Carrie-ment bon (I Am Not Okay With This / Netflix)

Carrie-ment bon (I Am Not Okay With This / Netflix)

Note de l'auteur

La perfection n’est pas de ce monde, mais I Am Not Okay With This n’en reste pas moins une très agréable série, drôle et percutante, avec de bonnes idées et surtout une excellente Sophia Lillis. D’après une BD de Charles Forsman (Slasher, The End of the F***ing World).

Sophia Lillis, aka Sydney (c) Netflix

Sydney Novak, une ado mal dans sa peau (c’est presque un pléonasme, non ?), se découvre des super-pouvoirs télékinétiques, liés, on s’en doute, à son état émotionnel. Un père suicidé, une mère qui se repose beaucoup sur elle parce qu’elle bosse comme une dingue pour joindre les deux bouts, un petit frère plutôt décalé… et une amie, Dina, pour laquelle elle pourrait bien nourrir quelque sentiment. Sans oublier Stan le voisin un poil étrange, et Brad le sportif lourd et limite violent de Dina.

Adapté par Jonathan Entwistle et Christy Hall pour Netflix, le comics originel est dû à Charles Forsman, déjà auteur de The End of the F***ing World, BD adaptée elle aussi pour le petit écran et diffusée d’abord sur la britannique Channel 4. Deux beaux exemples de BD indé américaine qui ont trouvé le chemin de la télévision. C’est assez rare pour être souligné. Et l’on rêve d’une future adaptation de Slasher, sa dernière sortie en français chez les Bruxellois de L’employé du moi, qui avaient déjà traduit The End… et I Am Not Okay With This (cette dernière sous le titre Pauvre Sydney !).

On pouvait néanmoins nourrir quelques craintes à propos de la série made in Netflix, la chaîne ayant plutôt l’habitude d’abâtardir un matériau originel, d’en adoucir les aspérités et les extrêmes éventuels – voir, pour s’en convaincre, la récente adaptation de Locke & Key et la saison 2 de Sex Education. Et oui, il y a moins de cul et de franchise dans la série d’Entwistle et Hall que dans la BD de Forsman. On y trouve malgré tout de bonnes choses, voire de très bonnes, qui rétablissent au minimum l’équilibre.

Syd et Stan (c) Netflix

Dans la BD, Sydney est une grande asperge qui ne se sent pas jolie : « Je m’appelle Sydney. Je suis une fille blanche sans intérêt. J’ai 15 ans. Et je suis super-maigre. Pas maigre-sexy. Plutôt maigre-moche. » Et Forsman de dessiner sa protagoniste comme une version moderne d’Olive Oyl, la chérie de Popeye. Côté style visuel, Pauvre Sydney ! est d’ailleurs très influencé par les strips d’époque, The Thimble Theatre, Peanuts et consorts.

Pour la série télé, et c’est l’une de ses très bonnes idées, on a choisi de faire appel à l’extraordinaire Sophia Lillis, qui joue Beverly Marsh dans le récent diptyque It. Expressive, tour à tour drôle et désespérée, rageuse ou paumée, elle excelle à faire passer une émotion d’un regard (qui fait penser à Lizzy Caplan), d’un sourire, d’un geste. L’actrice est le grand atout de I Am Not Okay With This. Elle porte la série sur ses épaules, magnifie ses qualités et compense largement ses faiblesses.

Dans le rôle de Dina, Sofia Bryant est tout à fait correcte même si son rôle ne lui permet pas (encore ?) de briller. Mais la part belle d’un rôle exotique est laissée à Wyatt Oleff dans le rôle de Stan, voisin de Syd, un peu paumé, un peu étrange, sans la moindre once de honte pour sa façon de se comporter et de s’habiller. Un rôle riche, attendrissant et dynamique, endossé avec talent par celui qui joue Stan (cela ne s’invente pas) Uris dans It, à nouveau.

Syd et Dina (c) Netflix

Il y a d’ailleurs une bonne louche de Stephen King dans I Am Not Okay With This. Car la série, l’air de rien, emprunte une voix qui s’éloigne de plus en plus du comic au fil de ses sept courts épisodes. La Syd de Sophia Lillis est nettement plus proche de Carrie que la Sydney du comics. Les scènes d’introduction où l’on voit une Syd en sang marcher dans une rue, la nuit, ne sont évidemment pas gratuites. Le personnage sériel “devient” quasiment Carrie (même si une scène gore en diable remplace le seau de sang de cochon et les accès de pyrokinésie par… autre chose), tout en convoquant Heroes, The Breakfast Club… et ce n’est pas non plus un hasard si la série est produite notamment par Shawn Levy et Dan Cohen, déjà coproducteurs de Stranger Things.

La fin, en revanche, a été modifiée en profondeur. Celui ou celle qui avait pu lire la BD avant de voir la série – c’est mon cas – attendait un dénouement au terme du septième épisode : il.elle en est pour ses frais. Car si le lieu est identique, les scénaristes de la série ont opté pour un cliffhanger annonçant (exigeant ?) une seconde saison, là où Chuck Forsman conclut son propos en créant l’exploit d’une scène à la fois sobre et choc.

Dina, Stan et Syd (c) Netflix

C’est à la fois la force et la faiblesse de I Am Not Okay With This, et pour cela, tout dépend du goût de chacun.e : sept épisodes d’une vingtaine de minutes, c’est peu. Très peu. Trop peu pour vraiment justifier une saison « complète ». Personnellement, j’ai apprécié cette économie de moyens, ce recentrage sur un propos précis plutôt que de jouer sur des épisodes à rallonge et la multiplication/amplification d’intrigues secondaires.

Dans la série d’Entwistle et Hall, pas de rallonge, pas de bla-bla. Mais, revers de la médaille, un sérieux sentiment de trop-peu lorsque le rideau tombe à la fin du dernier épisode de la saison. Comme s’il fallait à tout prix imposer une saison supplémentaire. D’autant que cet élément du « personnage mystérieux dont on ne sait rien » (est-ce le fantôme du père ? est-ce un prédateur avide du pouvoir de Syd ? un adjuvant ou un antagoniste ?) semble prêt à faire partir la série sur une piste radicalement différente de ses débuts. On pense déjà à Legion, à un récit de super-héros Marvel/DC en version indé. À des années-lumière de la BD de Forsman… quoique ?

On signalera, en manière de cerise sur le gâteau, une excellente musique signée Graham Coxon, et un choix de morceaux rock et indés des plus réjouissants. Bref, une première saison aussi agréable à écouter qu’à regarder, malgré ses quelques faiblesses.

I Am Not Okay With This (Netflix) Saison 1 en 7 épisodes
diffusée sur Netflix le 26 février 2020
Série créée par Jonathan Entwistle et Christy Hall
À partir de la BD de Charles Forsman
Épisodes écrits par Jonathan Entwistle, Christy Hall, Liz Elverenli, Tripper Clancy et Jenna Westover
Épisodes réalisés par Jonathan Entwistle
Musique composée par Graham Coxon
Avec Sophia Lillis, Wyatt Oleff, Sofia Bryant, Kathleen Rose Perkins, Richard Ellis, David Theune, Zachary S. Williams, Aidan Wojtak-Hissong, etc.

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