
Music Mini Review : Borknagar – Winter Thrice (Century Media Records)
Dixième album solo qui vient célébrer les vingt d’ans d’existence du groupe, Winter Thrice a souffert d’une gestation compliquée. Avec un peu de retard, la bande à Øystein Garnes Brun revient dans la lignée du précédent Urd et accueille le retour du fils prodigue Kristoffer « Garm » Rygg.
Borknagar fait parti de ces groupes qui sont nés dans le black metal, ont puisé leur racine dans le black metal pour mieux s’en affranchir. Peut-être le décalage des idéaux où Øystein Garnes Brun se sent davantage l’âme d’un écolo-nostalgique qu’un pourfendeur du christianisme. Amoureux des mythologies nordiques, d’une nature qu’il célèbre à longueur d’albums, l’homme imagine le groupe basé sur des guitares acoustiques plus que la puissance vengeresse de leurs homologues électriques. Au fil du temps, la particularité de Borknagar s’est développée du côté de structures complexes, progressives et une densité vocale qui trouvait son point culminant sur Urd (2012) jusqu’à ce Winter Thrice.
Derrière le micro, nous retrouvons la configuration précédente : Vintersorg au chant hurlé ; Lazare (également derrière le clavier) et ICS Vortex pour le chant clair, auxquels s’est invité Garm (Ulver et premier chanteur historique de Borknagar) sur deux titres. Ce jeu de texture entre les différentes voix distingue le groupe du tout venant vicking black metal. Travaillant la matière vocale comme n’importe quel instrument, les répartitions se font après de multiples essais afin de trouver l’équilibre et la justesse. De la puissance limpide d’ICS Vortex au ton plus intimiste de Lazare, de la délicatesse d’un Garm surprenant de douceur à la rugosité de Vintersorg, le chant joue de ces strates pour composer un ensemble virtuose où les lignes rebondissent sans jamais déstabiliser la chanson comme l’auditeur. Où il ne s’agit plus de savoir qui chante quoi mais d’écouter, tout simplement.
Une organisation qui a bien failli pâtir de l’absence de Vintersorg après un bête accident de déménagement. Le hurleur a souffert d’une quintuple fracture et deux hémorragies crâniennes ainsi qu’une perte temporaire de l’audition sur l’oreille droite. Ses parties, enregistrées après son traumatisme, se teintent de ces lueurs de revanche et de victoire que l’on trouve dans les success story récompensées aux oscars. Et l’on imagine très bien le sentiment d’accomplissement qui a pu accompagner Vintersorg lors des premières prises (Dominant Winds, titre disponible sur l’édition collector et le vinyle) et le soulagement de Øystein Garnes Brun.
Au petit jeu des conjonctures, la question du futur de Borknagar se serait poser si Vintersorg n’était pas revenu, tant Winter Thrice entend célébrer les deux décennies du groupe. Parce qu’il y a l’idée de résumer son histoire en réunissant ses quatre chanteurs et de puiser dans le passé des Norvégiens pour symboliser l’événement : de l’illustration (par Mantus, comme sur Urd) qui reprend des éléments des précédentes pochettes au titre qui fait référence à The Dawn of the End sur The Olden Domain. Mais il y a également la référence au mythe nordique de Fimbulvinter qui correspond aux trois hivers successifs qui précèdent Ragnarök (la fin de tout). Bien sûr, l’idée derrière le concept, repose sur l’avertissement de la nature devant le cycle de la vie, le présage que nos actions, à titre individuel comme collectif, entraînent des conséquences. Seulement au crépuscule d’un drame qui a bien failli coûté la présence d’un membre important, à l’aube d’un anniversaire significatif, ces fameux trois hivers (Winter Thrice) aurait pu signifier la fin du groupe.
Il y a quelque chose de l’accomplissement dans l’album, comme si tous les éléments trouvaient leur place, dans le bon ordre et dans le bon rythme. Particulièrement frappant sur le titre éponyme où la construction a priori complexe s’efface devant les voix qui se posent et unifient l’ensemble. Les architectures gigognes de Brun permettent à chaque chanteur d’évoluer dans leur genre respectif comme dans une course de relais, ils s’accompagnent avant de passer la main. L’ensemble ne surprendra personne et c’est peut-être la principale limite de l’album, offrir une continuité sage et timide. L’identité remarquable du groupe n’est jamais mise à mal, délivrant leur vicking black metal mélodique, oubliant les accents guerriers habituels du genre au profit du recueillement, de la transmission oral de l’histoire. Ce ton uniforme pose problème devant une production un peu lisse qui entend niveler le son jusqu’à gommer toute aspérité. Une sorte d’aseptisation qui cristallise les mélodies mais atténue les parties violentes. Malgré ces maigres écueils, des chansons comme Winter Thrice, Panorama, Noctilucent, Terminus ou Dominant Winds constituent des pièces d’orfèvrerie d’une beauté crépusculaire qui encourageraient le plus têtu des citadins à plier bagage et partir pour les montagnes norvégiennes.
En gommant quelques titres superflus et en jouant des coudes afin d’apparaître plus mordant, Winter Thrice atteignait une belle harmonie. Un album qui s’écoute les yeux fermés ou en détournant le regard vers des cimes enneigées. Il demeure une magnifique lecture de l’histoire de Borknagar, célébrant l’anniversaire du groupe de la plus belle des manières. Et la participation inespérée de Garm démontre qu’il est l’une des plus belles voix du métal.
Borknagar – Winter Thrice (Century Media Records), sorti le 22 janvier 2016.