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Cannes 2012 : Des hommes sans loi (Lawless), de John Hillcoat (compétition, sélection officielle)

Cannes 2012 : Des hommes sans loi (Lawless), de John Hillcoat (compétition, sélection officielle)

On devrait toujours mieux se rencarder avant d’assister à une projection. Depuis le début de l’affaire Lawless, je me repose en toute innocence sur l’illusoire certitude que la bande annonce m’a vendu un putain de film de gangster épique. Le rejeton furieux d’une partouze entre Les Incorruptibles, Scarface (version Hawks), Boardwalk Empire, Miller’s crossing, Les Sentiers de la perdition et Dillinger. Un revival du genre qui fait mouche là où Michael Mann s’était à moitié planté avec le tiède Public Ennemies. Bon, les enfants, c’est raté, j’aurais dû mieux me renseigner !

En 1931, dans le conté de Franklin, Virginie, trois frères trafiquants d’alcool, les Bondurant, (Jack, Howard et Forrest), voient leur business perturbé par l’arrivée d’un procureur véreux de Chicago et son porte flingue psychotique, déterminés à les mettre au pas.

Comme l’explique John « La Route » Hillcoat lui-même dans le dossier de presse, « Des hommes sans loi raconte ce moment historique où le western finit et où le film de gangsters commence ». C’est vrai : Lawless ressemble bien plus à un « western crépusculaire » (comme on dit par chez nous) qu’à une grande fête au pruneau et feutre mou. Les trois frères Bondurant, bootleggers dont l’existence fut bien réelle en Virginie sous la Prohibition, pourraient être les cousins éloignés des frères James, Miller ou Younger tels que les a filmé Walter Hill dans The Long Riders. Les Bondurant sont aussi trois irréductibles rebelles à l’autorité de l’Etat fédéral, trois reliquats d’un ordre ancien voué à rentrer dans le rang ou disparaître. Et ils disparaitront, c’est le sens de l’Histoire, reste à savoir pour le spectateur si les adieux se feront dans le sang ou la reddition pacifique… J’attendais un film de gangsters explosif, donc. Il n’est là qu’en apparence, cachant plutôt un western bucolique.

Pourquoi pas après tout, mais pour une raison que je ne cerne encore pas totalement, l’insatisfaction n’a cessé de s’étirer jusqu’au final. C’est cela Lawless : une longue suite de frustrations, épisodiquement brisée par les magnifiques tableaux de cette Amérique rurale des années 30 et de belles performances d’acteurs. La frustration, c’est notamment de réaliser au bout de quelques minutes que Lawless s’attarde bien plus sur le personnage joué par Shia LaBeouf (Jack Bondurant) que sur celui de Tom Hardy (le cadet Forrest Bondurant). Dans le rôle du benjamin couard mais ambitieux, vecteur d’une énième trame de passage à l’âge adulte, Shia tire l’action bien plus que Hardy ou Jason Clarke. Et c’est fâcheux parce que même si le petit gars déploie un jeu des plus décents, il va lui falloir encore une tripotée de Lawless pour qu’on lui pardonne ses grimaces débiles dans trois Transformers et l’atroce Indiana Jones dont je me refuse à écrire le titre entier.

Hardy, lui, n’est jamais propulsé au delà d’une figure caricaturale de bouseux taiseux, violent et charismatique mais qui, finalement, passe son temps à charrier du borborygme ou mourir 25 fois comme une créature des Looney Tunes de la Warner. Même lors du climax, Hillcoat et son scénariste Nick Cave le dégagent rapidement de l’action principale, jusqu’à une pirouette finale entérinant son statut de clown involontaire. Un comble pour un chef de gang. La frustration, c’est aussi un scénario qui prend un triste plaisir à sous exploiter l’immense potentiel de ses personnages secondaires, qu’il s’agisse du sadique agent fédéral Rakes (Guy Pearce, génial et méconnaissable) ou du mafieux Floyd Banner (Gary Oldman). A ce titre, au début du film, on jubile de retrouver le Gary déglingo des grands jours, déboulant toutes griffes dehors, mitraillette Thompson à la main, pour cribler de balles une bagnole des Douanes. Après une seule autre scène en 2h, sa présence se résume finalement à un quasi cameo, quelle tristesse.

Ne parlons même pas de Jason Clarke (excellent dans la série Chicago Code) en aîné alcoolo, réduit à beugler, cogner ou s’enfourner des bocaux de gnôle dans le gosier sans véritablement évoluer. Et puis pardon pour le routier qui sommeille en moi, mais la frustration, c’est également l’attente d’un film de gangster épique avec des fusillades épiques. Celles de Lawless sont non seulement aussi nombreuses que les strip bars en pays mormon, mais surtout ne réinventent jamais la poudre, si j’ose dire. La frustration, enfin, c’est de n’obtenir qu’une brise légère quand on attendait une tempête à décorner les boeufs, des archétypes sans éclat au lieu de caractères pétant les éclairs, une ballade bluesy peu enivrante plutôt qu’un film badass. Mais tout est question d’attentes et les miennes pointaient certainement dans la mauvaise direction. Je misais beaucoup moins sur Gangster Squad, autre « film de gangster » à venir, mais j’ai peut-être raté ma cible !

 

Des hommes sans loi (Lawless) de John Hillcoat (1h55). Sortie nationale le 12 septembre.

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