Banshee et la déconstruction des stéréotypes

Banshee et la déconstruction des stéréotypes

Attention : révélations et commentaires sur la saison en cours (jusqu’au 4.06)

Alors que Banshee s’approche irrémédiablement de son terme avec une quatrième et ultime saison qui se conclura la semaine prochaine – par un épisode intitulé Requiem, le Daily Mars poursuit une série d’analyses décrivant cette série de genre dont il ne fait plus aucun doute aujourd’hui qu’elle fera figure de référence.
Après une exploration de la caractérisation par la violence qui la définit, signée Pierre-Alexandre Chouraqui, intéressons-nous à la population de Banshee. Entre Amish, Indiens, néonazis, mafieux divers et variés, militaires/mercenaires/fédéraux corrompus et – les petits derniers – pratiquants d’un obscur culte satanique, la petite ville de Pennsylvanie est un drôle de patchwork. Contre toute attente, cette addition de communautés dépasse les clichés ainsi que les fantasmes qu’ils véhiculent généralement et voici pourquoi.

Singularisation dans le microcosme Banshee
Dans l’épisode diffusé la semaine dernière (4.06), Job se plaint de ne pas pouvoir passer une semaine à Banshee sans essuyer les tirs d’une quelconque “armée” ! Cette réplique ironique se fait en toute connivence. La régularité avec laquelle la bourgade se trouve assaillie par des hordes armées jusqu’aux dents et animées d’intentions tordues n’a pas de sens au sein d’une réalité géographique telle que celle-ci. De la même manière, la concentration de groupes très distincts sur un même territoire (une communauté Amish, une réserve indienne, une base de l’armée, etc.) souligne les grosses ficelles d’une fiction de genre.

Néanmoins, prise individuellement, chaque entité est naturellement implantée dans l’environnement de cette commune verdoyante. La problématique du casino (introduite dès la saison 1) situé sur le territoire Kinaho est un grand classique mais aussi une réalité fréquente de l’aménagement des réserves indiennes. Le positionnement des Amish en marge de la ville mais qui interagissent toutefois avec le monde extérieur via le commerce de produits frais est également une réalité du fonctionnement de cette communauté. Enfin, la représentation du milieu néonazi, notamment la fratrie Bunker (à partir de la saison 3), est, elle aussi, très soignée dans la série.

Pour une série – voire plus largement toute fiction – de genre portée sur l’action, cette précision dans la description des composantes d’une population est inhabituelle. L’intérêt évident du récit est de créer des oppositions de personnages, lesquelles sont magnifiées par la dimension restreinte du patelin. Il apparaît moins nécessaire de s’attarder sur leurs situations sociales. Alors certes, ces différents groupes peuplant Banshee constituent des terreaux riches en individus prêts à en découdre. Mais c’est tout à l’honneur des auteurs de la série que de ne pas se contenter de créer ces seules interactions entre antagonistes. Ils prennent systématiquement le temps de décrire leurs univers et motivations et cela s’avère essentiel. Démonstration par l’absence avec la saison en cours.

Declan Bode et ses suiveurs : le contre-exemple
En effet, s’attarder sur les spécificités d’une communauté avant de déployer les ressorts de l’action, c’est précisément ce que ne fait pas Banshee en cette saison 4. La ville est à nouveau bouleversée par une menace mais, cette fois-ci, elle est plus insidieuse. Plusieurs jeunes femmes sont retrouvées tuées selon un rituel. Par défaut, on pense alors à un tueur en série. Ce raisonnement est d’ailleurs clairement téléguidé par les auteurs, et en définitive, il s’agit bien d’un tueur. Mais ce dernier emmène avec lui un culte satanique.

Le personnage de Bode est introduit dans l’épisode 4 par une scène de cuisine suivie d’un dîner qui ne peut faire penser qu’à un hommage appuyé et maladroit à l’endroit de la défunte Hannibal (NBC). Bode apparaît ensuite comme le tueur qu’il est, mais pour la cause d’un culte obscur. La scène est brève et le rituel très vaguement décrit. Pourquoi faire le choix de laisser dans l’ombre cette secte ?

On pourrait tenter de répondre que c’est pour mieux l’évoquer par la suite, mais avec la fin qui se rapproche, cela semble peu probable. Non seulement la crédibilité de ce nouveau vilain est amoindrie, ne serait-ce qu’en comparaison avec un certain Chayton (pour ne citer que lui) mais, de surcroît, son approche dans le récit par le prisme ultra-balisé du tueur en série s’avère peu convaincante.
Et puis, au-delà de cette mise en retrait, Declan Bode et ses sbires manquent surtout d’un regard de l’intérieur, une autre perspective qui est pourtant l’un des point forts de Banshee.

Tom Pelphrey (Kurt Bunker)

Tom Pelphrey (Kurt Bunker)

La nuance par l’exfiltré(e)
Car après tout, quoi de mieux pour bien saisir la réalité d’un milieu que de le décrire selon un point de vue de l’intérieur ? C’est pourquoi la série s’appuie sur des personnages directement issus de ces communautés. Avant d’être recueillie par son oncle, Rebecca (Lili Simmons) vivait selon les us et coutumes amish. En saison 3, Billy Raven (Chaske Spencer) rejoint les forces de police de Banshee après avoir porté le badge pour sa tribu des Kinaho. Enfin, et c’est peut-être le parcours le plus significatif, Kurt Bunker (Tom Pelphrey) est un ancien membre de la “confrérie aryenne” avec laquelle il a douloureusement coupé les ponts.

Il est intéressant de remarquer que ces personnages ont tous en commun de faire le choix de quitter leur milieu social d’origine pour s’ouvrir à une forme de normalité. On touche là à l’un des grands enjeux de la série, à savoir l’espoir récurrent de trouver un environnement plus favorable pour s’épanouir et ainsi échapper au chaos éternel qu’est Banshee.
Cette démarche déclenche, dans une certaine mesure, l’adhésion du téléspectateur qui s’identifie alors aux tentatives d’émancipation de Rebecca ou de Kurt.

En allant plus loin, leurs parcours permettent surtout de reconsidérer leurs communautés respectives. À travers leurs regards, il n’est plus simplement question d’un assemblage de clichés mais bien d’une approche nuancée de chaque ensemble. Grâce à Rebecca, les Amish ne sont plus seulement des barbus en roulotte. Grâce à Billy, les Kinaho ne sont pas seulement des sauvages peinturlurés dans les bois. Et grâce à Kurt, les néonazis ne sont pas seulement des abrutis tatoués (quoique…).

Si Banshee peut s’enorgueillir d’avoir mis en scène une ribambelle invraisemblable de durs à cuire en tout genre, elle a su s’affranchir d’une généralisation des stéréotypes. Quand il sera temps de tirer le bilan d’une série de genre décidément pas comme les autres, nous n’oublierons pas les efforts qu’elle aura consentis pour construire un univers aussi chaotique que nuancé.

Visuels : Banshee © Your Face Goes Here Entertainment & Cinemax

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