Black Swan : entrez dans la lumière
Ouch !!! La lecture d’excellentes critiques du chef-d’œuvre de Darren Aronofsky dans la blogosphere (notamment sur les sites Satoorn et Filmosphere), me font douter de l’utilité de ma propre contribution au sujet. D’autant que je vais abonder exactement dans leur sens. Alors, une n-ième apologie de Black Swan, pourquoi faire ? Me faire plaisir ? Peut-être bien alors trêve de blabla oiseux, assumons notre égocentrisme et place aux superlatifs : Black Swan m’a emmené au 7e ciel.
Flash-back à deux balles. Un froid polaire balaie les rues de Toronto en ce grisâtre dimanche après midi de décembre 2010 lorsque je décide, sur un coup de sang hypothermé, de m’engouffrer dans une salle projetant Black Swan. Deux motivations : 1) me foutre au chaud fissa pour éviter l’amputation des lobes 2) découvrir ce film dont le trailer, aperçu la veille à la téloche dans ma chambre d’hôtel, m’a vraiment interpellé. Un thriller malsain dans les coulisses d’un ballet ? Par Mjolnir, que voilà un singulier concept ! Etrangement, je n’avais accordé jusqu’ici aucune attention particulière à Black Swan mais cette bande-annonce, agrémentée de quelques infos édifiantes sur la préparation de Natalie Portman, a piqué ma curiosité. Coup de chance, la séance démarre dans vingt minutes. Ticket en main, je m’enfonce dans la semi-pénombre du corridor menant au nirvana (on se calme les pervers…). Le cul bien calé dans mon fauteuil, papilles cajolées par une glace au yaourt, tympans à peine troublés par les gloussements de mes deux voisines de fauteuil (une quadra et sa maman), je suis loin d’imaginer, dans le confort ouaté de cette grande salle THX, l’intensité du choc à venir.
Après les bande-annonces (étonnantes, chacune à sa façon) de 127 heures et Rabbit Hole, quelques pubs et du rab de gloussements, les lumières s’éteignent enfin de nouveau, lentement, pour de bon. Cette fameuse poignée de secondes only in theatres et dont les meilleurs home-cinema du monde ne pourront jamais égaler la magie. Black Swan s’ouvre alors, déjà majestueux : Natalie Portman, en tenue de ballerine, virevolte seule sur une scène éclairée d’un simple projecteur, au son du mythique thème du Lac des cygnes de Tchaikovski. Une atmosphère onirique, dont la beauté visuelle et la virtuosité annoncent d’entrée que la barre sera certainement placée très haut par l’expérience de cinéma qui s’annonce. Le scénario plante aussi, intuitivement, ses enjeux : Black Swan va coller aux chaussons de Nina Sayers, jeune danseuse du New York City Ballet à la psychologie chancelante, vivant seule avec sa mère Erica (Barbara Hershey) et obsédée par son art jusque dans ses rêves. Un peu comme Michael Mann scrutait l’anxiété de Russel Crowe en fixant sa caméra à hauteur d’épaule dans Révélations, Aronofsky ne lâche pas d’un chausson Nina dans ses déplacements entre sa salle d’entraînement et son domicile. Le Graal pour cette artiste surdouée, c’est d’emporter le double rôle principal d’une réinterprétation du Lac des Cygnes, plus baroque et crue, que prépare le directeur de sa compagnie, Thomas Leroy (Vincent Cassel, au top lui aussi). Incarnation parfaite de l’innocence du cygne blanc, Nina doit cependant convaincre son mentor qu’elle peut aussi jouer la sensualité trouble du cygne noir. Alors qu’elle engage toutes ses forces dans cette bataille, la jeune femme ne se doute pas que cette dévorante recherche d’absolu pulvérisera les fragiles digues qui barraient la route à ses propres démons. Cette peur, ces craintes jusqu’à la nausée, Aronofsky nous les transmet quasi-physiquement par le génie d’une mise en scène viscérale et sans cesse sur le qui vive, brassée par un montage suintant l’angoisse et une bande son charriant d’étranges et peu rassurants échos surnaturels. Dans ses pics d’adrénaline, Black Swan compte les scènes parmi les plus effrayantes jamais vues au cinéma, de celles qui vous font vous ratatiner sur votre siège, remontée de bile incluse. Claustrophobiques, accrochez-vous : l’histoire se déroule presque entièrement dans des espaces clos, propices à l’explosion des névroses de son héroïne et à la violence psychologique de ses rapports avec Thomas. Dans la peau de Nina Sayers, Portman prend à cet égard tous les risques, autant dans la composition d’une ballerine crédible que dans les limites émotionnelles franchies par confiance en l’art d’Aronofsky. L’Oscar ne peut lui échapper.
Le glissement progressif de Nina dans le chaos mental, où s’estompent les frontières entre fantasme et réel, renvoie par ailleurs le cinéphile à un véritable kaléidoscope de références. Sa psyché borderline évoque celles de la Mima du Perfect Blue de Satoshi Kon, de la Carole de Répulsion et du Trelkovsky du Locataire (le Polanski de la grande époque hante tout Black Swan). La tyrannie de Thomas et le prix à payer pour la perfection artistique trouvent leur écho dans Les Chaussons rouges de Powell. Traînent aussi dans les parages Cronenberg (pour quelques flippantes visions mutantes. Oui oui, mutantes !) et Bob Fosse (la salle de spectacle de Black Swan est la même que celle de Que le spectacle commence), le Verhoeven de Showgirls et le Adrian Lyne de L’Echelle de Jacob (redécouvrez cet incroyable film précurseur). Les mauvaises langues crieront au multi-plagiat, je préfère y voir un brillant digest nourrissant un chef-d’oeuvre finalement pareil à nul autre. Merveilleusement mis en musique par Clint Mansell et sa réorchestration des mélodies inoubliables du Lac des cygne, Black Swan va vous terrasser. Aussi bien par son sens aigu du détail (les orteils suppliciés de Nina, la minutie des gestes techniques…) que la flamboyance de ses interprètes (y compris les seconds rôles sans fausse note : Mila Kunis, Barbara Hershey et Winona Ryder). Black Swan vous emportera par son côté obscur et sa cruauté comme par la beauté hypnotique de ses chorégraphies. Il vous passionnera par la richesse de sa thématique et de sa mise en abîme autant que par une clarté limpide dont seuls sont capables les grands films populaires exigeants. Black Swan, enfin, vous bouleversera par une Coda en apothéose, tourbillon d’émotions qui vous fera, littéralement, entrer dans la lumière, larmes aux yeux pour les plus sensibles. Rien n’est plus euphorisant que de se sentir autant sonné et les jambes coupées en sortant d’une projection. Puis de peu à peu reprendre sa marche, heureux, la tête parmi les anges, emportant le film en vous. Pour très longtemps.
Black Swan, de Darren Aronofsky (1h50). Sortie nationale le 9 février.
Grandiose !!! Film vraiment magnifique, je le reverrai peu importe le prix.
Ma critique ici plus en détail : https://bit.ly/fRyWWJ
Allez le voir !!!!
Un chef d’œuvre
Ce film a été une vraie claque, vu en avant première j’ai qu’une hâte, qu’il sorte pour de bon pour y retourner. Rien que la B.A m’a refilé des frissons.
Merci pour ce bel article! Je n’ai pas encore vu BLack Swan car je préfère attendre sa sortie ciné, mais rien qu’à lire ton article, je suis passée par le réconfort d’une salle chauffée et la légèreté du moment à une angoisse sourde et un malaise persistant. J’ai pourtant un bémol à émettre, la liste des inspirations et hommages du film fait un peu trop catalogue et m’a quelque peu sortie de l’atmosphère que tu avais su créée.
J’aime ton écriture !
Bravo monsieur Plissken!
On ne dira jamais assez que Black Swan est un chef-d’œuvre absolu, sans aucune fausse note. N’hésitez pas une seule seconde : s’il est à l’affiche de votre cinéma préféré, précipitez-vous…
Très belle critique. Tu me fais encore plus baver, si c’est possible.
Tu as réussi en un article à me faire découvrir un film, me donner envie d’y aller, et me persuader qu’il sera bien. Très bon article.
Je ne vois rien, je n’entend rien, je ne veux rien savoir, je la lirais quand j’aurais vu le film. 😉
mouarf je fais pareil 🙂
A trop entendre d’éloges mon esprit de contradiction risque de me jouer des tours 😉
Comme Sheppard… Je ne veux rien savoir, mais je t’ai lu (je suis plus faible que lui ^^) et bravo pour cet article qui me donne encore plus envie de le voir…
Force est de constater, sieur Plissken, que ton style aussi passionnant que passionné, invite irrémédiablement ton lecteur à se ruer dans les salles obscures dès que sonnera le 9 février.
Toutes les personnes que je connais qui l’ont vu en sont ressorties bouleversées et habitées par ce film. Et je me dis que de telles émotions partagées par autant de monde ne peuvent pas être totalement fortuites. J’attends donc avec impatience de vivre cette expérience (tout en évitant les remontées de bile si possible 😉 )
Putain’g d’article ! Un bel hommage au film que tu as magnifiquement dépeint.
Des semaines après la projection, j’ai encore fréquemment des flashbacks liés au film, le moins qu’on puisse dire c’est qu’il vous habite, oui.
Intéressante critique ! Très bien abordée !
Le fil m’a moi même foutu une grosse claque ! Assez choquant sur certains angles, une mise en scène impeccable et un jeu d’acteur sublime avec du grand Natalie Portman.
J’ai vraiment hâte de le revoir ! Encore une claque de la part de Mr. Aronofsky !
Maintenant je me dis que The Wolverine avec lui aux commandes peut être vraiment très très intéressant !
After Requiem for a Dream, Black Swan should be in your movie hall of fame
Ton site est magnifique, ta critique est magnifique, Black Swan est surement est des meilleurs films que je n’ai jamais vu !
Merci de nous avoir tellement donné envie d’aller le voir ! 😉
Merci Tristan, c’est très sympa de ta part et suis ravi que Black Swan t’ait autant marqué !
Je suis enfin allée voir Black Swan et malgré une piètre qualité de copie (vive les petits cinémas…) et une atmosphère quelque peu perturbante dans la salle (pas mal de rires durant des moments de tension, allez savoir pourquoi), j’ai moi aussi succombé au tourbillon du cygne.
J’y allais avec un petite appréhension : après avoir entendu autant d’éloges et de commentaires transportés, le risque était grand d’en attendre trop et d’être déçue. Mais ce ne fut pas le cas.
Les thèmes abordés m’intéressent et sont magnifiquement portés à l’écran : la quête de l’absolue perfection, l’obssession du contrôle, l’incapacité d’accepter ses émotions et de les exprimer dans la vie comme à travers son art, les névroses…
Natalie Portman m’a totalement bluffée, Mila Kunis est elle aussi parfaite et Vincent Cassel, toujours aussi charismatique et animal.
J’ai beaucoup aimé la mise en scène qui s’attarde sur les corps et nous emmène dans un monde à la fois cérébral et très charnel. Des corps, tout autant maltraités que magnifiés.
Bien sûr, la tension va crescendo tout au long du film, mais ce n’est pas la fin qui m’a le plus touchée. Durant la projection, je ne me suis pas rendu compte à quel point j’avais été transportée dans l’histoire. Mais lorsque les lumières se sont rallumées, j’étais incapable de parler, de revenir dans le réel, incapable de profiter d’une conversation entre amis autour d’un verre.
Au lendemain de cette projection, des images et des sensations sont toujours bien présentes.
Seul tout petit bémol : un plan concernant l’évolution de Nina que je trouve superflu et trop appuyé.
Une chose est sûre : on ne m’avait pas menti.
Moi, mentir ???
…………………………………………………………………………(ce qui précède n’est pas une tentative d’imitation de Colin Firth dans l’excellent « Discours d’un roi » mais une retranscription des 30 mn de dialogue d’InTheBlix qui ont suivi la sortie de la projo de BlackSwan)
Je suis finalement allé voir ce film. Bien que j’en sois sorti subjugué et totalement convaincu que ce soit un film exceptionnel, je n’arrive toujours pas à me dire que j’irai le revoir tellement j’ai été mal à l’aise d’un bout à l’autre du film (hormis peut être les 5 dernières minutes).
Malgré cette réticence purement personnelle, je trouve que ce film est une réelle perle dans un paysage cinématographique de plus en plus déprimant tant les adaptations et les redites de film sont nombreuses actuellement.
Que dire d’autre… Ah si les effets spéciaux ! Une étonnante utilisation des images de synthèses car tout le film m’a laissé entrevoir des traitements visuels (notamment sur la peau de Nina) mais jamais de manière assez flagrante pour que je puisse être sur de les avoir réellement vu. Et voila comment j’ai été plongé, moi spectateur, dans une psychose (certes d’un tout autre niveau que celle de Nina) qui m’aura possédé tout le film. « Ai-je révé ? Je suis le seul à avoir vu ça ? » Et je suis tombé dans un process de questionnement sans fin et d’observation des réactions des gens dans la salle pour savoir si j’étais ou pas le seul à réagir à ces images. Bon apparemment avec discussion à la fin du film j’étais juste normal. Mais finalement, j’ai pu grâce à cela partager un semblant d’expérience avec le personnage principal, et mon implication dans le film n’en à été que renforcé.
Concernant l’essence du film en revanche, je m’incline devant la review de J.Plissken. Je n’ai rien d’autre à rajouter et je retrouve beaucoup de mes impressions dans ce que tu dis du film.
Désolé pour le pavé surtout que je n’ai pas l’écriture de J.P donc c’est du coup beaucoup plus indigeste :/
Je ne rajouterais rien à tout ce que vous avez dit sur ce pur chef-d’oeuvre qu’est Black Swan (à mon gout), si ce n’est qu’après une deuxième vision le film ne perd rien de sa qualité.
C’est grace à tes tweets que depuis des semaines je voulais voir ce film.
Et quand tu as écrit cet article, je l’ai gardé bien au chaud car je ne voulais rien savoir avant de l’avoir vu. C’est enfin chose fait…et je n’ai aucun mot pour dire la beauté (mais est-ce le mot juste ? ) de ce sombre ballet.
Natalie Portman est absollument magnifique, juste, émouvante, troublante…en bref WOUAH !
Je crois que c’est la première fois qu’un film me fait un tel effet : je « sentais » tout…comme un poing dans l’estomac.
Je ne trouve pas un seul défaut au film et a ses acteurs.
Donc merci…merci car tu es le premier a m’avoir donné envie de voir ce chef-d’oeuvre.
Merci les enfants, et suis content de voir Jessica qu’on a ressenti les mêmes choses sur ce putain de film. J’espère qu’il cartonne autant en Italie qu’en France !
J’ai l’impression que les italiens vont en général moins au cinéma que les français mais peut-être que je me trompe. Il faudrait que je cherche les chiffres.
Mais je peux te dire qu’ici, pas mal de personnes de mon entourage sont allées le voir et on toutes ressenti la même chose que nous, de façon plus ou moins forte. Mais tout le monde a adoré.
Après quelques petites recherches, j’ai pu voir qu’effectivement, les italiens vont moins au cinéma que les français.
Pour se faire une idée, en 2010 il y a eu en Italie 109.9 millions d’entrées vendues alors qu’en France c’est 206.5 millions !
Pour Black Swan, c’est € 3.996.401 pour 3 semaines de présence avec 269 copies.
Je suis allé le voir avec ma soeur au ciné. Superbe j’adore les gens fous (je le suis moi-même) mais choquant pour les âmes sensibles ^^
ha oui là on est bien d’accord. Bon ben bienvenue chez les fous alors ! 🙂