#Bilan Les 20 ans de Panini Comics

#Bilan Les 20 ans de Panini Comics

Pilier du marché du comics en France, Panini Comics fêtes ses 20 ans cette année. Fréquemment critiqué, l’éditeur italien n’en reste pas moins un acteur phare du marché. Et si ce dernier souffle ses bougies à travers une collection anthologique largement relayé par la presse, il nous apparaissait intéressant de dresser un petit bilan de ces vingt années d’existences.

 

1Commençons par vous parler d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. On a tendance à l’oublier, mais l’arrivée de Panini en 1997 fut considérée comme une sorte de bénédiction. Car si certains, dont l’auteur de ces lignes, firent leurs adieux (provisoires) à Marvel au moment de l’arrêt de Strange, Titans, Nova et consort, d’autres accueillirent le changement d’éditeur avec joie compte tenu d’une nouvelle proposition très excitante.

 

L’attachement aux titres que Lug puis Semic ont établi sur plus de trente ans ne doit pas faire oublier l’autocensure régulière des épisodes (atteignant des sommets avec les épisodes de Daredevil – Born Again), l’absence de séries importantes ou bien encore des sommaires peu cohérents, conséquence d’une certaine tradition. Un lecteur fidèle de Spider-man devait par exemple acheter Strange, Nova et Spécial Strange pendant un temps pour suivre les aventures du Tisseur, cela sans compter les albums spéciaux. Mine de rien, ce qui paraît évident pour beaucoup aujourd’hui, ne l’était pas à l’époque, et sur ce point Panini fit alors un bien fou aux comics en France.

 

3En proposant des revues regroupées par franchise ou thèmes (X-men, Avengers ou bien encore Spider-Man), des épisodes dans leur intégralité, des articles pour initier les nouveaux lecteurs et en publiant des séries longtemps absentes en France (Captain America par exemple), Panini mit tous les atouts de son côté. La reprise fut d’autant plus ardue qu’elle se fit dans un contexte très difficile. Dans une époque pré-internet, les passionnés discutaient plus difficilement entre eux et les lieux d’échanges étaient moins nombreux. L’émulation et la communication était donc plus compliquée.

 

Par ailleurs, Panini ne pouvait s’appuyer sur des succès cinématographiques pour soutenir les aventures de ses héros. Bonne chance pour essayer de faire quelque chose avec le Punisher de Mark Goldblatt ou le film fantôme des Quatre Fantastiques. Enfin, la deuxième moitié des années 90 était une époque noire pour Marvel. L’éditeur allait entrer dans une période économique très difficile qui faillit le voir disparaître, tandis que ses séries cumulaient les mauvaises idées et les sagas médiocres. C’est l’époque de la tristement célèbre Saga du Clone pour Spider-man ou bien encore Onslaught pour les X-men avec la conséquence Heroes Reborn¹.

 

Le paysage éditorial et cinématographique n’était donc clairement pas le même qu’aujourd’hui et la qualité de la reprise de Panini (malgré quelques couacs souvent inévitables à tout début) est à mettre au crédit de l’éditeur. Il est par ailleurs intéressant de constater qu’il a récupéré une franchise quelques années à peine avant le premier succès sur grand écran de Marvel, à savoir le film Blade de Stephen Norrington qui fit sauter les verrous. Dès lors, l’évolution de l’éditeur s’est beaucoup construite en parallèle de la montée en puissance de Marvel au cinéma.

 

1Les revues ont changées de nom en 2012 suite aux succès du film Avengers. Au revoir Marvel Icons ou Marvel Heroes, place aux revues Iron Man, Hulk ou Thor. Mais le succès des Avengers durant les années 2000 eut comme conséquence de voir Panini renouer avec les mauvais côtés de son prédécesseur. Le lecteur voulant suivre les aventures des différentes incarnations du grand groupe de super-héros devait alors jongler entre trois à quatre revues (là encore sans compter les numéros hors-séries ou les sagas événementielles comme Civil War qui pullulèrent durant cette décennie). Sur ce point, on remarquera qu’aujourd’hui, la gamme kiosque est bien mieux équilibrée avec des mensuels au sommaire bien pensé pour chaque aspect de l’univers secondé par des hors-séries proposant des sagas complètes.

 

Même si elle est, hélas, souvent oubliée voire méprisée par beaucoup de lecteur, la proposition kiosque reste encore aujourd’hui l’épine dorsale de Panini. Avec un rapport quantité/prix défiant toute  concurrence, les revues permettent de découvrir un maximum de séries dont certaines ne seront jamais (ou bien longtemps après) rééditées en kiosque. Le tout dans un délai très court par rapport à la publication originale, ce qui n’est pas sans poser quelques problèmes comme nous le verrons plus bas. Autre point non négligeable, le format anthologique des revues offre un confort de lecture appréciable sur des sagas intertitres. Ainsi, lire la revue Avengers permettait de suivre aisément le cycle de Jonathan Hickman qui débutait avec Avengers pour se terminer avec Secret Wars. Ce dernier pouvait courir sur trois à quatre titres à certains moments aux USA, tandis qu’en France tout se trouvait compilé dans la revue². Un réel confort de lecture comparé au jonglage que durent pratiquer les lecteurs des rééditions en librairie, sans compter le coût bien plus élevé.

 

19751976À titre d’exemple, les deux premiers tomes d’Avengers et le premier tome de New Avengers reviennent à 45 euros en librairie pour lire les onze premiers épisodes de la série Avengers et les six premiers épisodes de la séries New Avengers. Pourtant, plus d’un an avant, les lecteurs des revues kiosques ont pu lire tous ces épisodes dans les six premiers numéros de la revue Avengers pour un prix total de 30 euros. Cerise sur le gâteau si on peut dire, ils purent lire également les cinq premiers épisodes de Secret Avengers et les six premiers de Young Avengers. On ne le répétera jamais assez, le kiosque est le moyen le plus économique de lire des comics en quantité³.

 

On rajoutera enfin qu’avec un délai ramené à environ sept mois entre la publication aux États-Unis et celle en France, l’éditeur comble au maximum le besoin d’immédiateté du lecteur. Là encore, ceux qui n’ont pas connu les années 80 et ses histoires publiées trois ans après la publication originale ou bien encore des séries non synchronisées entre elles (par exemple entre Les Nouveaux Mutants et Uncanny X-men) ne peuvent percevoir le sérieux de Panini en la matière.

 

dcToutefois, s’ils sont réactifs sur l’actualité et le kiosque, ils le furent beaucoup moins en ce qui concerne la pérennisation de leur catalogue. Si cela avait bien commencé avec le lancement de la collection Intégrale (regroupant tous les épisodes d’une même série année après année) ou Deluxe (réédition de séries en kiosque dans un grand format) participant avec d’autres à étendre le comics dans les librairies après des essais dans les années 80 et 90, divers problèmes se posèrent au fur et à mesure du temps.

 

Passons rapidement sur la question de la disponibilité des volumes, qui englobe une problématique plus générale et pas forcément inhérente à un éditeur, pour remarquer que l’importance du groupe Panini est problématique quand il faut s’attarder à des spécificités de chaque pays alors que l’édition des ouvrages s’établit de manière globale. Il fut ainsi compliqué de retrouver rapidement en librairie des œuvres sorties en kiosque. De la même manière, alors que la France se caractérise par une mise en avant des auteurs d’une œuvre, Panini resta sur une ligne de mise en avant des personnages. Nulle question de jugement de valeur ici, mais force est de constater que cette différence provoqua des rendez-vous manqués. On a ainsi en tête l’incontournable cycle d’Ed Brubaker sur Captain America qui fut initialement publié en librairie en format Deluxe à partir du deuxième tome d’une collection Captain America, le premier tome étant consacré lui à la série précédente. En publiant dans un numéro 2 une saga au fort potentiel commercial, Panini se coupa l’herbe sous les pieds. Heureusement, des changements bénéfiques ont eu lieu depuis.

 

x-o-manowar-comics-volume-1-tpb-softcover-souple-issues-v3-72180Et il en a fallu, car si les premières années furent bonnes, l’éditeur se reposa trop sur ses acquis durant les années 2000. Alors détenteur des licences Marvel et DC, Panini, en situation de quasi monopole, se mit alors une partie de son lectorat à dos par des choix et une politique d’édition particulièrement décevante en ce qui concerne l’exploitation des aventures de Superman, Batman & Co. Confiné à quelques maigres revues et quelques ouvrages en librairie sans réel suivi, l’univers DC sous Panini fut bel et bien un parent pauvre. Une situation d’autant plus dommageable que Semic avait relancé convenablement la franchise après des années d’absence en France. Le catalogue Vertigo fut également peu exploité. Certes, des séries furent présentes et suivies (Preacher, Transmetropolitan). Mais d’autres, et pas des moindres, connurent un destin bien moins évident (Ex Machina, Les Invisibles). Avec le recul, cette phase de quasi-monopole de Panini eu comme conséquence un véritable laisser-aller et une politique éditoriale qui semblait aux yeux des lecteurs peu cohérente et privilégiant la quantité de sorties (Marvel pour la plupart) à une politique réfléchie sur le long terme.

 

L’exemple Valiant est également emblématique. Lancés en grande pompe en 2013, les ouvrages de l’éditeur ne connurent pas le succès escompté par Panini qui abandonna l’affaire deux ans plus tard au profit de la juteuse licence Star Wars. Si l’enthousiasme de l’éditeur pour ce nouvel univers était visible, celui-ci diminua très vite et on peut se demander si certains choix furent les plus pertinents, notamment quand on les compare avec le travail de l’éditeur actuel de Valiant en France à savoir Bliss Comics. Toutefois, il est facile de refaire le match après coup alors que le contexte est différent.

 

dd1La perte des droits de DC Comics et l’arrivée d’Urban Comics a cependant eu un impact positif sur l’éditeur. Entrée dans une concurrence saine et face à la perte d’une franchise importante, Panini dut se remettre en question et s’inspirer de l’approche de son concurrent. Trois exemples sont probants : l’édition rapide en librairie des séries initialement parues en kiosque à travers la collection Marvel Now, les anthologies « Je suis/Nous sommes… » qui offrent de bonnes sélections d’épisodes pour un lectorat qui souhaite découvrir l’univers d’un personnage, et la collection Marvel Icons rééditant des cycles d’auteurs tels que Daredevil de Frank Miller, Astonishing X-men de Joss Whedon, The Amazing Spider-Man de Joe Michael Straczynski, Punisher de Garth Ennis ou bien encore Captain America d’Ed Brubaker corrigeant ainsi le problème lié à la première édition en Deluxe. En mettant en avant les auteurs et leur cycle, Panini dépasse son statut de « simple » diffuseur de comics pour prendre des risques et proposer un cadre éditorial plus en phase avec la demande d’un autre lectorat que celui des amateurs de super-héros. Combiné au succès cinématographique, cette nouvelle politique semble porter ses fruits, mais des carences demeurent.

 

Surfant sur l’actualité et encadrant une proposition récente autour d’une politique d’auteurs, l’éditeur a cependant du mal à mettre en avant le patrimoine ancien de son catalogue. Bien sûr, la collection Intégrale ou Marvel Vintage font ce travail mais en partie seulement, sans compter qu’elle pâtit d’un manque de disponibilité de certains albums, ce qui reste problématique. Bien qu’il s’agisse d’un gros travail éditorial et de fond, on regrette grandement que des œuvres comme le cycle de Jim Steranko sur Nick Fury reste cantonné de manière presque anonyme à un volume de la collection Intégrale. De même, alors que nous fêtons cette année le centenaire de la naissance de Jack Kirby, il est clairement regrettable de ne pas avoir à disposition, pour l’heure, son travail sur Les Quatre Fantastiques dans son intégralité⁴.

 

les-eternels-comics-volume-1-integrale-issues-v1-91829D’autres noms nous viennent rapidement en tête : les Captain Marvel ou les Warlock de Jim Starlin, Howard the Duck de Steve Gerber, L’Escadron suprême de Mark Gruenwald ou bien encore une bonne partie des œuvres d’un des plus grands dessinateurs de Marvel, à savoir John Byrne (Fantastic Four, Namor, La Division Alpha etc.). Ce n’est, certes, pas l’un des aspects les plus rentables du marché (on regrettera au passage l’arrêt, peu surprenant hélas, des revues Classic permettant d’avoir d’anciennes histoires à moindre prix), mais il n’en reste pas moins important par l’image qualitative qu’il renvoie. Il est donc dommage, aujourd’hui encore, que Panini n’effectue pas un plus gros travail dans cette direction. Car si on sent qu’il y a une envie de certains membres de l’équipe éditoriale, la concrétisation ne se fait pas.

 

On retrouve ici les problématiques liées à la structure de groupe international prenant mal en compte les spécificités de chaque pays. La collection spéciale 20 ans est à ce titre un bon exemple d’une bonne idée qui ne parvient pas à son but. Proposer une collection anthologique d’ouvrages avec des couvertures inédites est une excellente idée qui permet de satisfaire les envies des collectionneurs face à un bel objet et de séduire un lectorat d’amateurs de BD franco-belges. Mais l’étude du sommaire calme vite les ardeurs quand on y découvre certaines œuvres. En dehors de tout jugement qualitatif, on se retrouve avec des séries récentes surfant sur des succès télévisuels ou cinématographiques, des grands oubliés (Thor ? Iron Man ? Captain America ?) et des séries pas forcément accessibles pour un nouveau lecteur (Spider-Man – One More Day) ou s’ouvrant sur des suites qui ne seront pas disponibles dans le même format.

 

Faisant aujourd’hui partie des anciens de l’édition de comics en France, Panini a vu le marché radicalement changé (ne serait-ce que si on considère la place qu’a prit le secteur de la librairie). Son adaptation à ces évolutions s’est faite avec plus ou moins de bonheur et de rapidité et si celles-ci allèrent dans le bon sens, il reste encore du travail pour redorer une image largement écornée. On pense à certains relaunch à foison,et sans réelle justification artistique pour certains, des revues (la prochaine en juin), les traductions hasardeuses et maladroites qu’un travail de relecture plus rigoureux permettrait d’éviter ou bien encore un encadrement éditorial plus soigné au sein des revues et des ouvrages. Malgré ces défauts, il n’en reste pas moins que Panini peut être fier du chemin accompli et d’avoir su faire perdurer une aventure française qui durent depuis presque cinquante ans.

 

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¹ Au sein de l’univers Marvel, les Avengers, Hulk ou bien encore les Quatre Fantastiques disparurent suite au combat contre l’entité Onslaught. Ils renaquirent en fait dans un nouvel univers. Éditorialement, il s’agissait pour Marvel de faire sous-traiter ces séries par d’autres studios jouissant alors d’une grande popularité. Jim Lee et Whilce Portacio relancèrent alors Les Quatres Fantastiques et Iron Man tandis que Rob Liefeld se chargea de Captain America et des Avengers avec un triste résultat à la clé.

² Soyons honnête, il fallait également compléter avec les revues provisoires Infinity puis Secret Wars durant quelques mois.

³ Il faut relever que cette supériorité du kiosque sur la librairie est également présente chez Urban Comics, le délai de disponibilité avec la librairie en moins.

⁴ Saluons toutefois l’annonce d’une édition de Machine-Man pour la fin de l’année et d’une anthologie pour l’été. Il n’en reste pas moins que c’est bien peu pour un dessinateur sans qui l’univers Marvel n’existerait pas.

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