. Parce que mourir, ça aurait été ça. Retrouver la magie qu’il y a dans le cœur. Et pour moi, croiser la route d’Ariane, c’est exactement comme si j’étais un mendiant qu’on laisse s’asseoir à une table de festin sans lui permettre de bouffer. On n’apprend plus rien depuis qu’on a vu le vide. On ne peut plus. On ne voit que lui. Le reste ne sert à rien.
Ambrosius s’interrompit. Soudain, il me parut usé, éreinté, vidé de toute substance. J’avais la sensation que ses paroles faisaient des nœuds dans mon cerveau. Je n’étais pas sûr de comprendre. Je crois surtout que je n’avais pas envie de comprendre. »

Apostasie
Écrit par Vincent Tassy
Édité par Mnémos

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