
Brian Wilson reste à quai (critique de Love and Mercy de Bill Pohlad)
Ouf, un biopic sur Brian Wilson des Beach Boys qui évite tout le côté convenu du genre. L’histoire de ce génie empêché, chanteur, compositeur, musicien qui connaît un immense succès avec son groupe avant de sombrer dans la folie et la dépression, avait tout pour engendrer un biopic fleuve. Love and Mercy préfère au contraire élaguer et entremêler deux périodes précises : 1965-1967 et le milieu des années quatre-vingts, quand Brian Wilson, abruti par les médicaments, passé sous l’emprise d’un pseudo-psychiatre, rencontre Melinda Ledbetter. Malheureusement, le film n’en illustre pas moins très platement l’histoire de Brian Wilson. Reconnaissons-lui cependant un mérite : montrer un groupe bien plus complexe qu’il n’y paraît.
Un malentendu colle aux tongs des Beach Boys. Pour le grand public, ce groupe taillé pour des pubs corn-flakes reste l’auteur d’inoffensifs tubes dorés au soleil californien, vantant les jolies filles, le surf, la plage, dans les années soixante. Il y a de cela bien sûr chez les Beach Boys, surtout au début. Et on ne va pas s’en plaindre ou faire la fine bouche, tant ces tubes sont bien faits et euphorisants. Mais on ne peut ignorer non plus le travail sur les mélodies et les harmonies qui culminent sur l’album Pet Sounds, touché par la grâce et teinté de mélancolie. Derrière la carte postale des insouciants garçons de la plage, se cache aussi un père tyrannique et violent, un esprit torturé et un génie empêché, celui de Brian Wilson, compositeur, pianiste et chanteur qui constitue le groupe avec ses deux jeunes frangins (Dennis, 17 ans, Carl, 14 ans), son cousin et un copain de lycée. Brian Wilson, incapable de donner la suite dont il rêve à Pet Sounds, sombrant dans la dépression et la paranoïa. C’est l’histoire dont Bill Pohlad tente de tirer un film, Love and Mercy, du nom d’une chanson de Brian Wilson, sortie sur son album solo de 1998.
Il faut saluer l’effort du réalisateur pour éviter le biopic appliqué, convenu et chronologique qu’appelait l’histoire des Beach Boys, avec ses succès et ses failles. Bill Pohlad, plus connu jusqu’ici comme producteur, fait au contraire des choix radicaux. Il ne s’intéresse qu’à Brian Wilson et choisit deux périodes qu’il entremêle tout au long du film. D’un côté donc, il suit Brian Wilson jeune, interprété par Paul Dano (L.I.E, Little Miss Sunshine) pris d’une crise de panique en avion, qui décide de ne plus suivre ses acolytes en tournée pour mieux se consacrer au studio et se mesurer aux Beatles et à Phil Spector. Le groupe jouit de son succès commercial ; l’aîné Wilson a déjà Pet Sounds en tête. De l’autre côté, le spectateur découvre le compositeur au milieu des années quatre-vingts, joué par John Cusack, abruti par les médicaments, à côté de ses pompes et sous l’emprise du pseudo-psychiatre et vrai gourou, Eugene Landy. Cette partie commence alors qu’il achète une voiture dans une concession et tombe sous le charme de la vendeuse blonde, Melinda Ledbetter, interprétée par Elizabeth Banks. Cette dernière va tenter de l’arracher des griffes de Landy.
Les partis pris intéressants du film ne suffisent malheureusement pas. Ceux qui connaissent un peu l’histoire des Beach Boys déploreront les dialogues trop explicatifs et les passages obligés du mythe scolairement restitués, dans la partie années soixante. Brian a une crise de panique dans l’avion, Brian prend du LSD, Brian oblige ses musiciens à porter des casques de pompiers sur une des sessions de Smile, Brian entend des voix… Les personnages autour portent quasiment leurs étiquettes autour du cou : le père abusif, le frère compréhensif (Carl Wilson qui prendra de plus en plus de poids au fur et à mesure que son aîné perd pied), le Beach Boy conservateur… On sauvera toutes les scènes qui reconstituent l’enregistrement de Pet Sounds. Enfin quelque chose passe, du génie et de la fragilité de Brian Wilson.
Les scènes dans les années quatre-vingts peinent encore plus à convaincre, à trop vouloir donner le beau rôle à Melinda/Elisabeth Banks. John Cusack donne trop l’impression, de son côté, de concourir pour un Oscar. La mise en scène, sans imagination, plonge le spectateur dans un ennui poli. Bref, le film n’est clairement pas à la hauteur de son sujet ni de ses ambitions. Fade. Ceux qui connaissent mal l’histoire des Beach Boys auront plutôt intérêt à lire les pages signées Michka Assayas consacrées au groupe dans Le Dictionnaire du rock . Ils y retrouveront toutes les anecdotes du film et ce qui rend ces garçons de la plage si particuliers.
Love and Mercy (2h02) de Bill Pohlad, en salles depuis le 1er juillet.