Boss (Bilan de la saison 2)

Boss (Bilan de la saison 2)

Note de l'auteur

Le maire de Chicago est une des pires ordures de la télévision actuelle. La saison 2 de Boss, la série de Starz qui raconte les aventures du maire Tom Kane (Kelsey Grammer) a pris fin le 15 octobre, après 10 épisodes faits de trahisons, de compromissions, de déceptions. Avec des audiences faméliques, on est en droit de se demander si la série connaîtra une saison 3. La mérite-t-elle ?

Petit rappel de fin de saison 1 : Tom Kane vient de se sortir de plusieurs gros problèmes, en faisant payer le prix fort à l’intégralité de son entourage. Sa femme qu’il met dans les bras du vieux dégueulasse (mais très riche et influent) Babe McGantry. Sa fille qu’il envoie en prison après un raid de police qu’il a lui-même commandité. Son protégé, Ben Zajac, qu’il humilie frontalement et pousse à se mettre à genoux pour implorer son aide. Son fidèle second, Ezra Stone, convaincu de traitrise envers Kane, assassiné par le porte-flingue du maire. La question, légitime en fin de saison 1: « et maintenant on fait quoi ? » Maintenant que Kane a poussé à leur paroxysme les relations conflictuelles avec ses proches. Maintenant qu’il est allé si loin qu’on se demande comment il pourrait améliorer (ou empirer) la situation.

Tom Kane est toujours maire, et sa santé est déclinante. Devant son refus de traitement, il perd progressivement la tête, et se met à avoir des visions. Peu importe, il reste en poste. Il semble même désireux de se racheter. En l’occurrence, via un projet immobilier : la réhabilitation de Lennox Gardens, la zone la plus chaude de la ville. Lennox Gardens a été initié par Tom Kane, à l’époque fraîchement investi. Il a fait construire cette zone et y a mis tous les rejetés de la société, créant une poudrière qui, immanquablement, explosa. Aujourd’hui, avec l’aide de Mona Fredericks, il veut tout changer, créer une zone avec des habitats sociaux et privés, mélanger les classes et réparer les dommages. Le début de la rédemption ? Pas vraiment, puisque d’une, Tom Kane n’a plus tous ses esprits, et de deux, il veut se taper Mona.

Dans Boss, il y a deux composantes majeures, qui sont les moteurs de 98% des personnages de la série : le pouvoir et le sexe. Dans les rapports humains de Boss, on n’est jamais très loin de la prostitution déguisée. Souvent un service s’échange contre une faveur sexuelle. Dans Boss, le sexe se consomme rapidement, sur un coin de bureau, rarement déshabillés. L’habitude. On  connaît peu le lit, au final. On ne sait plus trop ce qu’est un préliminaire. Pas le temps. Dans cette saison 2, c’est le personnage de Kitty O’Neill (Kathleen Robertson) qui mettra le mieux en avant cette composante. Alors qu’elle est en train de se faire séduire, elle sous-entend la possibilité d’une relation sexuelle dans les toilettes. Mais le mec, étranger au concept du sexus politicus, la laissera attendre, préférant le faire plus tard. Dans un lit. Après un dîner.

Au-delà de ces schémas au demeurant intéressants réside un problème de taille concernant Boss. Tout le monde est pourri (à l’exception de Mona Fredericks et du journaliste Sam Miller). Personne à sauver. Suivre Boss dans son intégralité, c’est se heurter à la mesquinerie constante, l’amoralité la plus totale. Une vision nihiliste de la politique, du monde, de l’humain qui plonge dans une tristesse infinie. On aimerait s’émouvoir des problèmes de santé de Tom Kane, mais en réalité on souhaite sa mort, et qu’elle soit la plus rapide possible. On aimerait prendre le parti de sa fille, mais elle est tellement agaçante qu’on préférerait qu’elle parte très loin, très vite. On aimerait se prendre d’affection pour quelqu’un, suivre ce personnage, qui serait un contre-point des horreurs commises par les autres, mais non. Rien.

Il n’est pas impossible de réaliser une série sans concession, avec très peu d’humanité. Après tout, et pendant une assez longue période, la série Oz réussissait ce tour de force (pas étonnant, d’ailleurs, de retrouver sur Boss Bradley Winters et Jean de Segonzac, qui travaillèrent tous deux sur la série carcérale d’HBO). Mais le souci, c’est ce systématisme. Dès l’introduction d’un nouveau personnage, d’une nouvelle dynamique, on sait qu’un épisode ou l’autre nous montrera la faille, la compromission, la pourriture qui compose le personnage. On n’est plus surpris ni choqué. On sait d’avance.

La série de Farhad Safinia joue sur deux tableaux (esthétique et théâtralité), négligeant parfois le troisième (structure scénaristique). Boss est peut-être à ce jour une des plus belle série de la télévision moderne. La réalisation, dont les bases ont été posées par Gus Van Sant dans le pilote, nous offre de magnifiques décadrages, une caméra flottante, des apartés oniriques qui servent le sujet et assoient la force visuelle de la série. Les réalisateurs qui ont pris la suite, en particulier Jean de Segonzac, Jim McKay et Mario Van Peebles font un travail, qui mêle mimétisme (du style Van Sant) et invention, absolument remarquable. La série met en avant son origine shakespirienne avec brio. Kelsey Grammer bouffe son rôle, fait oublier Frasier sans qu’on s’en rende compte. Ses monologues, très écrits, sonnent à la perfection. Son timbre de voix est, quoi qu’il arrive, une merveille de la nature, et son physique est impressionnant.

Mais voilà, avec ces qualités plastiques, Boss en oublie parfois la cohérence. Afin de voir Kane débouler théâtralement au conseil pour empêcher un vote, on explique qu’il n’ira pas au conseil ce soir-là, parce qu’il pense que c’est gagné d’avance. Artifice complet, absolument injustifiable (le type est un parano, aucune chance qu’il laisse se dérouler un événement pareil sans en être), dont le seul but est l’esbroufe. Pareil pour la scène finale (dont nous ne révélerons pas la teneur), forte thématiquement, mais qui soulève beaucoup de questions quant aux capacités physiques d’un des personnages, qui se retrouve tantôt en pleine forme, tantôt à l’article de la mort.

La saison 2 aura eu le mérite, sur ses 6 premiers épisodes (le 6ème est formidable), de relever le niveau de la première, en offrant une problématique très lisible et engageante. A partir du 7eme, la série revient sur son systématisme, et perd de son intérêt, pour glisser vers un final qui, s’il ouvre des possibilités pour une suite, clôt plusieurs pistes (comme en saison 1, d’ailleurs).

Noire, sans concession, souffrant parfois de problèmes de rythme, et sacrifiant assez souvent la structure aux effets, Boss se pose comme une série bâtarde, coincée entre son envie de cinégénie et sa nature fondamentalement théâtrale. Partagée entre des fulgurances de pure brillance et un discours sans espoir. Le monde est foutu mais il est beau à voir et à entendre.

BOSS (Starz), saison 2
Créée et Showrunnée par Farhad Safinia

Avec : Kelsey Grammer (Tom Kane), Connie Nielsen (Meredith Kane), Hannah Ware (Emma Kane), Jeff Hephner (Ben Zajac), Kathleen Robertson (Kitty O’Neill) Troy Garity (Sam Miller), Jonathan Groff (Ian Todd), Rotimi (Darius), Sanaa Lathan (Mona Fredricks)

Petit point sur la saison 3

Starz. La chaîne de Spartacus, de Magic City, de feu-Camelot. Si on regarde un peu rapidement, la chaîne de la violence et du cul. Comme HBO, mais en plus trash, limite porno par moment. Une vision d’ensemble au final assez éloignée de la réalité. Si certaines scènes de sexe issues de ses séries peuvent déranger par leur gratuité, Game of Thrones fait pire depuis deux ans tout en récoltant les lauriers des critiques. Starz c’est une chaîne qui sent le souffre, mais dont la ligne de conduite est absolument remarquable.

Chris Albrecht

Il faut dire que depuis 2010, le président de Starz, c’est Chris Albrecht (1), dont le bilan à la tête d’HBO fut un incroyable succès (Les Sopranos, 6 Feet Under, Sex and The City… en gros tous les succès historiques de la chaîne, c’est sous son règne). Et force est de constater que Starz est peut-être à ce jour, la chaîne qui respecte le mieux ses auteurs. Déjà parce qu’elle renouvelle les séries après en avoir vu les premiers épisodes, pas forcément après le premier jour de diffusion. Belle preuve de confiance. Et aussi parce que quand les auteurs disent stop (comme récemment les auteurs de Spartacus, dont la 3e saison hors préquelle sera la dernière), la chaîne suit sans moufter.

Pour l’instant, il n’y a pas eu d’annonce concernant une éventuelle saison 3 de Boss. Et à juste titre, les audiences de la série confinant au ridicule, même pour du câble payant. Au vu des images filmées, qui se déroule à Chicago pour les extérieurs, la série doit coûter très cher. De plus, elle n’a pas séduit les Emmys, qui l’ont gentiment snobée cette année (avec un Kelsey Grammer qui ira jusqu’à prétendre que son statut de Républicain affiché a joué dans la décision de ne pas le nommer, devenant du coup aussi parano que son personnage). Pas d’audience, pas de prix… et pourtant rien n’est annoncé. M’est avis que, au vu des rapports entre Starz et ses auteurs, on est face à un cas d’hésitation. Starz veut renouveler, mais réfléchit. Parce que s’ils avaient voulu décapiter Tom Kane, ils avaient mille opportunités de l’annoncer, sans que personne n’y trouve à redire.

Une saison 3 de 10 épisodes ? 6 ? Un téléfilm (réalisé par Van Sant pour le coup de pub) et basta ? Starz doit chercher le meilleur moyen de fermer les comptes pour une série qui ne marche pas. Respectueusement. On croît en Starz, peut-être à tort, sur ce coup-là.

(1) : Qu’on soit bien d’accord, quand on dit bilan formidable pour Albrecht, on ne se concentre que sur les œuvres qu’il a généré. Pas sur le fait qu’il étrangle régulièrement des femmes. Là on pourrait parler de honte, de dégoût, de rejet complet… Bref, pas le sujet en ces pages, mais quand même…

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