Bowie au cinéma : portrait d’un métamorphe

Bowie au cinéma : portrait d’un métamorphe

man-who-fell2L’Homme qui venait d’ailleurs et Labyrinthe, deux films réalisés à dix années d’écart, montrent que la métamorphose, thème central dans l’œuvre de David Bowie, était aussi au cœur de ses personnages de cinéma.

 

Une question s’est posée tout au long d’une filmographie où il a souvent été casté pour jouer son propre personnage ou faire office de caméo chic : Bowie était-il acteur ou faisait-il l’acteur ? À travers une petite douzaine de rôles de premier plan, il sera en réalité passé de l’un à l’autre avec des bonheurs différents.

 

L’Homme qui venait d’ailleurs (The Man Who Fell to Earth, 1976)

Dès sa première apparition officielle au cinéma, David Bowie imprime l’écran avec une force qui doit moins à une quelconque technique de jeu qu’à la véritable incarnation d’un personnage. Normal, cet homme qui venait d’ailleurs ressemble comme deux gouttes d’eau à un certain Ziggy Stardust, et c’est sans doute pour cette raison que Nicolas Roeg lui propose de l’interpréter. Roeg a réalisé Performance avec Mick Jagger six ans auparavant, il ne cache pas sa fascination pour les rocks stars. De cette histoire d’extraterrestre échoué sur Terre devenant un puissant homme d’affaire pour, fortune faite, construire un vaisseau spatial et retourner sur sa planète moribonde, il fait un véritable écrin pour l’artiste protéiforme, dont il ne cherche pas à intégrer au passage une quelconque production musicale dans le film. C’est le corps et la personnalité de Bowie qui intéressent Roeg, et le Bowie d’alors, période américaine avec son look, sa coke et tout le reste, s’y abandonne. Si la formule ne paraissait pas aussi tarte, on dirait volontiers que L’Homme qui venait d’ailleurs est un documentaire sur ce David Bowie là. D’ailleurs c’est dit, tiens !

the-man-who-fell-to-earth1Il a beau avoir pris des cours d’art dramatique et affirmé sa présence devant la caméra dès le superbe clip Space Oddity en 1969, Bowie n’interprète pas cet homme qui venait d’ailleurs. Il ne joue pas, semble comme absent du personnage, en apesanteur ou sur une autre planète. Direction d’acteur de la part de Roeg ou incapacité de Bowie, défoncé en permanence, à faire autrement ? Ce non-jeu, en tout cas, s’adapte idéalement au style bien barré du cinéaste. Expérimentations narratives du type montage alterné à temporalité variable, triturages visuels à coup d’anamorphoses et de surimpressions, et des bidouillages sonores comme s’il en pleuvait… Bowie épouse généreusement le projet psychédélique de Roeg, qui le lui rend bien en lui offrant une de ses plus belles métamorphoses. Au cours du film, l’extraterrestre révèle sa vraie nature : cet androgyne ne possède pas les attributs de l’homme ou de la femme mais son corps entier est un organe sexuel, le sexe des anges.

 

Labyrinthe (Labyrinth, 1986)

Avec Labyrinthe, nous sommes dans ce moment des années 80 marqué par le retour du magicien d’Oz, où les films d’apprentissage comme La Compagnie des loups (1984), L’Histoire sans fin (1984) ou Princess Bride (1987) recourent au “conte de fées” afin d’avertir les petites filles qu’elles risquent de bientôt voir le loup, et de conseiller aux petits garçons d’arrêter de jouer avec leur zizi, il y a bien d’autres choses à en faire. Dans ce contexte, quatre ans après l’impérissable chef-d’œuvre Dark Crystal, Jim Henson, le créateur des Muppets, réalise le coûteux Labyrinthe, qui s’avèrera un cinglant échec commercial.

Reise ins Labyrinth, DieLa petite fille qui apprend à grandir en traversant ce labyrinthe tout droit sorti de son imagination et d’un livre de poésie, c’est Jennifer Connelly, dont on ne rappellera jamais assez à quel point le début de carrière fut fracassant puisqu’elle sortait d’Il était une fois en Amérique et de Phenomena, et allait bientôt tourner Hot Spot de Dennis Hopper, rien que ça ! Contrairement à Dark Crystal, où aucun humain n’apparaissait jamais devant la caméra, il n’y a pas que des marionnettes dans Labyrinthe puisque le grand méchant loup qu’affronte notre héroïne n’est autre que David Bowie dans le rôle de Jareth, le roi des gobelins, qui règne en maître sur ce monde merveilleux, affublé d’une perruque à rendre Catherine Lara jalouse. Cette fois, Bowie montre son talent d’acteur en campant vraiment le personnage, lui apportant même une salutaire touche de dérision comme lorsqu’il interprète Magic Dance, un des cinq morceaux qu’il a composés pour la bande-originale.

Ce film délicieux n’est pas sans défauts, loin de là. Il y a notamment un gros problème de rythme, une atonalité que le coproducteur George Lucas n’a pas réussi à résoudre en resserrant lui-même les boulons au montage. Surtout, autre différence notable avec Dark Crystal, Labyrinthe s’entiche de mettre en avant une poignée d’effets numériques, une technologie alors à ses balbutiements. Ces quelques plans d’animation 3D ont horriblement mal vieilli mais présentent deux intérêts. D’abord, ils permettent de constater que les marionnettes, elles, sont indémodables parce que, justement, elles sont fausses. Autrement dit, si aujourd’hui les CGI peuvent imiter le réel, le côté fake d’une marionnette fera toujours plus vrai. Ensuite, parce que ces effets permettent à Bowie de se métamorphoser en un animal qui lui va bien : une chouette, volatile porteur de multiples symboles parmi lesquels celui de la lumière intérieure.

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