Burning : Une femme disparaît

Burning : Une femme disparaît

Note de l'auteur

En Corée, les relations mystérieuses au sein d’un triangle amoureux. Un film-énigme, entre thriller existentiel et cauchemar cotonneux. Le chef-d’œuvre de Lee Chang-dong.

  

« Le monde est pour moi un mystère. »

À Cannes, cette année, les femmes étaient à l’honneur, mais sur l’écran, elles s’évaporaient. De fait, des femmes disparaissent dans Everybody Knows, dans Trois visages, partiellement dans Le Poirier sauvage et bien sûr dans Under the Silver Lake. Mais la disparition la plus étrange, la plus fantomatique, c’est celle du magnifique Burning, qui vous brûle la rétine et ébranle vos certitudes de spectateur, et ce bien après la séance. Inspiré d’une nouvelle du Japonais Haruki Murakami, ce récit d’apprentissage minimaliste décrit la course effrénée d’un apprenti écrivain taciturne (comme dans Le Poirier sauvage), entre réalité et illusion. En attendant d’écrire son grand roman, Jongsu, fan de Faulkner, est coursier. Lors d’une livraison, il croise par hasard la pétillante Haemi, une ancienne voisine excentrique et sexy. Il tombe amoureux et accepte de s’occuper de son chat pendant un voyage de la belle dans le désert du Kalahari. Bientôt, elle revient au bras de Ben, un jeune garçon riche, hautain et mystérieux qui habite le quartier huppé de Gangnam. Des liens étranges se tissent au sein du triangle amoureux et Ben le pyromane révèle à son rival son hobby secret : il aime à brûler régulièrement les serres tendus de plastique qui jonchent la campagne coréenne. Bientôt, Haemi disparaît et Jongsu se lance dans une quête désespérée…

 

Inquiétante étrangeté

Thriller qui n’en a pas l’apparence, Burning avance masqué, comme le réalisateur et ses personnages. C’est un film qui danse sur l’abîme et que le spectateur tente inlassablement de rattraper. L’héroïne s’évapore après plus d’une heure et le film, qui se dérobe sans cesse, emprunte une piste, puis une autre. Est-ce que c’est la réalité que dépeint Lee Chang-dong, le fantasme d’un écrivain en train d’inventer des strates d’histoires, où est Haemi, que se passe t-il entre Ben et Jongsu ? Rongé par la jalousie, notre héros médiocre et surtout perdu essaie-t-il de retrouver sa promise, d’empêcher Ben d’allumer le feu ou de ne pas perdre la raison ?

Réalisateur coréen de Secret Sunshine, Peppermint Candy ou Poetry, l’ancien ministre de la culture Lee Chang-dong, 64 ans, signe ici son meilleur film. Un thriller magnétique, poétique, un cauchemar lynchéen, un puzzle existentiel, drame mental et sentimental, un trip incandescent. Avec une sublime photo crépusculaire, il filme la course solitaire de son héros sur les routes de la campagne coréenne, le regard vide et terrifiant de Steven Yeun, transformé en steak tatare par Negan dans Walking Dead, la vacuité de nos vies, le mystère du monde, notamment lors d’une discussion entre potes dans le soleil couchant, un moment de cinéma miraculeux, sur la musique d’Ascenseur pour l’échafaud.

La force tellurique de Burning, c’est la description de ce trio mortifère, où quelque chose reste toujours impossible à saisir, comme notre monde complexe où l’information circule toujours plus vite mais où le sens profond se dérobe. Avec une incroyable économie, un beau travail sur le hors-champ, une dilatation du temps, une violence sans cesse différée, de sublimes plans-séquences, Lee Chang-dong nous plonge dans ce vide existentiel qui nous ronge les entrailles. Il nous prend par la main et nous balade sur des sentiers peu fréquentés. Ceux de la poésie, de la beauté, de la fiction, du rêve, peut-être. Tandis que le cinéma n’en finit plus de bégayer et de jouer la carte de la surenchère, ce prestidigitateur au sommet de son art retranche, innove, ouvre des feux qu’il laisse en suspens, signe une œuvre floue et en points de suspension, un cauchemar cotonneux, joue sur l’invisible, les non-dits, avec une œuvre qui colle parfaitement à notre monde en flammes, un monde de cendres. Lee Chang-dong est le cinéaste de l’impermanence des choses.

Magnifique, magnétique et magique, Burning est rentré bredouille de Cannes.

Le monde est effectivement un mystère…

Burning 
Réalisé par Lee Chang-dong
Avec Ah-in Yoo, Steven Yeun, Jong-seo Jeon.
Sortie en salles le 29 août 2018.

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