
Ça craint
Le clown aux dents longues est de retour à Derry et affronte le club des Losers. Ou comment transformer un excellent film d’horreur en une suite aussi stupide qu’interminable.
Le problème de Ça Chapitre 2 résulte de la conception même de l’original, grand récit d’apprentissage et excellent film d’horreur. Les scénaristes Cary Fukunaga, Chase Palmer et Gary Doberman avaient alors séparé les temporalités imbriquées du roman de Stephen King, dont la narration passait en virtuose d’une époque à l’autre, faisant dialoguer les temporalités, le paradis perdu de l’enfance et le présent cauchemardesque des sept héros, alors que le film se concentrait exclusivement sur l’enfance des personnages. Ce Chapitre 2 se déroule 27 ans plus tard, avec des héros quadras, fatigués, voire traumatisés dans les grandes largeurs. Et s’apparente à un remake asthmatique et interminable du premier. Les personnages ressemblent de très loin à leurs modèles et revivent quasiment les mêmes péripéties horrifiques, les mêmes tortures, avec en bonus des monstres en images de synthèse bien crados.
Pas de suspense, le Chapitre 2 est donc une catastrophe, un accident industriel, trois heures de vide. Responsable du massacre, Gary Dauberman (qui porte bien son nom), scribouillard pathétique des Annabelle ou La Nonne. Il bâcle les personnages, ce qui est un comble quand on voit la finesse dans l’écriture des trois héros du précédent, étire les situations, fait de la psychanalyse à deux balles, recopie des séquences entières de l’original et en désespoir de cause, refait intervenir les mômes dans une série de séquences qui semblent des prises ratées ou coupées du premier chapitre… De fait, le truc le plus flippant de Ça Chapitre 2, c’est la bêtise stratosphérique de son scénario.
L’autre gros problème, c’est la mise en scène. Sur Ça, l’Argentin Andrés Muschietti avait embauché Chung Chung-hoon, le chef op de Park Chan-wook, l’homme qui a illuminé Old Boy ou Mademoiselle, et qui ciselait une image mordorée, charnelle, entre le paradis chromo et l’enfer de Gustave Doré. La première apparition du clown dans la bouche d’égout, c’était lui ! La science de la mise en scène deMuschiettiévoquait la générosité et la force d’un Steven Spielberg et il portait l’épouvante à l’incandescence, refusant la plupart du temps le jump scare. Je me souviens encore de cette scène ahurissante des cheveux qui sortent du lavabo et du sang qui asperge la salle de bain de Bev. Et un des monstres du film, la femme à la flûte, semblait s’échapper d’un tableau de Modigliani. Ici, tout est terne, moche et parfois franchement grotesque (je pense à la séquence du début dans le resto chinois). Après une scène d’ouverture plutôt réussie (le cinéaste Xavier Dolan se fait lyncher, dans un déluge de violence et de coups, bruités comme dans Rocky 28), Muschietti perd toute inspiration et fait dans le téléfilm miteux. C’est aussi excitant qu’une chaude-pisse ou que de regarder son papier peint : les acteurs en roue libre balancent des vannes pas drôles et le réalisateur peine à faire naître l’angoisse ou la peur, pas vraiment aidé par les effets spéciaux au-delà du raté. Bizarrement, il semble plus intéressé à multiplier les plans de cavernes sombres et humides qui ressemblent à des cavités utérines ou à des vagins munis de centaines de dents… Etonnant, non ?
A l’arrivée, Ça Chapitre 2 est un long chemin de croix et si tu as plus de 12 ans, tu te recroquevilles très vite dans ton fauteuil, égrenant les secondes qui te rapprochent de la délivrance. Si le film est une cruelle déception, il y a quand même un truc qui fout vraiment les jetons : et si la Warner mettait en chantier un Chapitre 3 ?
Ça Chapitre 2
Réalisé par Andy Muschietti
Avec Bill Skarsgård, Jessica Chastain, James McAvoy.
En salles le 11 septembre 2019
Bonjour,
J’aime beaucoup vos critiques, cependant pour celle-ci j’ai du mal à comprendre si vous parlez du « ça » original (le téléfilm ds années 90 assez surestimé selon moi) ou du chapitre 1 de ce film que j’avais trouvé assez agréable à regarder. Je crois que ce que je n’arrive surtout pas à comprendre, c’est si les deux films, qui sont censés être deux chapitres d’un seul et même film, ont été réalisés avec deux équipes artistiques différentes et avec un gap qualitatif aussi important. On ne peut pas se foirer à ce point, si ?
Quand je parle du 1, je parle du film de 2017. Quant à l’équipe technique, il n’y a plus qu’un scénariste et le chef op a changé. Le pb, c’est que le réalisateur avait tout dit dans le premier et refait le film EN MOINS BIEN.
On en reparle ?
Pourquoi pas, dès que je l’aurai vu.
Ce qui m’a perturbé dans votre critique c’est par exemple la première phrase : « Le problème de Ça Chapitre 2 résulte de la conception même de l’original, grand récit d’apprentissage et excellent film d’horreur. » Là je ne savais pas si vous parliez du film des années 90 ou de celui de 2017. Un peu plus loin : « recopie des séquences entières de l’original et en désespoir de cause » celui des années 90 ? En fait je viens de me rendre compte que le film de 2017 s’appelle juste « ça », et pas « ça chapitre 1 », pour le reste de mon incompréhension je dois être fatigué par la rentrée. Peut-être que je prends à tort les « ça » modernes comme un remake du téléfilm des années 90 alors que c’est une réadaptation du roman.
Pour moi, « Ça » reste et restera la mini-série de Tommy Lee Wallace de 1990. Pas un chef-d’oeuvre certes, mais un petit bijou télévisuel bien de son époque.
Tout à fait d’accord : une mini-série – à l’époque, on disait plutôt « téléfilm en plusieurs parties » 😉 – bourrée de qualités, un peu kitsch mais bien dans l’air de son temps. En revanche, Tim Curry a fait ce qu’il pouvait mais il n’était pas vraiment effrayant-effrayant. Je n’ai pas vu le remake de 2017-2019, j’ignore si Bill Skarsgard s’en sort mieux.
« En revanche, Tim Curry a fait ce qu’il pouvait mais il n’était pas vraiment effrayant-effrayant. »
Oui, effectivement. Cependant, Curry endosse le rôle d’une façon qui, paradoxalement, accentue sa terreur. En somme, l’attitude du clown Curry est, peu ou prou, plus terrifiante en raison de sa bonhomie factice; cachant des dehors plus crépusculaires. Il y a donc, comparativement, un aspect plus glaçant dans le clown joué par Curry que par Skarsgard. À ce propos, la critique fort pertinente de Dahan (sur le premier volet) peut vous intéresser (et notamment sur cette propension du film d’horreur contemporain à surjouer… l’horreur) :
https://www.youtube.com/watch?v=qVqj69yYn5w#t=12m18s