
CANNES 2012 : De Rouille et d’os, de Jacques Audiard (compétition, sélection officielle)
Amputée des deux jambes suite à un accident du travail, une dresseuse d’orques (Marion Cotillard) reprend goût à la vie au contact d’un marginal enchaînant les petits boulots dans la sécurité (Matthias Schoenaerts) puis les combats de rue. Mais ce dernier est vite rattrapé par l’instabilité de son existence, sa violence et son irresponsabilité chroniques. Une nouvelle réussite pour Jacques Audiard, précieux et rarissime virtuose du cinéma français.
« Dix à douze minutes de standing ovation » ai je pu lire sur Twitter à l’issue de la projection, hier soir, du dernier Audiard à Cannes. D’autres messages de confrères bouleversés, sous le choc, ont circulé sur la toile. Très librement inspiré du recueil de nouvelles Un goût de rouille et d’os, de Craig Davidson (Albin Michel), ce drame coup de poing vous laisse effectivement dans les cordes à l’issue de son dernier fondu au blanc, comme après une sévère dérouillée. Emu ? Pas forcément. Exactement comme dans les trois films que j’ai pu voir d’Audiard (Un héros très discret, Regarde les hommes tomber, Un prophète), De rouille et d’os ne tire pas vraiment les larmes. Il n’en est pas loin, parfois, comme lors d’une magnifique scène de « renaissance » mentale sur son balcon par Stéphanie (Marion Cotillard), la dresseuse d’orques estropiée, ramenée dans la lumière par sa relation avec Ali (Matthias Schoenaerts).
Mais ce récit plutôt nous stupéfie, voire nous pétrifie lors de décharges dramatiques administrées sans ménagement au spectateur via la violence des sentiments et la puissance des cadres. Voilà incontestablement un film intimidant dont l’ampleur formelle et le charisme animal des deux héros brisés vous « absorbe » sans échappatoire comme le rayon tracteur de quelque base intersidérale à forme arrondie. Un exemple parmi d’autres : la scène de l’accident au Marine Land, celui qui va coûter ses jambes à Stéphanie. A sa façon unique de composer ses plans annonciateurs de désastre, on se dit qu’Audiard serait un brillant réalisateur de blockbusters d’action ou de films catastrophe. On est immédiatement plongé dans une tension palpable grâce à l’habileté du maestro à combiner la musique, les plans de foule, ceux des orques et les gestes des dresseurs pendant le spectacle qui va basculer dans le drame. Ses cadres sont clairs, signifiants, d’une beauté parfois foudroyante, poétique… des réalisateurs comme Audiard, dont les films ressemblent à du Cinéma, on les compte en France sur les doigts d’une main de Simpson.
Drame limpide, étonnante fusion de conte à dormir debout et de chronique sociale réaliste, De Rouille et d’os enchaîne les uppercuts avec un naturel déconcertant. Les stigmates de l’amputation de Stéphanie et leurs conséquences sur son quotidien, il les montre plein pot, sans pudeur ni faute de goût visuelle (chapeau les CGI). Sa virtuosité hypnotique brise notre incrédulité comme Ali fracture les mâchoires lors de ses combats clandestins, mais on reste pourtant au seuil du grand film. En cause cette inamovible réserve naturelle d’Audiard, un sort un chouïa bizarre réservé au personnage de Cotillard (de surcroît laissée sur le banc de touche en dernière bobine) et un ultime virage dramatique un peu téléphoné, même si là encore la force de la mise en scène fait passer la pilule.
Ce ne sont là qu’erreurs mineures. Hymne aux battants cognant la fatalité jusqu’à s’en faire péter les phalanges, à ceux qui tombent sept fois pour se relever huit, De Rouille et d’os envoûte et agit longtemps après son générique final. C’est une oeuvre fascinée par la force brute, animale ou humaine, souvent montrée au ralenti et qui ne laisse pas de place aux faibles. Certaines scènes de ce film vont rester. Et Audiard, non content de confirmer tout le talent du belge Matthias Schoenaerts (révélé par Bullhead), offre à Marion Cotillard le premier grand rôle de sa carrière (oubliez l’attraction de foire dans La Môme). Victoire par K.O donc ? Pas forcément, mais aux points assurément.
De Rouille et d’os, de Jacques Audiard (1h55). En salles.
Je retiens donc qu’Audiard pourrait être le nouveau Michael Bay, l’émotion et l’intelligence en plus ^^
Excellent article mister Plissken!
Pour moi il est perpétuellement sur le fil. Du pathos, du mauvais goût, et pourtant, bel équilibriste, tout passe.
Pour moi c’est le meilleur réalisateur Français de ces dernières années, et cette direction d’acteur bordel ! (ayant vu l’ordre et la morale juste avant, c’est assez flag).
Les acteurs sont pour moi tous impeccables.
Un film estampillé « récompenses » donc. Pas trop tenté…
Très bel article qui me donne envie de voir un film avec Cotillard, c’est dire!
Il faut sauver willy ! Ben oui c’est comme dans Austin Power… Personne s’occupe du sort du méchant orques… Bon OK… La sortie c’est par là…
PS : Do not feed the animals !
Il faut sauver willy ! Ben oui c’est comme dans Austin Power… Personne s’occupe du sort du méchant orques… Bon OK… La sortie c’est par là…
PS : Do not feed the animals !
PS 2 : Sinon c’est beau comme critique m’sieur Plisken, snif, j’en ai la larmichette à l’œil !
J’ai trouvé un peu frustrant ce film pour ma part. C’est parfaitement réalisé et parfaitement interprété comme toujours chez Audiard. Là où je m’interroge, c’est lorsqu’un léger ennui pointe le bout de son nez, au deux tiers du film. En y réfléchissant, je me suis rendu compte que ce sentiment vient pour ma part de l’absence de véritable enjeu. A plusieurs moment, les deux acteurs principaux, n’ont pas de désir particulier, pas de but, ils vivent juste, jusqu’au moment où une tuile leur tombe dessus. C’est souvent comme ça dans la vie, mais pour ma part, dans une salle obscure ça me dérange un peu…