Chicago Fire, Chicago PD : le triomphe du drama de papa

Chicago Fire, Chicago PD : le triomphe du drama de papa

En deux ans, l’univers développé par Dick Wolf, Michael Brandt et Derek Haas est devenu une des valeurs sûres de NBC. En quittant New York pour Chicago, le père de la franchise Law & Order a cependant remis en cause beaucoup d’éléments qui ont fait son succès. Retour sur une mutation étrange.

AVERTISSEMENT SPOILERS : IL FAUT ÊTRE A JOUR SUR LES DEUX SERIES POUR LIRE L’ARTICLE

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Severide et Halstead, deux des figures du ChicagoVerse de Dick Wolf.

« Je pensais que The Following allait faire un bond en avant mais ce n’est pas le cas. Je crois qu’il n’y a qu’une seule série qui a su faire ça pour sa saison 2 cette année, c’est Chicago Fire ».

Interrogé par Vulture au printemps, Kevin Reilly, qui était encore président de la Fox, se désole de voir les audiences de la série des deux autres Kevin (Williamson et Bacon) faire du rase-motte. Il y a de quoi : de 8 millions de téléspectateurs en saison 1, la moyenne est tombée à un peu plus de 5,2 millions à la mi-2014.

Dur de se faire damer le pion par les rois de la Halligan en Illinois, surtout quand on a sorti une machine promotionnelle plus grosse qu’un camion de pompiers…

Un succès confirmé en 2014

Les faits sont pourtant là. Sur NBC, derrière le rouleau-compresseur The Blacklist (10,8 millions de téléspectateurs en moyenne : merci The Voice, au départ), la série des pompiers de la caserne 51 a mis le pied sur l’accélérateur en 2013/2014. 7,5 millions de téléspectateurs ont suivi la saison 2 (avec des pics à 9 millions).

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La saison 3 de Chicago Fire débute le 23 septembre sur NBC.

Mieux : Chicago PD, son spin-off, a confirmé la tendance alors que plus d’un observateur imaginait que le soufflé allait retomber (6,4 millions de téléspectateurs en moyenne ; avec deux pics à plus de 8 millions).

Si l’on est loin des scores godzillonnaires des meilleures séries de CBS (NCIS a encore rassemblé 18,5 millions de téléspectateurs la saison dernière), on peut s’étonner de voir la chaîne retrouver un second souffle en audiences avec une série de facture aussi classique. Surtout lorsque l’on repense aux récents projets très médiatiques (et très ratés) développés par ailleurs (au hasard : Revolution, Dracula ou Believe).

Ce succès interpelle à plus d’un titre. Il traduit surtout le triomphe d’un certain opportunisme créatif porté par trois hommes : Dick Wolf, Michael Brandt et Derek Haas.

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Plus besoin de vous présenter le premier : l’homme à la petite bosse sur le front a déjà fait l’objet d’un long portrait sur ce site. Poids lourd de l’industrie télé depuis près de trois décennies, il combine deux qualités cruciales : une parfaite connaissance des exigences de la production télé et un pragmatisme à tout épreuve.

« (La télévision) est un business plein de tournants très étranges et qui repose sur un vrai sens du timing. La différence entre un franc succès et un gros bide à Hollywood tient parfois sur la lame d’un couteau »

(Dick Wolf – Archives de la Television Americaine)

Habitué au lancement de séries, Wolf a répondu en 2012 à une demande de NBC pour Chicago Fire. Développer une série sur des soldats du feu. La nostalgie de Third Watch et des chiffres de ses premières saisons ? L’envie de recreuser le sillon abandonné avec l’echec de Trauma (dont le début est très proche de celui de Chicago Fire) ? Le désir de développer une série « 100% pinpon » ?

Peut-être bien un peu de tout ça à la fois. Wolf est en tout cas parti en chasse. Et c’est là que Derek Haas et Michael Brandt sont venus frapper à la porte de ce cher Dick.

Les deux garçons ne sont pas des habitués du petit écran mais cela fait un petit moment que l’aventure télévisuelle les tentent. Et ils ont une idée. Enfin presque.

« Nous sommes allés le voir et lui avons dit « Nous ne savons rien sur le sujet mais nous aimons l’idée de faire une série qui aurait pour cadre Chicago, dont l’histoire est liée au feu. Mettez-nous dans un avion et on y va ». Après quoi, nous avons passé trois semaines à sillonner la ville, visiter des casernes, faire des gardes de 24 heures et rencontrer des pompiers. C’est là qu’on s’est dit qu’on voulait le faire »

(Derek Haas – Interview au site Hitfix en 2012)

Présenté de la sorte, cela ne fait pas franchement rêver (et cela explique un certain nombre de choses…). Mais la chance des deux scénaristes de 3h10 pour Yuma et Fast & Furious, c’est de compter sur le savoir-faire du boss de Wolf Films.

Son pitch aux dirigeants de NBC ? « Nous voulons faire Urgences chez les pompiers ». Rien que ça.

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La saison 2 de Chicago PD débute le 24 septembre sur NBC.

« Urgences » dans une caserne ? Oui mais sans le fond

Sur la forme, le parallèle est malin. Surtout, il tient debout : Chicago Fire (et a fortiori Chicago PD), c’est la succession d’intrigues professionnelles et personnelles, développées sous l’égide de scénaristes expérimentés et encadrés par des consultants techniques qui connaissent très bien le sujet. En coulisse de Chicago Fire, on retrouve notamment Steve Chickerotis, ex-conseiller sur le plateau de Backdraft de Ron Howard.

Ajoutez à cela des réalisateurs vraiment pas manchots (Joe Chappelle, producteur exécutif, a réalisé de nombreux épisodes de The Wire) et une distribution solide (Jesse Spencer, Monica Raymund, Eammon Walker) et vous obtenez un ensemble qui peut parfois vous embarquer dans des séquences réussies.

Le problème est ailleurs. Il est dans le fond du projet. Qui revisite des intrigues classiques du genre (le pompier accro aux médicaments, celui qui commet un crime, celui qui est blessé) sans vraiment soigner la dimension psychologique de ses héros. Sans jamais se différencier non plus. Et c’est bien là que le parallèle avec Urgences ne tient pas.

Jon Seda, le premier personnage qui a eu un pied dans les deux séries (avant même qu'on imagine Chicago PD).

Antonio Dawson (Jon Seda), le premier personnage qui a eu un pied dans les deux séries (avant même qu’on imagine Chicago PD).

On peut considérer Chicago Fire (et Chicago PD, encore une fois) comme une série qui joue la carte de l’action et de l’émotion. Un show qui n’est pas là pour écraser le téléspectateur sous le poids d’une lourde introspection psychologique. D’autres l’ont déjà fait. Mais on ne peut le faire si on développe en parallèle des intrigues où il est justement question de psychologie.

L’art du reboot émotionnel

A ce jeu, la série se contente d’enchaîner les péripéties et de lever les obstacles sans sourciller. Joe Cruz et la mort d’un chef de gang est un bon exemple de cela. En saison 1, cet événement ronge le personnage quatre épisodes, puis ce dernier est impliqué dans des intrigues plus légères dans lesquelles il joue un peu le clown de service… avant que le décès évoqué plus haut ne revienne le hanter.

Le problème majeur de la série ? C’est son manque de cohérence. Pas trop dans les actes mais dans les émotions. Brandt, Haas et Olmstead (producteur exécutif depuis le début de Chicago Fire et cocréateur de Chicago PD) sont les rois du reboot en la matière. Avec, occasionnellement, de grosses ficelles. Et à un point tel que cela en devient parfois ridicule.

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Leslie Shay : personnage intéressant, bonne actrice (Lauren German) mais intrigues en bois, parfois.

Il suffit de suivre et d’écouter le personnage de Leslie Shay. Confrontée à une mort traumatisante, l’ambulancière se retrouve au milieu de la saison 2 au bord du gouffre. Littéralement. Isolée, bouffée par les remords, elle songe à se jeter d’un pont.

Si elle est finalement sauvée, un autre personnage arrivé plus tard dans la saison va commettre l’irréparable : le pompier Rebecca Jones. Ce qui donne lieu à une discussion effarante entre Shay et Dawson, sa partenaire. Dawson se demande notamment à voix haute comment on peut décider de se suicider… et Shay dit qu’elle n’en sait rien !

Dommage. D’autant plus dommage que certains personnages sont mieux esquissés, comme celui d’Allison Rafferty (Christine Evangelista). Mais si Chicago Fire est une série bien produite et bien filmée, elle ne parvient jamais à coller une vraie beigne au téléspectateur.

La revanche du divertissement qui laisse peu de traces

Est-ce la première fois que l’on constate cela ? Non, certainement pas. Il y a toujours eu, il y aura toujours des séries de network qui, tout en divertissant, donne l’impression de ne pas aller au fond des choses.

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Hank Voigt. Il est méchant. Mais non. Mais si.

Comme il y a aussi, sur ces mêmes networks, des séries qui montrent que la qualité n’est pas réservée qu’au câble et séduisent des téléspectateurs très différents (The Good Wife, Person of Interest, Parenthood).

Certains regretteront sans doute de voir Dick Wolf explorer l’univers de la série-feuilleton sans embrasser un style plus proche de Law & Order. La franchise a longtemps questionné la société américaine dans ses fictions (surtout dans ses premières saisons) : ce n’est pas franchement le cas avec Chicago Fire et Chicago PD.

Jon Seda, en exercice promo à Monte Carlo, a beau expliquer qu’avec Chicago PD, « on essaie d’explorer un état d’esprit, d’aller au fond des choses », le problème est le même. Ici, on est plus face à des personnages archetypaux –pour ne pas dire des « personnages fonction »- qui ont du mal à surprendre et à gagner en densité qu’à de vrais héros complexes.

La remarque vaut d’abord pour Hank Voigt, personnage central et flic borderline qui enchaîne les gestes répréhensibles et les actes humains sans vraiment toucher le public -N’est pas Andy Sipowicz qui veut, hélas- mais aussi pour Erin Lindsay (Sophia Bush) ou Antonio Dawson (Jon Seda).

Crossover ! (Dingue !)

Crossover ! (Dingue !)

Quant au projet de crossover permanent annoncé fièrement en 2013, il reste limité à de petites séquences la majeur partie du temps. Non, décidément, ce n’est pas avec ces histoires à Chicago que NBC va renverser la table…

Une nouvelle franchise en vue ?

Le succès de Chicago Fire et Chicago PD ouvre-t-il cependant la voie à une nouvelle « ère du divertissement basique » sur les networks ? Les mois qui viennent le diront. On ne serait pas complètement étonné de voir Wolf et sa bande proposer à NBC un Chicago Med avec Dylan Baker dans les prochains mois.

Dans le premier « vrai » crossover Chicago Fire/Chicago PD, Baker incarne en effet un médecin, le docteur Arata, qui a un ego assez fort mais reste humain. Rien de bien original mais quelque chose de suffisamment développé pour se dire que Wolf et sa bande ont une petite idée derrière la tête.

Business is business, comme on dit. Mais si NBC veut retrouver son aura auprès de la critique, il faudra un plan B.

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