Battleship Island

Battleship Island

Note de l'auteur

Tous les cinéphiles vous le diront : lorsque tout espoir semble perdu, il faut parfois se tourner vers le cinéma sud-coréen pour espérer trouver la petite pépite cachée. Certes, on a eu un début d’année fort réjouissant, mais les Park Chan Wook, Bong Joon Ho et autres Na Hong-Jin ne sont pas de sortie cette année. Qu’à cela ne tienne, le réalisateur Ryoo Seung-Wan arrive à la rescousse et nous sort Battleship Island, film de guerre revanchard et sanguinaire, chargé de mettre les pendules à l’heure.

Le film prend place en 1945, sur l’île d’Hashima, où plusieurs centaines de Coréens sont forcés à travailler dans des mines de charbon sous la surveillance de l’armée japonaise. Mais quelques irréductibles ne se laisseront pas faire, et commencent à fomenter une petite révolution, sous couvert d’une opération militaire d’infiltration. La Corée occupée par le Japon, c’est l’un des grands leitmotive du cinéma sud-coréen, permettant à la fois de placer leurs films dans un contexte politique fort tout en s’en servant presque comme un moyen thérapeutique. Park Chan Wook l’avait déjà utilisé en 2016 pour transformer l’histoire de son superbe Mademoiselle vers l’occupation coréenne et Jim Jee-Woon (Le Bon, la Brute et le Cinglé) a repris également ce contexte pour son Age of Shadows de la même année.

Battleship Island fait le choix de suivre l’arrivée de prisonniers supplémentaires, en mettant l’accent sur le chef d’un groupe de musique accompagné de sa fille, qui fera tout pour la protéger des nombreuses aversions que compte l’armée japonaise. Toute la première partie est une formidable exposition sur les conditions (réelles) des Coréens. Que ce soit la reconstitution incroyable des décors où la caméra virevolte parmi les façades de béton et les maisons de passe, ou le fourmillement de vie qui imprègne chaque image, on sent que le réalisateur s’est donné les moyens de ses ambitions, sans perdre ses personnages de vue. On reste scotché devant ces séquences, enfermé dans cette mine poisseuse, où des dizaines de mineurs crasseux travaillent à la sueur de leur front, où chacun mange péniblement sa pitance, éclairé faiblement par la lueur de son casque. Aucun artifice autre qu’une mise en scène élégante et lisible, mettant en avant ce chaos ambiant et la tension qui pullule dans chaque ruelle de l’île de Hashima. La générosité de Ryoo Seung-Wan nous terrasse, et comme souvent dans le cinéma coréen, il traverse son film de ruptures de tons, de moments graves alternés avec une scène plus légère, frisant le ridicule à chaque instant. Le film n’atteint jamais la finesse des plus grands, n’y allant jamais par quatre chemins pour montrer ce qui doit être montré, mais embrasse totalement son propos, n’hésitant pas à mélanger scènes diplomatiques avec baston de gangsters dans des bains publics suintant la testostérone comme jamais, filmé de main de maître.

C’est dans le dernier acte du film que tout explose, que le métrage devient un revenge movie à grande échelle, à la hauteur d’une nation tout entière. Les Japonais sont les méchants, et leurs caricatures impriment la rétine grâce à leurs acteurs se lâchant à chaque seconde. Le rythme de croisière s’emballe pour devenir un film de guerre époustouflant, aux scènes fortes et à la mise en scène brillante, foisonnant de détails dans tous les coins de l’écran. Le climax transforme la prison en un règlement de comptes, en champ de bataille à la spatialisation parfaite, envahi par cette brume matinale aux teintes bleutées. Malgré l’élément cathartique évident du film, Ryoo Seung -wan n’oublie pas qu’il est un cinéaste de talent et en impose dans des scènes de combat impeccablement filmées. Toute l’ampleur du décor est utilisée à la perfection, dans un déluge de colère et de rage, dont la chorégraphie exemplaire des combats ne laisse jamais le chaos ambiant prendre le pas sur la réussite cinématographique du film. Même l’utilisation d’un thème classique du western transforme une tentative de récupération « tarantinesque » en une séquence frissonnante et réussie.

Battleship Island est une boule de rage maîtrisée à la perfection, envoyant son énergie là où il faut et parvenant à donner du sens à ce film de guerre aux élans patriotiques indéniables, mais justifiés par l’horreur du contexte. Certes, tout ceci manque de nuances, mais Battleship Island est tellement généreux avec le spectateur, qu’il est difficile d’y résister et de bouder son plaisir quand on vous offre sur un plateau un tel morceau de cinéma. On quitte la délicatesse et le raffinement des œuvres cités plus haut, mais Ryoo Seung -wan ne cherche jamais à quitter le cinéma populaire qu’il aime tant avec une redoutable efficacité. Enfin un blockbuster qui fait exister ses personnages et qui n’a pas la bougeotte lorsqu’il s’agit de filmer des scènes d’action. Amis occidentaux, prenez-en de la graine.

Battleship Island
Réalisé par Ryoo Seung-Wan
Avec Hwang Jeong-min, So Ji-sub, Song Joon-ki, Lee Jeong-hyeon…
En salles le 14 mars 2018

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