BEST-OF : Rétro John Cassavetes

BEST-OF : Rétro John Cassavetes

Entre mars et avril, je vous proposais une rétro centrée sur cinq films majeurs de John Cassavetes. Souvent considéré à tort comme le père d’une certaine nouvelle vague américaine, alors que son premier long métrage, Shadows, est sorti deux ans avant À bout de souffle de Godard et que Jonas Mekas ou même Kenneth Anger méritent certainement davantage cette distinction, Cassavetes est un cinéaste éminemment indépendant. Chantre d’un cinéma du réel à hauteur d’homme intéressé par les tréfonds de l’âme et occultant avec précision les fines craquelures texturant nos vies, il aime multiplier les points de vue et ne respecte aucune des règles préétablies du langage cinématographique. Réinventant perpétuellement une nouvelle grammaire adaptée à chaque scène, il refusera obstinément durant toute sa carrière d’installer son cinéma dans un académisme trop loin de la spontanéité et du naturalisme qu’il recherche depuis toujours.

Électron libre, débarrassé des carcans normés du cinéma hollywoodien dès la fin des années 50, sa voix artistique est unique et la patte Cassavetes s’impose avec force dans l’histoire du cinéma américain. Sa caméra épouse les mouvements des acteurs emportés dans ce que nous percevons comme réel. Elle capte irruptions de colère, hystérie, rires et larmes. Jamais omnisciente, elle ne représente le regard de personne et n’entraîne surtout pas le spectateur dans un faux processus d’identification. Ce n’est pas un outil servant bêtement à additionner les informations et à proposer des solutions mais plutôt un œil anonyme présentant des incertitudes toutes humaines sans juger.

Cinéaste exceptionnel laissant l’initiative du jeu aux acteurs et bousculant continuellement les normes hollywoodiennes, son approche radicalement nouvelle de la mise en scène, son savoir-faire issu du théâtre et son sens de l’expérimentation sans limites pavent le chemin dans les années 60 et 70 d’un cinéma indépendant américain alors en devenir.

Shadows (1959)

« Ayant réussi à réunir 40000 dollars afin de financer son premier long métrage Shadows, John Cassavetes réalise un des films les moins chers de l’histoire de la production cinématographique américaine. Utilisant une expérience technique acquise sur les plateaux de télévision et de cinéma pour filmer la réalité du quartier de Broadway, il laisse l’initiative du jeu aux acteurs et bouscule ainsi les normes hollywoodiennes alors en vigueur. Approche radicalement nouvelle de la mise en scène, savoir-faire issu du théâtre, créativité et sens de l’expérimentation sans limites, Shadows est une porte ouverte sur le futur du cinéma indépendant des années 60. Un film visionnaire. »

 

Faces (1968)

« Faces est le film de la maturité pour Cassavetes, une affirmation de son indépendance. Après la fougue innocente de Shadows et une excursion hollywoodienne castratrice, l’approche foutraque et improvisée du cinéma des débuts laisse place à plus de professionnalisme. Un texte omniprésent tout d’abord pensé pour le théâtre, un tournage marathon à plusieurs caméras imposant une réalisation plus dynamique, un montage à la moviola beaucoup plus élaboré, ce film marque une nette progression dans tous les domaines de la production. Tout d’abord pamphlet venant poser un regard critique sur un milieu que Cassavetes vient de fuir dans la fureur et l’amertume, cette œuvre présente également une belle réflexion de l’auteur sur les faux-semblants qui envahissent les rapports humains et offre un terrain de jeu fantastique pour des acteurs en état de grâce. »

 

Une femme sous influence (1974)

« Initialement envisagé comme une pièce de théâtre, Une femme sous influence (A Woman Under the Influence) est considéré par bien des amoureux de Cassavetes comme l’un de ses plus grands chefs-d’œuvre. En pleine possession de ses moyens cinématographiques, le réalisateur livre avec ce métrage une réflexion sur le conformisme, le conditionnement imposé par la société et en profite pour dépeindre son autoportrait à travers le personnage de Mabel. Encore une fois financé et tourné dans des conditions très particulières, le film, en regard de son budget réduit, remporta un succès commercial et critique inattendu. Œuvre sans compromis analysant l’écrasement d’une femme par son environnement, Une femme sous influence est un plaidoyer contre la normalisation des émotions et l’uniformisation des êtres dans un monde acceptant de moins en moins la différence. »

 

Meurtre d’un bookmaker chinois (1976)

« Après le succès critique et public de son précédent film Une femme sous influence, John Cassavetes compte bien profiter de cette rampe de lancement pour amorcer dès 1976 la production de son prochain long métrage : Meurtre d’un bookmaker chinois (The Killing of a Chinese Bookie). Partant d’une idée originale conçue en collaboration avec son ami Martin Scorsese, il s’essaye ici pour la première fois au cinéma de genre en écrivant ce néo-noir qui servira de prétexte à une parabole habile traitant de la lutte permanente de l’artiste pour imposer son indépendance dans un monde régi par l’argent. »

 

Opening Night (1977)

« Splendide hommage au théâtre et à l’amour du jeu, Opening Night sonde les tréfonds de l’âme du comédien en se penchant sur la crise identitaire que traverse Mirtle Gordon, actrice reconnue oppressée par le diktat de l’image imposé aux femmes. Réflexion portant sur la distinction entre l’être et le paraître, ce film tente d’identifier la frontière séparant l’acteur de son rôle, l’être de l’entité interprétée. En analysant ainsi la différenciation entre art et vie, Cassavetes ne fait que poursuivre l’étude méticuleuse du seul sujet qui le passionnera réellement durant toute sa carrière de cinéaste : ce que la société attend de nous et ce que nous consentons à admettre afin de nous intégrer socialement. »

 

 Rencontre avec John Cassavetes et son chef-opérateur dans l’émission Cinéastes de notre temps

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