Beaucoup de bruit… (critique d’Un français, de Diastème)

Beaucoup de bruit… (critique d’Un français, de Diastème)

Note de l'auteur

UNFRANCAIS_120Dans un cinéma français dont les rares incursions dans le réel touchent généralement aux questions sociales, le 2e long métrage de Diastème a le mérite d’aller au charbon frontalement sur une question politique brûlante : l’angoissante montée du FN. Sauf qu’ici, le sujet n’est pas une progression, mais plutôt une descente : celle des pulsions racistes d’un petit skinhead au cœur trop gros pour haïr son prochain toute sa vie. Au final, une charge finalement un peu légère et un comédien qui, lui, donne tout : Alban Lenoir.

Malgré son arrière-plan politique sulfureux, Un Français propose avant tout un drame humain, celui d’une rédemption douloureuse et incertaine. Son héros, un crâne rasé nommé Marco, on le découvre à l’ouverture du film au milieu des années 80, coursant et fracassant du gaucho avec ses potes de ratonnade à la sortie d’un campus. Vague contexte social : il a grandi dans une barre d’immeubles, élevé par une maman dépassée et un papa alcoolo impotent. Caméra à l’épaule, axes réduits, éclairage naturel, cadrages serrés : on sent qu’Un Français fut accouché à l’économie, mais aussi avec un parti pris. Celui de coller littéralement aux Doc Martens de ce facho qui, au fil de ses rencontres à travers trois décennies, va s’humaniser et ce faisant s’exclure de la seule famille qui l’ait vraiment structuré. Ses frères de haine.

unfrancaisAu cœur de ce film à tout petit budget, l’incandescent Alban Lenoir prouve définitivement qu’il est un acteur que le cinéma français aurait tort de ne pas choisir dans des rôles de premier plan. Le reste du cast, qui ne démérite pas, est hélas un peu éclipsé par sa présence. Alternativement terrifiant et poignant, il parvient à rendre crédible et attachant juste ce qu’il faut la petite frappe qui, peu à peu, prendra conscience que les crimes de ses amis l’écœurent jusqu’à la nausée. La scène d’humiliation quasi-meurtrière d’un clochard noir dans le rade fréquenté par les potes skins de Marco est à cet égard l’une des plus éprouvantes du film. Bien davantage d’ailleurs que sa violence graphique somme toute assez sage, malgré un ou deux plans effectivement sanguinolents. Au rayon passages à tabac traumatiques, le Irréversible de Gaspar Noé peut dormir tranquille. Même le mainstream American History X, auquel Un Français fait forcément un peu penser malgré un traitement radicalement différent, secouait davantage les tripes.

unfrancaisJuste, humble, au service de son personnage avec une émouvante dévotion, Lenoir reste le meilleur atout d’Un Français qui, par ailleurs, évite heureusement la farce involontaire embarrassante dans laquelle il aurait pu se vautrer. Diastème n’assène aucune leçon de morale, ni message didactique lourdaud, il se contente de coller à son sujet jusqu’au bout : le réveil humaniste d’un petit salaud. Mais le film pèche, hélas, aussi par là où il a pris soin de ne pas sombrer : au générique de fin, le spectateur a l’impression d’avoir assisté à un enfonçage de porte ouverte d’une heure trente. Oui, les skinheads sont des criminels ivres de haine et tabasseurs d’arabes mais ça, on le sait un peu depuis plus de 30 ans. Jamais Marco ne s’interroge explicitement sur les raisons de son racisme ou celui de ses camarades, ni sur le reflux de son côté obscur. Il vit, tabasse, éructe, aime, souffre, évolue, se laisse pousser la barbe, parcourt la montagne avec un pharmacien qui lui inoculera l’altruisme, expérimente l’amère solitude du chien rejeté par sa meute… mais d’introspection jamais ne tente. Dommage.

Un Français, comme son titre l’indique, parle surtout d’un homme, pas d’une idéologie, celle qui nourrit l’extrême droite. Il n’en décortique pas les racines multiples, l’impact, la perversité, les conséquences à terme cataclysmiques pour une nation en plein doute – les images d’une Manif pour tous que visionne à la télé un Marco éberlué ne dépassent pas hélas le stade du “clin d’œil” in extremis. Avec Un Français, on a ainsi davantage l’impression d’avoir assisté à la naissance d’un talent, Alban Lenoir (qu’on suivait déjà de près depuis Hero Corp), plutôt qu’à une fresque carrée sur une certaine histoire française. Diastème a cependant eu le mérite de regarder la bête en face, même s’il ne s’est limité qu’à quelques nazillons alors que l’adhésion à la droite extrême touche des cercles bien plus vastes et séduit des gens bien plus ordinaires. On repassera donc pour le brûlot politique éclairant. Le film est passé à côté, mais souhaitons qu’il place au moins Lenoir pour de bon sur la carte des directeurs de casting.

Un Français, de Diastème (1h38). Scénario : Diastème. En salles le 10 juin.

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