
CES DISQUES DONT ON NE PEUT PAS SE DEBARRASSER : WIRE, CHAIRS MISSING
Faut-il prendre un chanteur qui répète en boucle à la fin d’une chanson « I am a fly » et précise « in the ointment » (traduction : « je suis la mouche dans la pommade ») au sérieux ? Réponse : oui, dans le cas de Wire et leur album Chairs missing. Un deuxième disque qui bouscule un peu plus les lignes du rock britannique marqué par l’explosion du punk. Sorti en 1978, une dizaine de mois après leur premier opus, Wire continue de s’affranchir des règles dans le rock, invente sa propre grammaire et contribue à ce nouveau mouvement qu’on appellera le post-punk. Rien que ça.
Wire au départ, c’est un peu une imposture. Ils ont profité de la vague punk pour se faire connaître et entretenir le malentendu. « Nous ne disions rien lorsqu’on nous associait au mouvement, car c’était finalement plutôt utile. C’était un moyen très rapide d’obtenir un contrat avec une maison de disque« , expliquait le chanteur Colin Newman au magazine Les Inrockuptibles dans un entretien publié en 1990. Là où les punks semblent vouloir revenir à un rock basique, la hargne en plus, Wire, formé par un étudiant en école d’art (Colin Newman) et un technicien audiovisuel employé dans le même établissement (Bruce Gilbert), cherche au contraire à innover.
Sur leur deuxième album, Wire introduit des synthés (et accessoirement s’attirent la suspicion des puristes) et poursuivent leur travail sur le son et la texture des morceaux. La guitare gicle sur les compositions, tranchante, raclant jusqu’à l’os (mention spéciale à Practice makes perfect, From the nursery ou Being sucked in again). La voix se fond dans la musique, utilisée comme un instrument. Les paroles mêmes restent plutôt énigmatiques, le groupe paraît clairement plus intéressé par le rendu musical des mots que leur sens. Le groupe y va à l’économie et reste parcimonieux sur les effets. Ce qui explique sans doute que le disque traverse aussi bien les décennies.
Sur Pink Flag, le premier album, les morceaux durent en moyenne deux minutes. Sur Chairs missing, le groupe s’autorise quelques titres plus longs, sans rien perdre de sa concision. Chaque morceau paraît suivre sa propre logique, évitant de s’engouffrer dans les chemins déjà balisés du rock. Cérébral, Wire l’est. Ennuyeux, jamais. Le groupe laisse (malgré lui ?) transpirer son goût pour la musique pop. Il se paie même le luxe d’un quasi-tube avec Outdoor miner, merveille pop qui dure… 1’44. C’est peu et pourtant tout y est, grâce à un remarquable sens de la concision. Une chanson pop gentiment pervertie par le chant grinçant et les paroles obscures. Le bassiste et chanteur, Graham Lewis, s’est inspiré d’un documentaire animalier sur un insecte appelé le « serpentine miner » (pas assez calé, je n’ai pas trouvé l’équivalent en français, si par le plus grand des hasards un entomologiste fan de post-punk passe par là, son expertise est la bienvenue…). « Quand je m’écoute chanter cette chanson, je suis plié en quatre. Je devrais être en train de chanter « She loves me », mais bon, je chante un truc sur les insectes », confiait Colin Newman au NME. Marooned officie dans la même veine pop et délicate, plus sombre toutefois, strié par la guitare. A l’autre extrémité du spectre, les brusques accès de violence de Chairs missing évitent définitivement de faire de Chairs missing un disque purement cérébral. Mercy emporte l’auditeur sur des montagnes russes. La batterie finit par bien cogner et la guitare se lâche. Que du bon.
Un troisième album, 154, suit en 1979, tout aussi intéressant, avant une éclipse discographique de huit ans. Sans doute trop en avance sur son temps, trop déroutant, le groupe ne rencontre pas un succès de masse, à l’inverse de certaines formations post-punk du début des années 1980. Son impact n’en reste pas moins très fort. Dans les années 1990, le groupe Elastica se voit même poursuivi en justice pour ses emprunts assez explicites à la discographie de Wire.
ah merci merci pour WIRE. quel groupe!!!!!