
Déjà vu (Bilan de la saison 2 de Penny Dreadful)
Après la première saison de Penny Dreadful, avec une image de la sexualité féminine relativement discutable, et le premier épisode de la saison 2 qui, toujours avec une photo impeccable, pouvait s’aventurer sur un terrain glissant, nous voici à la fin de ces 10 épisodes….
Penny Dreadful est une série qui a tout pour plaire. Une photo magnifique, des moyens mis dans les tenues et les décors, des personnages connus et des histoires qui réinventent les vampires, le bien, le mal. Les acteurs, mêmes secondaires, sont tous de premiers rangs, dont le leader, Sir Malcolm, interprété par Timothy Dalton et la grande Billie Piper, dans le très beau rôle de Brona.
Côté scénario, c’est là pourtant que le bât blesse. Nous avons un clan de sorcières très méchantes, qui volent des cœurs de bébés pour en faire des poupées vaudous, des backstorys tragiques, des histoires d’amour contrariées… Mais avec un lot de stéréotypes et de clichés discutables (a minima).
Les défauts de cette série se lisent à travers l’évolution des personnages au fur et à mesure de la saison : clichés, déjà-vu, stéréotypes… Personnages féminins, personnages incarnant les minorités, ils sont chacun représentatifs de ces stigmates. Si chacun pris séparément peut sembler mineur, la somme du tout donne un rendu dérangeant.
Saison 2 / Spoiler alert
Les femmes
Cette saison est celle du retour en force du pouvoir féminin. Chacune semble devenir maîtresse de son destin. Oui, mais, cela se fait au prix tout d’abord de la mort de la femme de Sir Malcolm, qui devient alors le révélateur du changement de caractère de ce dernier.
Les sorcières
Ensuite, nous avons les sorcières, puissantes et belles, mais qui ont vendu leurs âmes pour un surplus de jeunesse. Vanité quand tu nous tiens. Inspirées sans doute par l’histoire de la comtesse de Bathory, dont l’histoire veut qu’elle ait tué de jeunes femmes pour se baigner dans leur sang et garder ainsi sa beauté. Pourquoi pas, ce sont des méchantes et c’est par la ruse de sa fille Hécate (Sarah Greene), plus jeune donc, que Mrs Poole (Helen McRory), à la tête du sabbat, trouvera la mort.
Angélique
L’un des personnages les plus intéressants, et le plus humain finalement, est celui d’Angélique (Jonny Beauchamp), femme née dans un corps d’homme. Se prostituant pour avoir le droit d’exister en tant que femme, elle trouve amour et acceptation auprès de Dorian Gray. Mauvaise pioche, ce dernier passant d’elle à Brona, mû par sa curiosité d’immortel. Elle mourra de ses mains après avoir découvert son fameux portrait. Dommage, elle apportait un peu de profondeur à celui de Dorian, un personnage qui en manque encore cruellement. Disons, qu’il était moins caricatural que ce nihiliste absolu, snob et cliché. Un Dorian Gray un peu différent de ses incarnations précédentes.
Brona / Lily Frankenstein
Et puis, nous avons Brona / Lily Frankenstein. Un des personnages les plus forts de cette saison, les plus féministes aussi, seul à dénoncer le système misogyne de l’Angleterre victorienne. Oui, mais, décrite comme un monstre qui décide de devenir maître du monde, elle perd en crédibilité. Si toutes ses revendications sont fondées, finalement son but la dessert. Un but non pas lié à sa volonté de revanche de sa condition féminine, mais une revanche sur sa condition de mortelle. Et pourtant, qu’est-ce qu’elle a souffert. En creux, nous avons le portrait de Frankenstein, qui est sans doute le plus dérangeant et répulsif de la série. Reprenons son histoire : il crée des morts-vivants. Abandonne son premier né. Son premier né revient, lui demande (impose) une compagne. Il accepte. Il tue Brona, la petite amie mourante de son ami, Ethan. Pelote Brona qui est morte (et donc pas en état de consentir à ses caresses. Oui, c’est un abus sexuel). Fait renaître Brona, lui donne une nouvelle identité, l’éduque, la flique, lui interdit de sortir, tombe amoureux de sa créature (qui est devenue sa fille en sorte), couche avec elle. Or à la fin de la série, il la trouve dans les bras de Dorian Gray, veut lui imposer de rentrer avec lui et finit par lui tirer en plein cœur. Ok, il finit drogué, dans un état lamentable. Le souci, c’est que s’il se remet en cause, c’est dans l’acte d’avoir donné naissance à des monstres, comme on peut le voir lors de ses hallucinations chez les sorcières, pas dans son comportement déplorable et abusif avec Brona/Lily. La preuve, il revient la chercher chez Dorian. Et cela, tout en gardant le visage du type sympa devant Vanessa.
Vanessa Ives
Vanessa Ives (Eva Green) qui reste égale à elle-même, quoique, sort grandie de cette saison, plus forte que le diable, même si elle reste seule. Seul personnage à avoir pris le dessus sur ses troubles, elle n’en est pas pour autant heureuse. Pourtant, elle est plus forte que le diable et ne se complait pas dans un schéma de mère au foyer, repoussant ce rêve qui n’est plus le sien. Elle prend une figure presque de madone, la seule à voir à travers l’incroyable laideur de John Clare, la beauté, et la poésie de la créature de Frankenstein.
Concernant la sexualité, moins présente dans cette saison, nous sommes tout de même face à des femmes (Brona, Mrs. Poole, Hecate et même la jeune aveugle Lavinia) qui font usage de leurs charmes pour causer la perte des hommes. L’une veut garder sa couverture de gentille cousine (avant de se moquer cruellement de son amant et d’en tuer un), l’autre veut piéger qui Sir Malcolm, qui Ethan Chandler, la dernière enferme John Clare. Oui, oui, même la pauvre femme aveugle se sert des stéréotypes autour de sa condition pour mettre aux fers sa proie. Seule scène de sexe sans aucune arrière-pensée, celle d’Angélique et Dorian. De son côté, Vanessa Ives ne se laisse toujours pas aller : ce serait une erreur. Passons.
On pourrait ajouter que les personnages masculins ne sont guère mieux, quoique, l’un est ensorcelé, l’autre est maudit, Frankenstein, nous en avons parlé… Mais Brona tape dans le mille. L’Angleterre victorienne est un monde masculin.
Les minorités
Sembene
Sembene (Danny Sapani) était réellement cliché dans la première saison, parlant à peine, assumant son rôle de majordome. Dans la seconde saison, le voilà plus disert, notamment avec Ethan. C’est d’ailleurs le premier à connaître le secret du loup-garou. Et il a l’air de faire un gâteau à la crème au beurre qui tue. Oui, mais en bon noir d’Afrique, c’est aussi celui qui connaît le mieux « la magie des bêtes ». Après tout, pourquoi pas, il vient d’Afrique, c’est donc logique, il doit être proche de la nature et des animaux sauvages. Et de la magie. Mais c’est une facilité du récit. Le souci, c’est qu’avec sa mort, le seul personnage de couleur de la série s’en va. (Mort très clichée, aussi : l’un des personnages les plus discrets et secondaires dévoile sa vie, partage un moment d’amitié fraternel avec un personnage principal…Forcément, il ne va pas vivre bien plus longtemps). Ah, et il utilise des machettes pour se battre. C’est pas comme s’il n’avait jamais appris à utiliser d’armes à feux.
Mr. Lyle
Vrai problème dans le traitement des minorités, voici le personnage de Mr. Lyle (Simon Russell Beale). Présenté comme le traître, infiltré parmi la bande de Sir Malcolm. C’est lui qui présente Mrs. Poole à Vanessa et Malcolm, alors qu’il connaît sa nature de sorcière et se place sous sa coupe, (même si c’est sous forme de chantage). Elle est son maître. Il essaye parfois de prévenir Vanessa, aide à lire le Verbis Diablo… Il écoute et entend le récit d’Ethan sur la trahison et les personnes infiltrées qui causent la perte d’une communauté. Tout cela alors que le spectateur sait bien que Lyle joue double jeu. En plus, lors d’une séance de prière, nous apprenons que ce dernier… est juif. Il y a donc un seul traître et un seul juif présent dans toute la série, sur deux saisons. Et il s’agit de la même personne. Drôle de coïncidence qui rappelle surtout des clichés nauséabonds malvenus. Alors, certes, il admettra sa trahison, camouflant toujours sa religion, l’époque ne le permettant pas. En plus d’avoir caché sa connaissance des sorcières, il devra donc cacher ce en quoi il croit. Heureusement, il aura sans doute la meilleure ligne de texte de toute la série (voir légende sous la photo).
Penny Dreadful pourrait être une excellente série. Idée fantasmagorique du Londres victorien, personnages forts, beaucoup de points positifs. Notamment, et parmi eux, la complexité et la beauté d’un personnage comme John Clare (Rory Kinnear), capable de tuer son « frère » (Proteus) dans la saison 1 à mains nues, de menacer son créateur, mais pas de s’imposer à une femme, un amateur de poésie et philosophe athée. Vanessa Ives et son amie sorcière, une faiseuse d’ange, proche de l’image de la sorcière moyenâgeuse, connaissant les simples et la nature. Les mythes des vampires, des monstres et des loups-garous qui s’entremêlent. La scène de la valse sanglante à la fin de la saison. Mais avec un peu de distance, l’image donnée est distordue, floue, et les clichés utilisés, beaucoup trop insidieux. Des histoires, finalement, par trop déjà vues.
(Je ne parlerai pas non plus des effets spéciaux ratés du dernier épisode. Entre les scorpions et l’égorgement de Mrs. Poole, c’est un peu, beaucoup, dommage !).
Pour finir, vous pourrez penser en regardant cette série aux influences de Carrie ou même du dessin animé Anastasia.
Bonjour !
Je vois complètement ce que tu veux dire, même si cela ne m’a pas dérangé. J’aime par exemple que la série explore le bien et le mal, marqués par une morale très catho que s’imposent les personnages, qui finissent par plonger dans le malheur et la culpabilité (fond de commerce d’une bonne partie la religion catholique).
A ce sujet j’ai été un poil déçu de l’orientation « méchant immortel les humains sont des insectes » de Dorian Gray, qui était justement un personnage qui semblait en marge de cette morale, et peut être le seul à profiter un peu. Parce que merde, qu’est ce que la vie a l’air moisie dans cette Londre Victorienne, aucun personnage n’est à envier !
Pareil pour Sembene qui prend un peu d’épaisseur pour mieux mourir un peu plus loin.
Le Personnage de Mr Lyle m’a par contre assez plu, dans le sens ou il m’a semblé évident (j’ai peut être vu ce que j’avais bien envie de voir) qu’il était pris au piège par son secret et jouait malgré tout en faveur du personnage de Vanessa Ives. Vu comme ça il m’est apparu plutôt courageux.
Bon certes il y a des clichés, mais les personnages en eux même sont déjà ultra caractérisés. Je trouve justement que ces mythes qu’on connait tous par cœur sont plutôt bien digérés et remis dans le contexte et les problématiques de l’époque où ont été écrits les bouquins.
Le fait est qu’aucun personnage ne semble avoir la grâce des auteurs, et que tous souffrent de ce monde manichéen.
Moi j’ai rien contre les clichés et les représentations (il serait prétentieux ou imbécile de prétendre y échapper) à condition que l’on joue avec, qu’on les confronte et qu’on les malaxe pour les faire évoluer.
Là dessus, Penny Dreadful se contente pour l’instant d’une exposition et cette saison deux traîne peu (elle est plus longue que la première). J’espère voir tout ça s’embraser un peu par la suite.
Pour résumer, Penny Dreadful pose sur la table plein de composants chimiques hyper forts, on veut maintenant les mélanger dans le même récipient et voir ce qu’il ce passe (boum)!
Bonjour et merci pour ta réponse !
J’imagine que je suis moins patiente que toi et j’aurai aimé voir cette série s’embraser dès à présent. Pour le moment, ces clichés et représentation me hérissent comme tu as pu le voir. Et je partage ton point de vue sur Dorian Gray (d’où ma déception devant la mort d’Angélique): il est bien plus passionnant en personnage de nuances.
Bonjour,
Je viens de lire vos deux analyses de cette série que j’aime énormément et me trouve en désaccord sur beaucoup des éléments que vous critiquez.
Tout d’abord les personnages ne sont pas réellement originaux puisqu’ils sont tirés de romans type « gothique » du XIXe-XXe siècle justement. Il est normal qu’ils ne soient pas moderne dans leurs personnalités et attitudes.
De plus la beauté de cette série et l’impression de justesse dans ce qu’ils retranscrivent de l’époque. Ils choquent par la banalité de cette vision de la femme ou de l’homme noir. C’est ça qui la rend juste plutôt que de rajouter un discours progressiste dans la bouche d’un personnage qui à l’époque n’aurait jamais prononcé de telles choses. Pour une fois ce n’est pas le réalisateur qui impose sa vision mais qui au contraire fait réfléchir le spectateur.
La saison 3, qui n’est pas finie me donne cette même impression avec les événements suivants Vanessa, l’histoire d’Ethan Chandler m’intéresse moins pour l’instant.
Quand à Lily, mon personnage préféré, c’est justement parce qu’elle n’est pas de ce monde que c’est un monstre et encore plus parce qu’elles veut une suprématie des femmes au sein d’une époque qui ne les considère même pas ( le christmas special de Sherlock avait tenté d’aborder cette même idée). Lily a vécu femme, prostituée, utilisée, ramenée à la vie sans que jamais elle n’ait son mot à dire. Elle est désormais toute puissante et avec Dorian ( qui voit en elle une nouvelle vision d’un monde qui l’intrigue enfin après tant d’ennui) peut imposer son univers à elle. Elle est Médée, elle est femme libre et non plus enchaînée par les dictas de son époque.
Penny Dreadful c’est plus que la lutte du bien et du mal car Sir Malcolm, Vanessa et Ethan ne sont pas « bons ». C’est une relecture de la Genèse et de l’Apocalypse en même temps. C’est Vanessa détentrice du trône qui refuse d’avoir un époux vampire ou démon à ses côtés. C’est au contraire une vision très moderne d’un récit mille fois adaptés et revisités.
Pour la saison 3 j’attends de voir ce qui va être fait d’Ethan Chandler mais le personnage ami de Frankenstein m’intéresse énormément dans une nouvelle relecture de la conscience humaine.
Pour conclure je trouve votre analyse trop simpliste sur une série bien plus complexe qu’on ne peut résumer à quelques stéréotypes ( qui peuvent être réels je ne le nie pas) sans chercher à comprendre la raison de leur présence qui n’est pas forcément si volontairement mauvaise.
Cela reste mon humble avis,
Cordialement.
Aalvina
Bonjour,
tout d’abord, merci pour ton long message. On a tout a fait le droit de ne pas être d’accord. Je ne suis d’ailleurs plus cette série avec l’accord de mon chef, salut Guillaume, merci encore! Donc je ne parlerai pas de la saison 3, et si c’est là que se produisent de bienvenues modifications et évolutions, c’est en fait un peu tard après 18 épisodes.
Tout d’abord, le fait d’être moderne dans une série historique, signifie-t-il être respectueux de la vérité ou de l’idée de ce que l’on se fait de la modernité de l’époque ? (ex : l’idée curieuse qu’il n’existait pas de noir à l’époque victorienne dans les rues de Londres).
Concernant la banalité de la femme ou de l’homme noir, le problème est aussi que la question de la réflexion ne se pose jamais. On ne se demande pas si c’est mal que Sembene parle si peu, avant de mourir, ou si c’est obscène que le seul personnage juif est aussi celui qui est faux. Non, on le pose là et le récit continue. Je ne remets pas en cause le droit pour le scénariste d’user de stéréotypes, même avec de vieux relents dans le fond. Mais de celui de le faire alors qu’il n’existe aucune diversité dans le casting. Un seul noir. Un seul juif.
J’espère que Frankenstein mourra dans d’atroces souffrance, jugé par ceux qu’il pensait ses amis et sans avoir le droit à un dernier geste flamboyant.
(je ne sais pas vraiment ce que vous avez eu envie de dire concernant Médée, désolée. Infanticide, régicide, fratricide, c’est une image de la sorcière, mais elle a souffert énormément de ses amours passionnés. En cela, je la trouve plus proche d’ailleurs de Vanessa.)
J’ai juste hâte de voir Reeve Carney dans le nouveau Rocky Horror Picture Show en fait maintenant.