Celestia, de Manuele Fior

Celestia, de Manuele Fior

Note de l'auteur

Celestia est un album magnifique, où il suffit de saisir la main de Pierrot et Dora pour se laisser emporter dans un périple carnavalesque de toute beauté.

L’histoire : La « grande invasion » est arrivée de la mer. Elle s’est dirigée vers le nord, le long du continent. Beaucoup se sont enfuis, certains ont trouvé refuge sur une petite île de pierre, construite sur l’eau il y a plus de mille ans. Son nom est Celestia. Désormais coupée du continent, Celestia est devenue un étrange ghetto, un repère pour de nombreux criminels et autres marginaux, mais également un refuge pour un groupe de jeunes télépathes. Les événements vont pousser deux d’entre eux, Dora et Pierrot, à fuir l’île pour rejoindre le continent ; là, ils vont découvrir un monde en pleine métamorphose, un monde où les adultes, prisonniers de leurs propres forteresses, restent les gardiens de « l’ancien monde », et où une nouvelle génération pourrait guider la société vers une nouvelle humanité.

Mon avis : Une chose frappe les yeux en déroulant les premières pages de Celestia de Manuele Fior (Prix du meilleur album au FIBD d’Angoulême en 2011 pour Cinq mille kilomètres par seconde, édité en français par Atrabile). Une sensation qui se confirme au long de tout l’album ou presque : la place accordée à l’humain. Très peu de cases dénuées de la présence d’un personnage. La plupart du temps, le cadrage est serré sur le.s acteur.s de l’intrigue, fréquemment en plan américain.

L’architecture a pourtant son importance. On pense immédiatement à Venise, bien entendu. Et effectivement, lorsqu’on l’aperçoit en arrière-plan d’une case, puis occupant la totalité d’une case en tête de page suivante, avec aussi la description qu’en fait le père de Pierrot (« Tu sais, vue du ciel, cette île a la forme de deux mains serrées l’une dans l’autre »), on sait quelle cité italienne a pu inspirer le dessinateur.

Et avec elle, Venise apporte son atmosphère de carnaval. Ses masques, ses relations mystérieuses, ses passages secrets, cette façon de « flotter » au-dessus des eaux, tout cela se retrouve dans la Celestia de Manuele Fior. L’architecture vénitienne fait d’emblée « corps » avec Pierrot, silhouette dégingandée, pantalon aux bords larges, chapeau conique et, surtout, cette longue larme noire qu’il dessine sous son œil droit. Sans oublier son éternel sourire en coin, cette façon de « ne pas en être », de parcourir les rues et la vie sans avoir l’air d’y toucher, et pourtant d’être le centre de tout.

L’écriture, ensuite, renforce l’atmosphère de société secrète. Une écriture comme un long poème, aux dialogues évoquant un film de Marcel Carné écrit par Jacques Prévert. Les Enfants du Paradis ne sont pas loin, eux non plus ; Baptiste et Nathalie, Frédérick et Garance, et le menaçant Lacenaire… Celestia est un microcosme bizarre, les rues semblent dangereuses et la nuit plus profonde que de coutume.

De l’humain, du lieu, du poème… et pas une case inutile, pas de redite. Chaque case est de toute beauté en elle-même, elle raconte beaucoup seule. Les corps paraissent parfois comme figés, englués dans leur île isolée du monde ; à d’autres moments, les mouvements s’emballent de vitesse. On repense aussi au Roi et l’Oiseau de Paul Grimault.

Avec, au passage, une belle explication du déjà-vu, cette sensation qui n’a de nom qu’en français : « Juste l’écho de ses pensées dans la tête de quelqu’un d’autre. » Car Dora est une télépathe, ce qui lui joue à l’occasion des tours, à la grande fureur de Pierrot. Le couple finira par s’échapper de Celestia et explorer le « vrai monde », à la rencontre d’un peuple d’enfants, de massifs d’habitations inédits où les adultes sont reclus, avant de revenir changés sur l’île d’origine. Un monde hors du temps, ou plutôt d’après le temps, où l’on peut croiser Oreste et des personnages tout droit issus de la commedia dell’arte.

Celestia
Écrit et dessiné par
Manuele Fior
Édité par Atrabile

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