Bilan : Doctor Who (saison 9) – La douleur de l’oubli

Bilan : Doctor Who (saison 9) – La douleur de l’oubli

Note de l'auteur

Tout passe, tout lasse, et les passions les plus ardentes peuvent parfois s’éteindre sans que l’on ne soit tout à fait capable d’expliquer clairement quand c’est arrivé.

À l’issue de la diffusion de la saison 9, Déborah a déjà publié sur ce site un bilan dans l’ensemble positif. Cela va me permettre d’être moi-même relativement concis pour tenter d’expliquer pourquoi, et contrairement à ce qui semble être le cas pour une majorité de fans enthousiastes, ces nouvelles aventures du Docteur et de Clara n’auront généré chez moi pratiquement qu’un seul sentiment : l’indifférence polie devant des épisodes souvent vus deux ou trois jours après leur diffusion.

 Attention spoilers !
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Le Docteur de retour sur Gallifrey

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J’ai désormais l’impression d’un Steven Moffat branché sur alternateur, délivrant tour à tour une saison lamentable (la 7B), une résurrection inespérée (la 8) et de nouveau cette année, une enfilade interminable d’épisodes anodins aussi vite vus qu’oubliés.

Quoi que je doute toujours de sa capacité à être le showrunner d’une série au long court, surtout dans un dispositif à l’anglaise sans véritable writers room, une chose reste certaine : Steven Moffat est un scénariste de génie. À un moment ou un autre, quelque chose de formidable sortira toujours de sa plume, tel que le très malin premier épisode, « The Magician’s Apprentice », et son dilemme moral choquant, ou tel que l’encore plus malin « Heaven Sent », qui a su fournir ce que la série, entre plagiat de franchises concurrentes (« Face the Raven ») et autoréférences permanentes, ne délivre désormais plus que très occasionnellement : le sentiment de jamais-vu.

Reste que deux épisodes exceptionnels ne font pas une saison, surtout quand, et c’est vrai dans les deux cas, ils sont la première partie avant une résolution ratée. Cette incapacité de Steven Moffat à conclure correctement est particulièrement intéressante. Elle tient à deux choses.

D’abord, le fan est trop proéminent chez Moffat, ce qui le fait agir comme un gardien du temple, incapable de véritablement secouer le canon de la série. Une caractéristique qui clashe avec son égo, qui le pousse au contraire à jouer perpétuellement avec des éléments historiques importants. Moffat répète à l’infini des teasings (Je vais vous montrer le mariage du Docteur ! Je vais vous révéler le nom du Docteur ! Vous allez découvrir ce qu’est l’hybride !), qui sont d’autant plus longuets qu’ils ont perdu depuis longtemps tout impact, devant le systématisme de résolutions en eau de boudin. Pour ne rien remettre trop profondément en cause, le mariage a eu lieu dans une réalité alternative et n’était même pas un vrai mariage, le nom du Docteur est murmuré hors écran par quelqu’un dont on ne saura jamais comment elle l’a appris, et l’hybride est… ce que vous préférez parmi ces différentes hypothèses que je vous propose, pick your choice, les fans, wink, wink !

Cette manière de surfer sur l’ambiguïté pour ne fâcher personne, cynique et lâche, finit par être exaspérante. Elle pousse Moffat à tisser des intrigues construites comme des antiphrases. Une tendance qui culmine avec la « résolution » du personnage de Clara à l’issue de la saison 9, dans laquelle le scénariste pose une équation audacieuse (lire ridicule) : « être mort = être immortel ». Ajouté au timey-wimey qui réécrit tout jusqu’au non-sens (le meilleur épisode de la saison 8 était construit autour de la descendance de deux personnages finalement morts avant d’avoir eu le moindre enfant), Moffat est désormais à la tête d’une narration dans laquelle rien n’a plus jamais de conséquences, ni d’impact : une narration sans enjeux – voilà une autre antiphrase qui ne décrit rien d’autre que le néant.

 

Oubliez-moi!

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Un cœur qui ne bat plus

Des arcs émotionnels forts et clairs pour ses principaux personnages pourraient permettre à Doctor Who de se sortir de cette tendance scénaristique pour le moins contre-productive. Mais, s’il n’en est pas incapable (voir la saison 8), Steven Moffat n’y arrive que rarement. Il faut dire qu’il passe tellement de temps à s’occuper de la forme plutôt que du fond ! Comme en décidant de miser presque toute la saison sur des histoires en deux parties qui, comme celle de la base sous-marine ou des Zygons, auraient pu être très bonnes si elles n’avaient pas été exagérément délayées.

En saison 9, Moffat en est revenu au statu quo : le Docteur est le Docteur, il n’a pas d’arc (potentiel d’identification et d’empathie limité aux émotions que l’acteur sera capable d’inventer alors qu’elles ne sont pas dans les textes). Quant à Clara, le seul moyen d’être plus clair aurait été d’avoir une intro de Moffat face caméra au début de chaque épisode : ‘‘on m’a forcé à faire une année de plus avec elle, mais j’ai rien à dire avant son dernier épisode’’.

Dans une série où le Compagnon, qui projette le spectateur dans le récit, est crucial, Clara était cette année le personnage invisible, longuement absente dans nombre d’épisodes, souvent cantonnée à la fonction de pot de fleur quand elle était présente, comme lorsqu’elle regarde les Vikings s’entraîner à défendre leur village, sans que lui vienne l’idée de prendre une épée et de se joindre à eux. Pour un personnage dont le semblant d’arc est censé être son jusqu’au-boutisme aventureux qui lui fait tutoyer la mort, il y a là une incohérence qui témoigne de la manière dont cette soi-disant caractérisation n’existe qu’en parole, mais jamais dans les actes avant l’épisode de sa mort.

Quand on repense à la sortie, émouvante, originale et parfaite qu’offrait au personnage le dernier épisode de la huitième saison, son retour forcé dans le Spécial de Noël 2014 apparaît encore plus aujourd’hui comme une erreur majeure.

 

Greatest Hits

Rejouer les tubes à l’infini reste la seule option du DJ en mal d’inspiration. La technique confine parfois au désastre, comme dans le final de cette saison, « Hell Bent », fan fiction pathétique qui recycle jusqu’à la nausée. Mais elle réussit aussi, comme dans le très fun et émouvant spécial de Noël 2015, « The Husbands of River Song », qui marque le (probablement dernier) retour de la presque-ça-dépend-à-qui-vous-demandez épouse du Docteur. L’illusion n’est pas totale, mais suffisante pour que l’empathie soit possible. En effet, pour écrire cette histoire, Moffat est obligé de contredire les mini-épisodes tournés pour les bonus du coffret DVD de la saison 6, quand il s’était entiché de cette idée folle de raconter tout River Song en une seule saison. Face au manque d’idées actuelles, cela lui a certainement semblé du gâchis. On ne saurait le contredire, on aurait juste aimé qu’il y pense avant.

La prochaine saison, qui débutera très probablement par l’épisode Spécial de Noël 2016 (en attendant, le spin-off Class nous aura fait patienter durant l’automne), introduira un nouveau Compagnon et marquera en conséquence un nouveau départ que, peut-être, Steven Moffat saura réussir. Mais désormais, il communique abondamment sur le mode ‘‘je suis tellement génial et irremplaçable que je dois me démener pour trouver mon successeur’’. Je ne peux plus le cacher, c’est clairement ce départ-là que j’attends avec le plus d’impatience. Parce que oui, à ce stade, à mes yeux à moi, le premier scénariste de Coronation Street venu ne pourra tout simplement pas faire pire.

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Doctor Who : saison 9
Showrunnée par Steven Moffat, produite par Brian Minchin.
Une production BBC.
Avec Peter Capaldi (le Docteur), Jenna Coleman (Clara Oswald), Maisie Williams (Ashildr).

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