
Au nom de la mère (critique des épisodes 5×01 et 5×02 de Profilage)
Rupture de ton. Et changement de décor. Les saisons impairs dans Profilage semblent annoncer des changements. Comme des nouveaux départs. Celui d’un nouveau duo à la saison trois avec la venue du commandant Rocher. Et pour cette cinquième année, d’une nouvelle dynamique pour Chloé, avec l’adoption de Lili. Cette (r)évolution passe par une déchirure. Déchirure du temps, avec cette ellipse. Déchirure de teinte où l’on passait d’une fin de saison sombre, en sous-sol, à un début presque surexposé, à ciel ouvert. Il y a un effet quasi onirique dans cette introduction, où l’on ne sait plus si cette lumière blafarde est synonyme de mort – tunnel lumineux – ou au contraire un brusque retour à la vie après l’abysse. Vision quasi céleste où la mère de Chloé court sur une place avec Lili et la criminologue, assise, spectatrice.
Les deux premiers épisodes, diffusés hier soir sur TF1, de façon plus ou moins directe, exploitent différentes représentations de la famille. Autarcie incestueuse dans le premier, recomposée dans le second, comme des projections cauchemardesques d’une Chloé en proie au doute face à ses nouvelles responsabilités. Mère célibataire, elle est opposée à un patriarche tout-puissant, manipulant sa progéniture comme des boutures ou une forme bien personnelle d’eugénisme (5×01 : Un pour tous). Désaffection de figures tutélaires, la famille est vue comme un organisme malade à cause de sa recherche de perfection. L’infirmité ainsi révélée, l’issue appuiera un peu plus le symbolisme de la secte. Le trépas collectif en résultat vicié d’un détournement de la cène où le partage sera synonyme de mort.
Dans Poupée Russe (5×02), c’est la représentation de l’enfant qui est en jeu. Contraste de l’adulte enfermé dans un corps de petite fille, détournement affectif, l’épisode opposera une Chloé à un paradoxe, jusqu’à l’interroger sur ses propres capacités. Dans House, le handicap et la douleur nourrissaient le génie du personnage. Quand il retrouva l’usage de sa jambe, le diagnosticien perdait son pouvoir de déduction. La figure de la mère était à l’origine de l’identité de Chloé, son meurtre (par un père déclaré fou) intervenait comme un traumatisme fondamental. Sa mère revenue, et mère elle-même, la criminologue questionne ses capacités maintenant que son univers a retrouvé un ordre. L’introduction en personnage récurrent d’Adèle est un facteur déterminant : c’est un reflet de Chloé. Mais un reflet en négatif. La psychologie cherche à créer l’harmonie chez Chloé, quand elle est destructrice chez Adèle. Si ce personnage semble encore un peu mécanique, son utilisation peut s’avérer intéressante par la suite.
Ces deux premiers épisodes jouent des contrastes. Lumineux quand il s’agit d’entrer dans le quotidien de Chloé, sombre dans les enquêtes. Les auteurs font preuve d’une belle imagination perverse dans l’élaboration des intrigues. Un peu plus loin dans la noirceur de l’âme humaine. Néanmoins, la série n’oublie pas ses élans de comédies et cette dichotomie participe au charme naturel de Profilage. À l’image d’une héroïne capable d’affronter les maux de l’humanité et retrouver la chaleur d’une nouvelle maison, d’une nouvelle vie accompagnée de Lili. La très belle séquence finale de Un pour tous montre Chloé et sa fille, allongée dans son lit, lisant une histoire de conte de fée. Le sauvetage d’une princesse est illustrée par le secours de Chloé. Et de penser que l’héroïne aurait oblitéré le drame sous l’imaginaire d’un conte. Le choix de l’ellipse devient pertinent parce qu’il se pose comme un puzzle dont on doit assembler les pièces. Une reconstruction qui montrera certainement que les plaies ne sont pas tout à fait refermées et qu’elles ont laissé des traces.
Ces deux premiers chapitres prouvent que les auteurs n’ont pas perdu la main, que la volonté de bousculer les standards de la fiction policière est toujours à l’ordre du jour. Ambition qui s’ajoute à l’exploitation de fils narratifs plus nombreux, comme une initiative d’inscrire la série dans une démarche plus feuilletonnante sans pour autant renier sa nature élémentaire. Les auteurs ont démontré que les enquêtes fonctionnaient aussi bien de façon indépendante qu’à un niveau symbolique, la démarche semble s’engager sur de bons rails.