
Battlefield V – Guerre et paix
On ne va pas se mentir : Electronic Arts aura fort à faire en 2019 pour redorer son blason, largement égratigné il y a plus d’un an. Avec Star Wars Battlefront II sorti fin 2017, l’éditeur américain s’est violemment pris une levée de boucliers de la part des joueurs, refusant de payer des lootboxes pour être mieux équipé que le stormtrooper d’en face. Dice, de son côté, préfère ignorer tout ça et continuer son travail d’approfondissement sur Battlefield d’un gameplay qui revient aux sources de la coopération, une avancée déjà largement entreprise dans Battlefield I, et qui se poursuit sur ce « cinquième » épisode.
« Tu fais comme dans l’infanterie, tu te tires ailleurs »
Un cinquième opus qui déboule après que la saga soit partie dans toutes les directions. Parce qu’il fallait bien caler quelque chose après le « Battlefield« , Dice s’est dit qu’un simple numéro était bien plus simple que les petits surnoms donnés aux multiples spin-offs (Vietnam, Bad Company, Hardline, faites votre choix), même si on omet le I de l’épisode précédent qui a bien fait marrer tout le monde et semé la panique dans la chronologie « battlefieldesque ». Alors que la guerre moderne cède aux sirènes du cartoon et du battle royale, Dice choisit de revenir à ses premières amours : la Seconde Guerre mondiale. Difficile de trouver un angle original sur ce conflit quand tout a été dit, ou presque. Le développeur va plutôt miser sur des théâtres de guerres méconnus pour appâter les fans de M1 Garand : pas de Normandie, de guerre du Pacifique ou de balades dans un Berlin détruit par les bombes. Dans Battlefield V, on mise sur la Norvège, Rotterdam, le désert lybien ou les campagnes françaises sous le soleil de printemps.
Pour illustrer ces nouveaux terrains de jeux, il faudra se tourner vers le mode solo, embarquant quatre scénarios d’environ deux heures, dont un qui s’est ajouté à la collection en décembre dernier (et gratuitement). Ces « Récits de guerre » mettent en avant les histoires obscures de la Seconde Guerre : on ira faire un tour en Afrique du Nord avec un petit groupe de saboteurs anglais à travers les lignes ennemies, ou bien en Norvège en mission d’infiltration pour empêcher les nazis de produire de l’eau lourde, ingrédient indispensable pour créer la bombe atomique. On ira également reprendre un château français en incarnant un des tirailleurs sénégalais (récemment naturalisés par François Hollande) et enfin s’enfermer dans l’un des derniers Tigres allemands alors que l’Axe est en déroute et que les forces alliées avancent vers Berlin.
Des contextes originaux et intéressants, proposant même une écriture plutôt fine et servie par des cinématiques franchement réussies. En revanche, la construction des missions est loin d’être aussi soignée : on ressent le gameplay multijoueur des Battlefield, les objectifs se limitant à de la capture de positions ou de destructions de canons. Hormis les chouettes cinématiques qui ponctuent régulièrement les niveaux, une fois manette en main, le service est minimum et ne vient jamais souligner toute l’implication du joueur pour les personnages dans le game design, opérant du forcing sur des séquences inadaptées. L’histoire Tirailleur met enfin en scène quelques batailles rangées avec une escouade complète avant de basculer dans une phase d’infiltration intégré au chausse-pied. À l’inverse, la partie en Norvège de nuit fonctionne à merveille pour toutes ses séquences silencieuses, bien plus logique dans le contexte de l’intrigue. Il faudra faire avec un level design pas toujours adapté au solo et, comme souvent, avec une IA défaillante, où des soldats ennemis sont capables de vous voir à 300 mètres planqué dans des buissons mais sans réaction lorsque leurs camarades se font planter par vos soins à quelques mètres d’eux.
« Les enfants, vous venez mettre les couverts ? »
Mais Battlefield, on n’y joue pas pour le solo. Battlefield, c’est courir au milieu d’une plaine de Normandie pendant dix minutes et se prendre une balle de Lee-Enfield d’un tireur planqué dans une grange. C’est se plaquer dans la boue et la saleté avec son escouade en entendant les chenilles d’un tank adverse, prêt à faire pleuvoir les balles, au milieu d’un champ de bataille où 32 troufions en affrontent 32 autres. Et pour honorer nos conduits auditifs de ces combats épiques, Dice nous gâte avec un sound design du feu de Dieu, qui immerge le joueur comme jamais. Mieux vaut prévoir un bon casque pour en profiter, et accompagné du moteur graphique Frostbite qui fait encore une fois des merveilles, la beauté plastique de Battlefield V n’est plus à prouver, quitte à s’arrêter en pleine échauffourée pour jouer les touristes. Pour ce qui est du moteur physique, les potards sont poussés encore plus loin : la plupart des murs n’opposeront pas grande résistance face à un tir de roquette bien placé, éradiquant n’importe quelle couverture, jusqu’à l’éboulement complet de l’édifice.
Heureusement, les builders en herbe pourront s’en donner à cœur joie grâce à l’un des ajouts de ce nouvel opus : la possibilité d’ériger quelques couvertures de fortune sur les zones de contrôle. On n’ira pas non plus jusqu’à bâtir une cathédrale, mais il est possible d’entasser quelques sacs de sable pour créer des murs, acheminer du barbelé autour de la zone voire carrément créer des points de ravitaillement en munitions. Des fortifications qui ne résistent évidemment pas à un envoi de grenade mais offre une vraie plus-value quand on connaît les problématiques des phases de défense d’un Battlefield. Alors que les défenseurs étaient généralement cantonnés à des courts échanges de coups de feu, où le vainqueur était simplement le plus rapide, on peut désormais créer des petites situations de sièges pour se renforcer en attendant l’offensive ennemie.
C’est d’ailleurs dans un souci de coopération que Dice a poussé les joueurs à jouer en escouade, forçant chaque interaction en octroyant des points aux plus méritants. Les escouades peuvent accueillir quatre joueurs, dont un commandant, qui sera en charge de donner des ordres pour glaner des points spéciaux. Ces points pourront ensuite être dépensés en cours de partie pour appeler des blindés à la rescousse, du ravitaillement par parachute voire carrément larguer une fusée V1 sur une zone souhaitée. Un bonus fort utilisé dans les modes en ligne, ce qui pousse le joueur attentif à se mettre à l’abri dès qu’il entend ce bruit d’hélice caractéristique. Dernière nouveauté appréciable : plus besoin d’être médecin pour ressusciter les autres comme par magie, puisque n’importe quel soldat pourra sauver son camarade d’escouade (et uniquement son escouade), avec néanmoins plus de délai que la classe médicale. Des vraies bonnes idées, qui ajoutent une chouette proximité avec sa petite bande, en plus de pouvoir réapparaître près d’eux. Cela évite l’écueil des morts trop rapides, mais en contrepartie, le jeu se veut plus exigeant avec des fusillades qui ne s’éternisent jamais bien longtemps, compte tenu de la faible résistance des soldats.
Naguère, comme à la guerre
Mais un Battlefield n’en serait pas un s’il n’y avait pas un peu de tôle froissée sur le bord des chemins. Si Battlefield 1 proposait quelques véhicules originaux, symbole d’une certaine « créativité » militaire pendant la Première Guerre mondiale, ce Battlefield V revient aux sources, avec chars Panzer, Tigre et autres avions Spitfire. Histoire de rendre les affrontements plus crédibles, Dice a préféré donner du poids à ces monstres de métal, maintenant influencé par le moteur physique. Alors oui, un coup de canon réduit en morceaux n’importe quel mur de briques, mais il faudra faire avec une certaine lenteur, et la perspective de se voir bloqué contre n’importe quel rocher un peu trop haut à escalader. Une cible facile pour l’infanterie, qui pourra tourner autour rapidement et placer quelques pains de dynamite collante pour y jouer la partition du 14 Juillet. Et alors que les mécaniques arcades de Battlefield 1943 rendaient les joutes aériennes immersives, la maniabilité des avions dans cet épisode n’est pas vraiment intuitive, surtout pour créer un appui aérien autrement que par du largage de bombes. Autant dire que les amateurs de belles parties éviteront de la jouer pilote de l’air.
C’est d’autant plus frustrant que les déplacements du soldat de base n’ont jamais été aussi libres et excellents. Le gameplay à pied est encore plus nerveux que l’épisode précédent, où l’on peut sprinter comme un beau diable sans jamais cracher ses poumons. On se complait dans un flot de mouvements ininterrompus, où l’on enchaîne les escalades de murets, les passages éclairs à travers les vitres ou les bourrades de portes pour rejoindre son escouade au plus vite. Au final, on passe moins de temps dans les chars plus par dépit que par nécessité, et on aimerait que le traitement des véhicules sorte un peu du réalisme mou du genou pour rejoindre l’énergie des fusillades à pied.
Dans le coin des modes de jeu, Battlefield V conserve l’essentiel de l’épisode précédent, avec moins de contenu. Vu le tollé qu’Electronic Arts s’est mangé dans les gencives suite à Battlefront 2, il était hors de question de proposer de nouveau un Season Pass hors de prix. Conséquence : il faudra compter avec moins de maps, pas de mode Battle Royale (pourtant allègrement marketé avant la sortie), mais du contenu gratuit à venir sur toute l’année (au moins). On compte 8 cartes de base plutôt variées (les champs de colza d’Arras en France, une portion dans les Alpes enneigés avec ce qu’il faut pour des guet-apens, Torsion d’Acier et ses tranchées humides ou encore Rotterdam avec ses rues sinueuses, privilégiant les embuscades dans les hauteurs) et des modes classiques de Conquête (plusieurs points à capturer sur la map) et Team Deathmatch. Le mode Percée, variante de Ruée, est une partie où les défenseurs doivent repousser les attaquants sur des points de conquête, et le cas échéant, battre en retraite vers les points suivants.
Introduit dans Battlefield 1, le mode Grandes Opérations revient et se retrouve sous les feux des projecteurs. Le principe est une succession de trois rounds, variant Conquête et Percée mais donnant des avantages à l’équipe réussissant les différentes manches. Le scénario place une équipe en attaquant, l’autre en défenseur, mise en scène à l’appui comme ce débarquement aérien pour la partie en Norvège. Ça donne des parties plus épiques et longues (environ 45 minutes), s’attachant à mettre la pression au camp en détresse pour pouvoir renverser la situation. Les défenseurs ont comme d’habitude plus de boulot que les attaquants, la faute à un gameplay qui privilégie les frappes éclairs, mais les fortifications introduites dans cet épisode permettent de mieux gérer les attaques surprises.
Si ce « cinquième » épisode ne révolutionne rien, il parvient à resserrer son intérêt sur la coopération au sein d’une équipe, l’une des forces de la licence. C’est toujours aussi solide, aussi immersif et on en prend plein les mirettes devant chaque panorama qui se détache devant le fracas des obus. L’équipement est toujours aussi customisable à l’envie, avec des pièces se débloquant au rythme de l’expérience engrangé dans chaque classe. Celles-ci n’ont pas trop bougé mais le fait de donner plus de responsabilités à chacun (réanimer son escouade ou ériger des couvertures) permet d’éviter de cantonner les joueurs à un rôle et d’avoir un éclaireur qui reste sur sa colline à sniper tout le monde. On regrettera les soucis de maniabilité des véhicules, et, comme d’habitude, un mode solo un peu chiche et feignant, malgré des histoires intéressantes. Reste un jeu multijoueur efficace et réellement nerveux, encore meilleur avec des amis et un micro, surtout avec un épisode qui privilégie autant les interactions. On attend de voir si le contenu à venir va enrichir correctement le titre, mais la volonté d’avoir des mises à jour gratuites (sauf si vous voulez des caisses d’équipement – surtout du cosmétique – ne soyez pas naïf) augure du meilleur. On souhaite longue vie à Battlefield V.
Battlefield V
Éditeur : Electronic Arts
Développeur : Dice
Prix : 60 euros
Plate-formes : PC / PS4 / XBOX ONE