
Blu-ray : Le Solitaire, de Michael Mann (Wild Side)
Avec la sortie présumée en HD de L’Année du Dragon chez Carlotta (une avant-première mondiale !), l’arrivée récente du Solitaire chez Wild Side dans une édition française techniquement royale constitue l’autre grand temps fort de l’année en matière de polar culte rajeuni en Blu-ray. Avant une critique-fleuve par David Mikanowski de l’injustement boudé Hacker (en salles après-demain), que nous publierons demain, voici une autopsie de ce bien bel écrin pour un film imparfait mais visuellement fascinant et matriciel à plus d’un titre.
Après onze années passées en prison, Frank, un talentueux voleur de bijoux, décide de se lancer dans un dernier coup avant de se ranger pour de bon avec son amie Jessie et fonder une famille. Mais son employeur ne voit pas son avenir du même œil et Frank se retrouve pris dans un engrenage infernal. En ressortira-t-il indemne ?
LE FILM
Le Solitaire (Thief en V.O) est toujours passé sous les radars du grand public en raison de son apparente sècheresse émotionnelle et d’un rythme contemplatif typique du cinéma de Michael Mann, qui signait là son premier long-métrage cinéma après le téléfilm The Jericho Mile. Il n’en reste pas moins l’un des polars les plus importants des années 80 et, à ce jour, le film le plus esthétiquement envoûtant de son auteur. Un cadeau visuel permanent où le cinéaste et son chef opérateur Donald Thorin font de chaque plan nocturne une foisonnante composition d’ombres et de lumières urbaines, projetées sur un bitume perpétuellement humide. Né à Chicago, comme William Friedkin dont il admire le French Connection, Mann impose cependant avec Le Solitaire une direction artistique radicalement opposée au style docu-naturaliste de son confrère.
L’image et sa fonction, dans ce premier film fondateur et matriciel, est ici bien plus proche des styles de Ridley Scott, Tony Scott, Adrian Lyne et Alan Parker. Quatre réalisateurs britanniques piliers de la quintessence du “look eighties” à Hollywood lors de cette prodigieuse décade jugée pourtant décadente par les myopes Biskindolâtres. La similitude des pattes ne doit rien au hasard : Mann, qui a passé sept années de sa vie en Grande-Bretagne dans les années 60, a fréquenté de près les frères Scott, Lyne et Parker en tant que réalisateur de spots publicitaires, comme eux. L’obsession d’une image léchée aux frontières du réel, des ambiances nocturnes et pluvieuses à résonance élégiaque, Mann la partage depuis toujours avec ses homologues d’Albion.
Le Solitaire, comme Blade Runner, Les Prédateurs, Midnight Express et Flashdance, pose les bases d’une grammaire esthétique tournant à vide dans de mauvaises mains, mais imposant un univers surstylisé instantanément hypnotique. Témoin les premières minutes du film, sidérantes de beauté comme ce plan séquence descendant le long des façades d’une ruelle quadrillée par les escaliers extérieurs métalliques, sous la pluie battante d’une nuit percée par les halos diffus de lampadaires fantomatiques. Le mouvement se termine à quelques mètres du sol, on a l’impression d’avoir observé le plafond d’une cathédrale dont la ruelle serait la nef, ruisselant corridor prolongé à perte de vue dans les limbes urbaines. Un casse se prépare et tandis que ses hommes font le guet à l’extérieur, Frank (James Caan) perce un coffre-fort avec la méticulosité d’un grand artiste du genre.
La partition électronique surnaturelle des teutons de Tangerine Dream achève de nous plonger dans l’univers “autre” de cet objet définitivement griffé eighties. Comme l’ouverture de Blade Runner, lee prologue du Solitaire n’a rien perdu de sa perfection “néo-noir” et l’on imagine mal que le Nicholas Winding Refn de Drive n’ait jamais eu ces images en tête pour le début de son film. Jerry Bruckheimer, co-producteur du Solitaire et future star du métier en s’associant à Don Simpson dés Flashdance, retiendra lui aussi la leçon en encourageant une photo similaire au film de Mann dans la plupart de ses productions futures, télé au ou cinéma.
Qu’on aime ou pas Le Solitaire, aucun doute : dés ce premier essai foudroyant de maîtrise, Michael Mann signe une oeuvre reconnaissable entre mille. La matrice du cinéma qui sera le sien jusqu’à aujourd’hui. On y croise d’abord Dennis Farina, futur habitué du monde de Mann (Le Sixième Sens, Crime Story, Deux flics à Miami, Luck) ainsi que (très furtivement, regardez bien) William Petersen, futur Will Graham du Sixième Sens. Le Solitaire, c’est ensuite un mélange paradoxal de grand réalisme dans la description du métier de ses héros et d’une irréalité permanente dans ses intrigues. Hormis le grandiose Révélations, à la narration quasi documentaire, les polars contemporains de Mann (Le Sixième Sens, Heat, Collateral et Miami Vice) assument leur dimension archétypale et larger than life. Flics ou truands, les hommes de Mann sont des demi-dieux à l’expertise inégalable mais aussi des sociopathes rejetant violemment le système et ses normes. Leur grande force, un code moral et une loyauté indestructibles, sera aussi leur talon d’Achille dés lors qu’ils baisseront la garde face à ce système qui, lui, s’accomode très bien d’un pragmatisme sans foi ni loi et ne fera d’eux qu’une bouchée. Coincé entre des flics ripoux et des truands sans honneur, Frank répond clairement à ce signalement.
Dépouillée à l’extrême, s’accordant quelques apartés certes bavards mais cruciaux pour la psychologie des personnages (la scène du diner entre Frank et Jessie), la narration du Solitaire tient du conte aux limites de l’abstraction. Happé par la beauté des images, la perfection des cadres et l’hyper cinématographie d’une Chicago froide et belle, le spectateur avale la pilule de ce rythme “autre” grâce à la force de la mise en scène et au charisme animal fort ombrageux de James Caan. Un grand fauve indomptable qui ne fera pas de quartier dans le dernier acte du film, après la trahison de son partenaire mafieux Leo (Robert Prosky, dans son premier rôle au cinéma deux ans avant Christine).
Last but not least, Le Solitaire ressort ici dans une version Director’s Cut supervisée par Mann lui-même et dont l’étalonnage, plus bleuté et surréel, tranche nettement avec celui de la version salles. Ce nouveau montage offre une courte scène supplémentaire surnommée “La séquence du pêcheur”, au début du film. Une minute à peine, mais sublime : un brin de causette au petit matin entre Frank et un pêcheur à la mouche (joué par le jazzman Willie Dixon, à ne pas confondre avec Willie Nelson qui incarne Okla, le mentor de Frank) face au lac Michigan, dont les eaux rencontrent le ciel dans l’un des contrechamps les plus magnifiques du cinéma. Rien moins ! Précision : seul ce Director’s Cut est disponible sur l’édition Wild Side.
L’ÉDITION
Le master proposé par Wild Side est le même que celui du Blu-ray sorti chez Criterion en janvier 2014. Un seul mot suffit à le résumer : magnifique. Le travail d’orfèvre de Michael Man et son chef op’ Don Thorin sur la lumière resplendit comme jamais lors des scènes nocturnes. Des lumières urbaines bleutées se reflètent dans des flaques cristallines ou le lac Michigan, des néons flamboyants maculent des capots de voiture, l’image jouit d’un piqué balayant sans pitié le DVD sorti en 2003. Le Solitaire est visuellement l’un des plus beaux polars jamais réalisé et cette édition lui rend pleinement justice. Côté suppléments, comme le rappelle le site Digitalcine.fr dans sa critique technique très complète, on pourra regretter de ne pas retrouver l’intégralité des bonus proposés par l’éditeur britannique Arrow (exit les commentaires audio de Michael Mann et James Caan, entre autres). Mais dans le contexte économique difficile du marché, saluons déjà le bel effort de Wild Side d’avoir commandé une interview de James Caan pour l’occasion.
C’est le seul supplément présent sur le disque : une causerie avec Caan, fourmillant d’anecdotes sur ses souvenirs de tournage en présence de vrais flics et de vrais braqueurs sur le plateau (dont John Santucci, modèle du personnage de Frank et employé ici ironiquement dans le rôle d’un flic marron). James Caan résume ainsi sa vision du film : “Je n‘ai jamais considéré Thief comme un film de gangsters. C’est l’histoire d’un type qui fait un job mais qui a un but au fond de lui : avoir une vie normale, une femme, des enfants et il le veut vite parce qu’on lui a volé sa vie”. Thief est le film dont James Caan se dit le plus fier et on serait bien en peine de le contredire.
Enfin, l’édition contient un généreux livret de 160 pages criblé de photos et signé Michael Henry Wilson, hélas décédé avant d’avoir pu mener à bien l’intégralité des entretiens planifiés avec Michael Mann pour l’occasion. Pour combler le vide, Wild Side a exhumé trois interviews passées accordées par Mann à Wilson et publiées dans Positif (en 2002 pour Ali, en 2004 pour Collateral et en 2009 pour Public Ennemies). La rencontre inédite et incomplète, réalisée à l’occasion de cette édition française du Solitaire, s’avère néanmoins suffisamment riche pour nous en apprendre de belles sur les coulisses du tournage et les réflexions du cinéaste sur la direction artistique du film.
LE SOLITAIRE, de Michael Mann (Thief, 1981). Durée : 124 mn. Scénario : Michael Mann, d’après le livre The Home Invaders, de Frank Hohimer. Editeur : Wild Side. Disponible.
DÉTAILS TECHNIQUES FOURNIS PAR L’EDITEUR :
– LANGUE : FRANÇAIS, ANGLAIS
– DURÉE : 124 MIN
– SOUS-TITRES : FRANÇAIS
– IMAGE : 1.85 – 1080 24P
– COULEUR : COULEUR
– AUDIO : DTS MASTER AUDIO 5.1 ; DTS MASTER AUDIO 2.0
BONUS (Blu-ray collector) : Souvenirs du Solitaire, entretien avec James Caan (25 min) ; Le livre de Michael Henry Wilson (156 pages), entretiens avec Michael Mann retraçant les moments clés de sa carrière
– DVD LE SOLITAIRE
Extrait HD et restauré du film : la rencontre entre Frank (James Caan) et Leo (Robert Proski)
Le Solitaire (Thief, 1981). Bande-annonce d’époque :
« Avant une critique-fleuve par David Mikanowski de l’injustement boudé Hacker (en salles après-demain), que nous publierons demain.. »
Du moment que c’est pas le Doctor No qui s’y colle, ouf!! lol
Je recommande également ce film, l’ayant découvert récemment.
Pour compléter la lecture de cet article, j’ai écouté la dernière émission de « Mauvais Genre » sur Fr Culture qui en parle également: https://www.franceculture.fr/emission-mauvais-genres-plus-mort-tu-meurs-oliver-gallmeister-michael-mann-2015-03-14
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