
Champs-Elysées Film Festival : bilan de la compétition 2015
Avec la quatrième édition qui s’est déroulée du 10 au 16 juin, le CEFF semble avoir trouvé son rythme de croisière. Signe qui ne trompe pas, il est désormais très bien fréquenté : William Friedkin, Alan Parker, Jeremy Irons – respect pour celui qu’on pouvait croiser aux petits films de la compète alors qu’il ne faisait partie d’aucun jury – sans oublier les brillants frangins Safdie et la réalisatrice Euzhan Palcy, devenue trop rare sur les écrans. En consciencieux rat de projections, Ray Fernandez a vu les 8 films de la compétition des indépendants américains et en rend compte ici, maintenant, rien que pour vous.
Non seulement il est drôle mais il est prolifique, le réalisateur-acteur new-yorkais Onur Tukel ! Présent l’an dernier avec Summer of Blood, son très woodyallénien film de vampires à l’autodérision mordante, il propose aujourd’hui Applesauce, comédie horrifique où les relations entre deux couples d’amis se brouillent et s’interpénètrent autour d’un malentendu et de morceaux de cadavres découverts au fur et à mesure que l’intrigue vire à l’absurde. Flirtant avec les embrouilles d’un meurtre mystérieux à Brooklyn, celui qui se définit comme un clown intello peut agacer par sa logorrhée et son jeu d’acteur dont il reconnaît lui-même le caractère approximatif.
Applesauce n’en demeure pas moins la bonne tranche de rire d’une sélection qui ne manquait pourtant pas d’humour. Pour preuve, Nasty Baby, que son réalisateur Sebastián Silva présente comme une comédie amorale, ce qu’elle est, mais pas seulement. Débutant à la façon d’une bluette typiquement indé new-yorkaise autour du désir de paternité d’un couple gay qui s’entend avec leur meilleure amie afin de se reproduire, ce nouveau film du réalisateur de Magic Magic (2013) bénéficie d’une rupture de ton qui le tire du cliché pour, dans sa dernière partie, l’emmener totalement ailleurs. Une réussite grâce à ce virage de scénario, pour un film qui ne pâtit jamais de son budget limité.
Un cabot et des docs
Celui qui au contraire ne lésine pas sur les moyens, c’est Franny, avec Dakota “y a-t-il une vie après Twilight ?” Fanning, Theo “il est où le plateau de Divergente ?” James et, dans le rôle titre, Richard “mais puisque je vous dis que je suis une star” Gere. S’il a bien soigné son casting un œil sur le tiroir-caisse, le réalisateur Andrew Renzi ne parvient pas à nous attacher à ce philanthrope-mégalo de Franny, qui phagocyte tous ceux auxquels il prodigue ses largesses dans l’espoir d’alléger le lourd fardeau pesant sur ses épaules. Complètement raté malgré ou à cause du cabotinage incessant de Richard Gere, qui surcharge un personnage déjà bien assez fantasque comme ça.
Passons rapidement sur les deux documentaires présents cette année, bien inférieurs au superbe Rich Hill de la sélection 2014, hélas resté inédit. La lutte contre les cartels de la drogue à la frontière du Nouveau-Mexique dans Cartel Land et le portrait d’un leader suprématiste qui terrorise une petite ville du Midwest dans Welcome to Leith ont beau être de puissants sujets, leur mise en forme est d’une telle platitude qu’elle couvre leur propos d’une chape d’ennui. On ne s’éternisera pas davantage sur le scolaire 6 Years de Hannah Fidell, tragicomédie post-ado très mumblecore dont le seul intérêt est d’inverser le sujet-type de la romcom en jouant non pas sur l’indétermination à aimer mais sur celle à rompre.
Des boules puantes au paradis
Bien plus stimulant est Stinking Heaven qui, avec une approche formelle identique à celle ironiquement prônée par les Danois du Dogme 95 (image vidéo brute, format 4/3, lumière diégétique, son direct…) brosse le portrait d’une communauté déviante évoquant beaucoup Les Idiots (1998) de Lars von Trier, même si le réalisateur Nathan Silver avoue s’être surtout inspiré des documentaires de prévention contre la drogue diffusés à la télé américaine dans les années 1970 et 80. En à peine 1h10, Silver parvient à organiser une cohérence narrative dans un chaos visuel et sonore qui lui permet de creuser ses personnages avec brio.
Espérons que Stinking Heaven finisse par être, sinon distribué en salles, accessible en DVD ou VOD. Il serait dommage que cet objet radical demeure inédit et retarde la découverte du reste de la filmo d’un auteur loin d’en être à son coup d’essai. Il ne faudra pas pour cela compter sur les spectateurs du CEFF qui, après le décompte des voix à la sortie des salles, lui ont très largement préféré The Road Within de la réalisatrice Gren Wells, lui décernant le prix du long métrage.
Little Miss Tourette
Un palmarès très consensuel, donc, pour un premier film déjà bardé de récompenses, dans lequel trois jeunes pensionnaires s’échappent de la clinique où ils sont soignés pour troubles mentaux et s’en vont jeter les cendres de la mère de l’un d’eux dans l’océan. Si l’aspect road movie de cet archétype du Sundance film tient à peu près la route, avec ses touches d’humour – le syndrome de Gilles de la Tourette, ça fait toujours marrer même s’il est de bon ton de montrer la souffrance qui se cache derrière – et sa touche de guimauve – la découverte de l’autre c’est la meilleure des thérapies – une telle débauche de bons sentiments fait froid dans le dos : The Road Within sera-t-il le nouveau Little Miss Sunshine bientôt sur nos écrans ? Brrr…
The Road Within Official Trailer 1 (2015) – Dev… par ActuCine