
Ascender (t. 1) de Jeff Lemire et Dustin Nguyen
Dans un univers où la magie a banni la technologie, Andy et sa fille Mila doivent échapper aux griffes de Mère et de ses séides. Jeff Lemire déploie un scénario classique pour un premier tome énergisé par l’aquarelle de Dustin Nguyen.
L’histoire : Dix ans après que les machines ont quitté la galaxie, la magie a repris ses droits au seul bénéfice de Mère, personnage terrifiant parvenu à soumettre plusieurs planètes à sa volonté. Sur Sampson, la jeune Mila et son père Andy recueillent contre toute attente un petit droïde qui va attirer l’attention des sbires de Mère. Père, fille et droïde doivent quitter la planète… mais dans un monde sans technologie, la tâche n’est pas des plus aisées.
Mon avis : Suite directe de Descender (déjà chez Urban Comics, et en cours d’adaptation pour le cinéma depuis un bon moment déjà), où Jeff Lemire et Dustin Nguyen mêlaient Isaac Asimov et Philip K. Dick, leur nouvelle série Ascender se déroule dix ans après les faits. Et pour celles et ceux qui, comme moi, n’ont pas forcément lu cette première série, une précieuse chronologie est publiée à la fin de ce volume initial d’Ascender. Un tome davantage marqué par une fantasy opposant magie et technologie dans un univers SF.
Les yeux sont d’emblée frappés par le trait délicat, lumineux, de Dustin Nguyen. Et surtout par ses couleurs, l’aquarelle ajoutant vraiment quelque chose à la narration. Une dimension tellurique, une fluidité, une imprécision maîtrisée qui offre une force magique même aux armes technologiques qui ne manquent pas d’apparaître dans ces quelque 136 pages.
Si le noir, le gris et le vert pâle dominent la palette, c’est aussi pour souligner les irruptions de couleur franche, des rouges (Mata surplombant une sorte d’océan de lave, les cheveux de Telsa, de Thobin et Frobin, les yeux des vamps) et des vertes (les yeux d’Eff et Mila) notamment.
Les humanoïdes côtoient les « monstres », géant, tortue immense et volante, frères fusionnés en un corps unique. Et au milieu de cette magie dont Mère semble s’être arrogé le monopole (s’assurant ainsi la domination sur tout l’univers), la technologie devient inopérante, qu’elle soit systématiquement détruite ou confisquée par les séides de Mère, ou qu’elle vaille une condamnation à mort à son propriétaire. Dès lors, et à la grande surprise du tyran, c’est une magie nouvelle qui émerge, une magie qu’elle ne peut détecter dans l’univers. La rébellion prend alors un visage et une énergie inédits.
Côté scénario, l’émotion est au rendez-vous. L’épouse d’Andy (venu de Descender) et mère de Mila a été tuée par les vamps de Mère. Et lorsque Bandit, le chien droïde d’Andy, refait subitement son apparition, il entraîne un enchaînement d’événements qui lance père et fille (et robot) sur la route, avec la nécessité absolue de s’échapper de la planète Sampson.
Jeff Lemire, dont on avait fortement apprécié le Gideon Falls notamment, déploie un récit pour le moment plutôt classique. On sent qu’il s’est gardé pas mal de cartouches, se contentant d’ébaucher son univers pour se concentrer sur la fuite d’Andy et Mila, ainsi que sur le personnage de Mère. Ce premier tome fonctionne typiquement comme une longue introduction, littéralement une mise en jambes.
On saura sans doute, dans les prochains volumes, si la technologie ne peut vraiment rien contre la magie, ou si les deux valeurs peuvent multiplier leurs effets en fusionnant… Dans un monde qui s’est reconstruit sans la technologie, n’y a-t-il de place que pour magie et contre-magie ? Jeff Lemire revisite au passage le motif du vampirisme en mode SF, qu’il mêle à la figure du zombie avide de destruction et d’absorption. Faisant d’Ascender une sorte de space opera, de Star Wars inversé (un univers où la magie a banni la technologie). Le fait que Bandit projette en l’air une carte 3D de l’espace n’y est pas pour rien – R2-D2, es-tu là ?
On regrettera juste un artifice scénaristique un peu éculé : ce chef rebelle qui parle un peu trop avant de faire exploser sa magie pour tenter de tuer Mère. Certes, cela permet à Jeff Lemire de s’offrir un petit discours bien senti ainsi qu’une belle explosion et le traditionnel cliffhanger (Mère est-elle morte ?). Mais imagine-t-on qu’en réalité, un chef rebelle qui vient d’être torturé pendant Dieu sait combien de temps, prendra la peine et surtout le risque de « prévenir » son ennemie qu’il cache en lui une forme de bombe mortelle ? Heureusement, cela ne gâche guère le plaisir d’une nouvelle série prometteuse.
À lire si vous aimez : les space operas avec quelque chose en plus. Jetez alors un œil sur l’Ody-C de Matt Fraction et Christian Ward.
En accompagnement : Il y a aussi un petit côté Miyazaki (Nausicaä de la vallée du vent) dans cette Mila avide de liberté et qui découvre qu’en sortant de son petit monde, le danger est aussi présent que l’émerveillement. Pourquoi ne pas écouter la bande originale de Princesse Mononoké ?
Ascender
Écrit par Jeff Lemire
Dessiné par Dustin Nguyen
Édité par Urban Comics