Assassin’s Creed Origins : du parkour moderne au RPG classique

Assassin’s Creed Origins : du parkour moderne au RPG classique

Note de l'auteur

Quand Ubisoft a décidé en 2015 de mettre sa licence phare en pause, tout le monde a soufflé un bon coup. Avec huit épisodes canoniques en l’espace de huit ans (sans compter les spin-off), Assassin’s Creed peut se targuer d’être l’une des séries les plus prolifiques de ces dernières années. Mais la réalité financière rattrape toujours les plus grands et des jeux d’une telle envergure, même planifiés entre plusieurs studios comme c’était le cas ici, finissent par s’écrouler devant l’impossibilité de se renouveler suffisamment. Ce petit sursis était un excellent signe pour la plupart des joueurs, et beaucoup ont d’ailleurs salué la qualité de ce dernier épisode se déroulant dans l’Égype antique. À raison ?

 

Je m’en Bayek

L’ère moderne du jeu vidéo a amorcé un nouveau standard de fabrication sur ces grandes licences de jeux. Les plus vénérables prennent toujours leur temps pour asseoir leur supériorité et profiter des nouvelles technologies, et il faut à certaines plusieurs années avant d’accoucher du petit dernier. On citera allègrement Nintendo, avec Mario, Zelda, Kirby et d’autres, qui peaufine leur jouabilité et leur gameplay, sans pour autant trahir leur concept principal, comme l’a montré récemment Breath of the Wild. L’un des meilleurs exemples est la saga Metal Gear Solid, dont l’auteur profite de chaque épisode pour faire avancer sa vision et son concept de base avant la consécration, son jeu d’infiltration ultime avec Metal Gear Solid 5, titre somme de vingt années de travail réparti en quelques épisodes. Si on considère la saga de façon objective, le gameplay du cinquième opus est bien plus riche et peaufiné que celui du premier épisode. Après, tout dépend du goût de chacun, ou de leur mauvaise foi, mais c’est un fait.

Pour les licences aux rendements plus réguliers (un épisode tous les ans, deux maximum), le gameplay n’est pas évolutif par rapport à son concept initial mais par rapport aux tendances du moment. Un Call of Duty cru 2017 préfère suivre son époque que son joueur, en ciblant un public type qui ne sera pas forcément le même année après année, celui-ci mûrissant et se tournant vers d’autres genres de jeux, là où un Metal Gear Solid gardera sa fanbase jusqu’au bout. Assassin’s Creed suit ce credo et préfère s’aligner aux tendances plutôt que de suivre un chemin évolutif. Il suffit de voir le nombre de changements, de volte-face, de prises de positions sur un épisode avant un total revirement l’année suivante pour se rendre compte à quel point Assassin’s Creed préfère singer les succès de notre époque plutôt que de se révolutionner lui-même. Un personnage pouvant se plaquer contre les murs à partir de Unity avant de disparaître totalement dans l’épisode Origins, ou l’apparition banale de la fonction pour s’accroupir à partir du sixième épisode (le comble pour un jeu d’infiltration), la licence d’Ubisoft ne répond à aucune logique sinon celle de ses propres spécificités, qu’elle établit en regardant ce que fait son voisin. Un comble quand on pense que le premier opus est lui-même l’un des pionniers de l’open world.

Il faut rappeler que le tout premier opus élaborait les mouvements du personnage en transposant le corps humain sur la partie droite de la manette. La touche du haut correspondait à la tête (vision d’aigle, vue subjective), celle du bas aux jambes (sprinter, grimper), celle de gauche à la main libre (écarter les passants, voler, contrer) et celle de droite à la main armée (attaquer, riposter). Il fallait mélanger ça à un mode Passif et Actif pour s’adapter aux situations plus ou moins dangereuses et on obtenait un gameplay exigeant mais bien plus riche que les épisodes les plus récents, où les missions annexes (répétitives, certes) étaient là pour donner des indices sur comment éliminer la cible principale. En édulcorant la maniabilité par la suite, le parkour est devenu une promenade de santé et franchir des précipices ne représente plus vraiment un danger. Mais Assassin’s Creed Origins fait encore mieux, puisqu’il relègue la voltige et les cabrioles à un vulgaire gameplay secondaire.

 

Coucou Senu

En transposant la licence d’Ubisoft dans l’Égypte ancienne, Assassin’s Creed Origins a fait le choix d’étendre son terrain de jeu à tout point de vue. Exit les villes bouillonnantes et les hauts édifices, le titre privilégie les grands espaces, les déserts à perte de vue et les étendues rocheuses à traverser à dos de dromadaires. Certes, des grandes villes comme Alexandrie et Memphis remplissent le quota de murs à escalader, mais époque oblige, les rues sont larges et il n’est plus question d’échapper si facilement à la milice lancée à vos trousses en sautant de toit en toit. Alors que le level design des épisodes précédents soignait l’emplacement des éléments pour grimper sur les toits au plus vite sans briser le flux du mouvement, AC Origins préfère minimiser cet aspect pour se concentrer sur la taille de l’aire de jeu, ne cherchant même plus à créer des « chemins » de fuite qui permettait de créer un flow de cabrioles enivrant pour le joueur.

Très clairement, Assassin’s Creed Origins s’inspire de Witcher 3 sur bien des aspects, à commencer par la structure des quêtes annexes, qui ne repose plus sur du remplissage de carte. Les quêtes peuvent se découvrir au détour d’un parchemin lors d’une mission secondaire, ou bien d’un paysan à qui on doit rendre service pour espérer remplir la mission d’origine. Même constat pour le système de combat, qui laisse totalement tomber le mélange contres/attaques automatique pour quelque chose de plus libre mais aussi de plus rigide et bien moins fourni que les épisodes précédents. Plus grave encore, le titre insiste sur la notion de points d’expériences à engendrer et de niveaux à débloquer, encastrant l’expérience sur un carcan rôliste censé représenter la difficulté du jeu.

À la manière de Witcher 3, chaque mission est indiquée par un niveau minimum, censé représenter la difficulté de la quête. Bayek pourra donc remplir les missions d’un niveau supérieur à 3 au-dessus de lui. Plus haut, la mission sera notifiée d’une police de caractère rouge. En théorie, la mission est difficile simplement parce que les ennemis ont un niveau plus élevé que celui du héros. En pratique, on constate une vraie malhonnêteté de la part du jeu, puisqu’un ennemi de trois niveaux de plus que Bayek sera pratiquement invincible : sa résistance sera gonflée et il pourra mettre à terre le héros en deux coups d’estocs bien placés. Grimpez d’un niveau pour le sortir de la zone rouge et l’ennemi en question deviendra une victime facile comme les autres. Une incompréhension totale, qui témoigne d’une volonté aberrante de cloisonner le joueur dans une zone précise pour l’empêcher de faire n’importe quoi, jusqu’à le priver d’un assassinat sur un ennemi trop fort pour lui (alors que Bayek est censé être un assassin redoutable).

Et alors que j’approchais des missions de fin du jeu, je me retrouvais dans la situation typique des RPG ne sachant pas doser le rythme du jeu : faire du leveling pour avoir le niveau suffisant des dernières missions, en se farcissant des quêtes annexes ennuyeuses au possible et à l’écriture assez lourdingue. Grimper la difficulté d’un jeu en gonflant les statistiques d’un PNJ adverse représente l’une des pires façons de créer du challenge pour le joueur, et surtout l’une des plus feignantes. Pire encore : étant donné que les ennemis montent leur niveau en même temps que celui du joueur, à aucun moment on a la sensation d’une montée en puissance de la part du personnage principal, puisqu’il se retrouvera constamment face à des ennemis de force égale, couplée avec un système de combat qui n’ajoutera aucune subtilité dans le déroulement des joutes.

 

Ce tombeau sera votre tombeau

L’histoire et l’écriture n’a jamais été le point fort de la série, et là aussi, l’inspiration du titre de CD Projekt se fait sentir, avec la maladresse d’un éléphant. Outre un début catastrophique qui vous bombarde dans les chausses de Bayek sans introduire quoi que ce soit, le jeu ne parvient jamais à créer un antagoniste fort et présent, qui ne dévoilera son vrai visage qu’à la toute fin du jeu dans un embarrassant dialogue censé être à l’origine du drame du jeu. Cela devient consternant quand le jeu détruit ce qu’il tente d’entreprendre, comme cette gladiatrice et ancienne amie de Bayek cherchant la gloire, et préférant rester avec l’ennemi pour assouvir ses ambitions. Lors de l’assassinat de ma cible, je vois donc mon ancienne amie à ses côtés, me préparant à l’affronter une fois la mission réussie. Un assassinat plus tard, un début de dialogue laisse entrevoir un potentiel duel épique entre les deux amis, mais c’est à ce moment-là que le jeu décide de me renvoyer dans le présent pour une séquence encore une fois insipide. De retour dans le passé, je constate que le jeu m’a fichu à la porte du niveau, dans une ellipse temporelle dégueulasse, laissant cette confrontation intéressante aux oubliettes. Merci Ubisoft.

C’est la triste constatation de Assassin’s Creed Origins. En voulant sortir de l’aspect urbain, de cette confrontation entre l’homme et la ville, cet épisode se transforme littéralement en RPG d’aventure. Une évolution logique par rapport aux derniers opus, qui restaient malgré tout ancrés dans une logique de jeu d’aventure mâtinés de jeu de rôles. L’accent a toujours été mis sur cette volonté de créer un décor riche et ouvert, limité à une ou plusieurs villes, sans jamais lâcher ce gameplay atypique entre la gymnastique des mouvements, sa verticalité assumée et la thématique de l’assassin. En évoluant dans une autre direction, Assassin’s Creed Origins opère un vrai revirement profond, totalement dans l’ère du temps, sans jamais égaler les grands jeux dont il s’inspire, mais en mettant de côté son héritage qu’il pense trop dépassé. Une réalité commerciale erronée, les joueurs n’étant pas soûlés par le manque d’ambition des derniers épisodes mais par le rendement systématique d’une saga qui ne parvenait jamais à finaliser ce qu’il entreprenait, à savoir un vrai jeu d’assassin à monde ouvert.

C’est encore plus frustrant de voir à quel point la reconstitution de l’Égypte ancienne est superbe et magnifique. Les panoramas sont à tomber, et la recherche de l’authenticité force le respect et reste probablement l’une des raisons qui m’ont poussé à terminer le jeu. Tout comme Black Flag, Ubisoft préfère s’embarrasser d’une licence qui fait vendre mais qui ne s’adaptent pas toujours à n’importe quel contexte historique au lieu de créer un jeu totalement original. On est obligé de se farcir les poncifs de la série sur le scénario (qui a vraiment de la haine envers le méchant que l’on découvre deux heures avant la fin ? Qui se préoccupe encore de ce qu’il se passe dans le présent ?), sur des quêtes annexes trop nombreuses (les analyses de décors, ça devient beaucoup moins sympa la trentième fois) et un aspect RPG qui ne sied définitivement pas à la licence Assassin’s Creed. S’il vous plaît, Ubisoft, arrêtez de voir trop grand et trop ambitieux, faites un vrai Assassin’s Creed comme avant, peut-être plus ramassé mais plus dense, plus virevoltant, à l’image de cette dernière cinématique mettant en scène les premiers assassins aux mouvements acrobatiques que l’on ne verra jamais dans le jeu.

Partager