Bilan : P’tit Quinquin – Tu m’fras du chagrin

Bilan : P’tit Quinquin – Tu m’fras du chagrin

Note de l'auteur

P'tit QuinquinP’tit Quinquin s’est achevé hier soir sur Arte. Et son final risque de faire couler beaucoup d’encre.

Dans les deux premiers épisodes, Bruno Dumont s’essayait à la comédie. Une proposition bien personnelle comme elle agissait telle une intrusion dans un univers normalement rigide. Le rire devenait objet de fascination par sa dimension excentrique et son côté bricolé, presque amateur (comme ses acteurs). Le résultat assumait son caractère singulier, l’horreur de son enquête mais était parcouru par un courant électrique qui provoquait ces soubresauts souvent drôles, parfois hilarant. La comédie chez Dumont s’exprime par l’anomalie, par une bizarrerie quasi aliénée.

Les deux derniers épisodes offrent une rupture de ton. Ici, la blague tourne mal. Le rire devient méchant, violent, désenchanté. Dans L’diable in Perchonne (épisode 03), P’tit Quinquin découvre un passage secret reliant deux blockhaus entre eux. Ce chemin de traverse, c’est la maîtrise de Dumont à relier des genres opposés pour ne former plus qu’un. L’auteur creuse des galeries souterraines comme un magicien prépare ses trucs pour un résultat similaire : l’invisibilité. Et comme le magicien, il sait détourner notre attention pour faire évoluer son récit.

C’est là que l’on remarque que le découpage par épisode possède une réelle importance et que, malgré les dires de son auteur, il s’agit d’une vraie série. Le premier épisode s’achevait sur la découverte d’un nouveau corps ; le suivant, plus éthéré voyait partir P’tit Quinquin et sa dulcinée vers le défilé. D’un point de vue découpage de la narration, le troisième enchaîne exactement là où le précédent se concluait, l’aspect séquentiel est nul. Mais l’atmosphère s’épaissit, la comédie plus lourde peine à exister (sauf le temps d’un déjeuner avec le préfet) et c’est tout le monde de P’tit Quinquin (le personnage comme la série) qui se retourne et confine au rapport anxiogène que la série a, quelque part, toujours su entretenir.

Dans L’bête Humaine (épisode 01), Van der Weyden ne jure que par les analyses pour arrêter le meurtrier (“les analyses, c’estp'titquinquineve la règle”). Dans …Allah Akbar ! (épisode 04), ses convictions semblent bouleverser. Probablement parce que le commandant un peu gauche a compris que ce n’était pas un meurtrier qu’il cherchait (“l’exterminateur”) mais un concept : Le Mal. Niché au coeur d’un petit village côtier, il est diffus, partout et après son passage, tout est désillusion. Il touche la famille LeBleu, semble s’incarner dans Dany (l’oncle handicapé du P’tit Quinquin), dans des enfants, comme s’il avait besoins d’innocence pour perpétuer son oeuvre. Le résultat conduit vers une horreur indicible, du suicide du jeune Mohammed au désespoir de Aurélie Terrier et sa mort tragique. Plus le Mal est reconnaissable plus l’espoir semble s’en aller. Et la détresse de s’afficher jusque dans le couple Eve/P’tit Quinquin.

La fin, osée, semble ouvrir un champ contradictoire sur la résolution de l’histoire. D’un côté, Van der Weyden semble croire que la terre elle-même est contaminée et le combat vain (la mal est trop ancré dans le paysage), de l’autre, son “C’est une blague” lancé à Carpentier comme ils courent tel des enfants peut basculer l’ensemble dans la comédie. Ces points de suspensions, l’absence de résolution personnifiée (le coupable n’est pas une personne) peut plonger le spectateur dans un état proche de la perplexité, jusqu’à un sentiment inconfortable de doute ou d’incompréhension. C’est toute la magie de Dumont que de placer les germes de sa propre destruction.

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