Barrier de Brian K. Vaughan, Marcos Martin et Muntsa Vicente

Barrier de Brian K. Vaughan, Marcos Martin et Muntsa Vicente

Note de l'auteur

Tout débute sur un mode western/mafia/drame des migrants clandestins, et se prolonge par une réflexion cosmique sur l’incommunicabilité. Étonnant comics indé signé Brian K. Vaughan au scénario (Y, le dernier homme avec Pia Guerra), Marcos Martin au dessin (Daredevil) et Muntsa Vicente à la couleur. [ATTENTION spoilers inévitables]

L’histoire : Oscar, un Hondurien qui a réussi à franchir la frontière mexicano-américaine, se retrouve braqué à bout portant par la Texane Liddy. Tout à coup, une troisième entité intervient et les kidnappe. Liddy et Oscar s’entraident bien malgré eux, obligés d’unir leurs forces pour tenter de s’enfuir. Ils réalisent peu à peu que ce qui les séparait n’est rien face à cette rencontre du troisième type.

Mon avis : Le titre, la couverture et les premières pages de Barrier annoncent un quasi-western à la frontière entre le Mexique et les États-Unis. Un drame de la pauvreté (des deux côtés de ladite barrière), d’une double volonté de survivre, d’une incompréhension. Un récit noir de violence aveugle. Ou tout cela à la fois. Et le premier chapitre (sur quatre) promet une histoire de ce genre, jusqu’à ses dernières pages où tout entre littéralement en apesanteur.

La notion de frontière, sur fond de construction de mur trumpien, est d’évidence au cœur de ce comics publié dès 2015 sur le site de Panel Syndicate, un système de publication de comics lancé par Brian K. Vaughan et Marcos Martin. Où il est possible de télécharger des BD comme Barrier et The Private Eye (du même duo) en donnant la somme que l’on peut/veut. Façon, aussi, de contourner les règles et contraintes de l’industrie tout en s’adressant directement au lecteur. De revenir à l’humain.

À la fin du chapitre 1, donc, tout bascule. Le western social se transforme en SF étrange, colorée, dopée par la recherche visuelle et la réflexion sur le langage et le non-langage. Certaines dimensions nous y avaient préparés, ceci dit. Notamment le fil narratif d’Oscar, où (fort logiquement) les personnages ne parlent qu’espagnol. Mais un espagnol ni traduit ni sous-titré. Au lecteur de consentir l’effort de deviner, de faire appel à un interprète, de se servir d’un dictionnaire ou d’un logiciel de traduction en ligne.

Cet effort, ce trouble né de la non-traduction de pages entières (avec, du moins en français, les difficultés de lecture provoquées par des mots parfois très serrés les uns contre les autres) provoquent un sentiment étrange. On se retrouve dans la peau de l’émigrant, plongé brutalement au cœur d’un territoire dont il ne maîtrise pas ou peu la langue, les codes, les exigences. Le procédé est à la fois simple et efficace.

À partir de la rencontre d’Oscar et de Liddy et presque aussitôt du “troisième type” qui les enlève, cette dimension prend une envergure démesurée. Et l’incommunicabilité, de tous les types cette fois, sourd de chaque case. Les aliens parlent par “couleurs” et “formes”. Leurs volontés, leurs projets, leurs objectifs sont obscurs. Ils ne tiennent visiblement pas à se confier à leurs invités-malgré-eux. Cette rencontre n’est pas celle d’égaux, ou d’une espèce tentant d’en savoir davantage sur une autre. Mais celle initiée par deux créatures qui n’ont plus rien à perdre.

Et puis, “alien” n’est-il pas un terme qui s’applique à toute personne en terre étrangère ? Il est aussi un miroir à double sens, puisqu’on est un étranger dans un territoire défini et tout à la fois un individu précis perdu sur une terre inconnue. Tout dépend du point de vue. Et c’est bien de point de vue qu’il est ici question.

Face au mutisme, les deux humains sont condamnés à communiquer. Où l’on voit que les préjugés ont certes la vie dure, mais que si on les dépasse, on trouve l’humain, toujours. Un discours des plus positifs, électrisé malgré tout par un quasi-twist final carrément glaçant.

Si vous aimez : les histoires qui bifurquent sans prévenir, qui n’ont pas peur de brouiller les pistes. Un peu comme Ody-C de Matt Fraction et Christian Ward, dans un style visuel assez proche de celui de Marcos Martin d’ailleurs.

En accompagnement : Y, le dernier homme, un bijou d’invention et de récit au long cours, qui a valu à son auteur des problèmes sans fin. Une BD tantôt taxée de misogynie ou d’antisionisme, tantôt célébrée pour son féminisme ou décriée pour son apologie du sionisme…

Barrier
Écrit par
Brian K. Vaughan
Dessiné par Martin Marcos avec Muntsa Vicente
Édité par Urban Comics

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