
Ayerdhal : genre et sexualité
Cette semaine est celle de la mise en lumière d’un auteur. Celle d’Ayerdhal, qui nous a offert Elyia, Ylvain, Jean-No, Jane Bond et bien d’autres. Ayerdhal est aussi un auteur qui a toujours, à travers 25 ans d’écriture, tissé certains fils rouges à travers ses livres. Comme l’idée par exemple, que l’on peut lutter contre son destin, vu hier, ou alors le fait que la sexualité et le genre, sérieux, c’est plus que secondaire.
Sexualité et genre : on s’en fout !
Il est intéressant de noter que de nombreux héros dans les romans d’Ayerdhal, sont, en fait, des héroïnes. La plus connue, Elyia, est l’une de ces femmes que l’on suit pendant quatre romans, que l’auteur a écrit entre 1992 et 2003, donc 11 ans, tout en ayant un nouvel opus, Kwak, en préparation. Un de ses héros, Aimlin(e), est d’ailleurs un sexomorphe et peut devenir homme, ou femme. Alors, certes, L’Histrion est un roman quelque peu daté, un peu foutraque et cet hommage à Herbert n’est pas très représentatif de l’ouverture d’esprit dont il fait preuve par ailleurs. Mais il est suffisamment rare, dans un style pourtant aussi libre que la science-fiction de voir des auteurs jouer avec le genre et le rendre fluide (à l’instar d’Ursula Le Guin et La Main gauche de la nuit).
L’homosexualité est ainsi présente dans la plupart des ouvrages. Certes, dans La Bohème et l’Ivraie, Ylvain partage sa couche avec trois femmes. Chacune appréciant aussi de se faire mutuellement plaisir. Mais un des personnages secondaires annoncera de but en blanc être gay, sans que cela influe sur son histoire. Il est juste homosexuel. Idem dans le volume 2 du cycle de Cybione, Polytan où deux hommes vivent, couchent ensemble et partagent les mêmes combats. Tout cela est annoncé de manière claire, sans que personne n’y ait à redire. Ces aventures ont certes lieu dans un espace-temps différent, celui de la science-fiction. Puis arrive l’un de ses romans les plus engagés au royaume des licornes : Rainbow Warriors.
Rainbow Warriors, c’est l’histoire du général de division Geoff Tyler qui se retrouve à la tête d’une armée privée, suite à une idée de l’ancien secrétaire des Nations unies. L’idée : renverser le dictateur d’un état africain. Oui mais avec une armée entièrement composée de LGBT : lesbiennes, gays, bisexuel(le)s et trans. Ce qui donne des dialogues du style :
– Soldats ! Qu’il vous reste ou non des couilles, c’est le moment de montrer à ces légionnaires du pognon ce que valent les petits pédés du général Tyler !
– Sergent, je crois que je vous aime, dit Jean-No.
À quelques mètres d’eux, une femme se redresse et crie :
– Vous acceptez aussi les gouines, sergent ?
– Plutôt deux fois qu’une, soldat !
Le ton est donné. Et le mieux ? C’est que ça ne semble jamais ridicule. Alors, effectivement, parfois, cela peut faire sourire. Mais n’oublions pas que nous sommes dans un pays en guerre, et ça aussi, Ayerdhal sait le décrire. Et cela avec en prime, une chanson inventée en anglais, dont on attend avec impatience la mise en musique. Personne ne veut tenter de créer une mélodie avec les mots de Rainbow Warriors ?
Le petit plus de l’ouvrage ? Malgré l’ingérence d’une puissance extérieure, il arrive aussi à faire sienne la critique du colonialisme, qui sera au programme du prochain chapitre.
C’est par la multiplicité des apparences de personnages gays, et le choix d’en faire la majorité des protagonistes apparaissant dans un de ses récits qu’Ayerdhal parvient à banaliser la question de la sexualité. Certes, parfois, il est un peu maladroit ; après tout, le chef des armées est hétérosexuel. Et souvent, il est plus question de saphisme. Mais on ne peut qu’apprécier la multiplicité des personnages concernés, et souvent très éloignés des clichés. Côté genre, en plus d’Aimelin(e), nous pouvons remarquer que, certes son tout premier roman a pour héros un homme, mais dès le second, Mytale, c’est une femme qui devient le personnage principal. De plus, Ayerdhal choisit souvent de changer de narrateur en cours de récit, et passe d’un homme à une femme. Ces deux-là sont souvent très libres dans leur sexualité, et encouragés à l’être. Ainsi, Elyia se retrouve en Jahnaïc, lors d’une soirée dans Keelsom, Jahnaïc, le tome 3 du cycle de Cybione :
« La soirée, chaude et humide, appelle la boisson. Le rhum coule à flots, l’herbe se consume par poignées, les corps se frôlent à se frotter. Les mains descendent des hanches aux fesses. Les lèvres glissent des oreilles au cou. Qu’importent les différences d’âge, qu’importent les couples ordinaires, les danseurs échangent leur sueur de si près qu’il leur faut mêler d’autres mucus. Un jeune homme et une femme plus âgée s’écartent vers un appentis, une jeune femme se laisse porter jusqu’à l’établi par un homme vigoureux, d’autres les imitent et leur succèdent. À partir d’un moment, il y a toujours des danseurs dans la cour, et autour de plus en plus près, des halètements, des râles, des petits cris. »
Ouh là là ! Bref, un auteur où tout langage homophobe (même de la bouche d’ennemis) est très majoritairement proscrit, et où ce qui est important, c’est le respect de chacun et cela sans être pontifiant. Et il est à noter que ce sont les femmes qui décident et font souvent le premier pas. Un vrai plaisir.